Rapport du Giec: les entreprises et les investisseurs doivent passer de la procrastination à l’action

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“La fenêtre d’action se rétrécit, mais elle existe encore”. Il serait donc encore possible de contenir le réchauffement climatique à 1,5 degrés, mais cela va demander des actions drastiques de la part des décideurs, mais aussi des entreprises et des investisseurs.

Selon Simon Stiell, le secrétaire exécutif de l’ONU Climat, la nouvelle synthèse “dit dans des termes très, très clairs où nous en sommes, mais elle signale aussi qu’il y a toujours une possibilité, avec un effort mondial significatif, d’atteindre l’objectif des 1,5 degrés”, a affirmé. Malgré des prévisions encore plus alarmantes, le rapport se veut en effet comme un “message d’espoir” qu’une action majeure permettrait encore d’atteindre les objectifs pour contenir le réchauffement à 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle. M. Stiell a appelé “tout le monde” à agir mais particulièrement ciblé le G20 rassemblant les plus grandes économies mondiales. “Nous savons que 80% des émissions ont été produites au sein (des pays) du G20. C’est un point de départ très très clair”, a insisté le responsable onusien. Les 20 plus grandes économies mondiales représentent aussi 85% du PIB mondial “donc la technologie et la capacité financière pour répondre à la crise sont là”.

Que faut-il retenir du dernier rapport du Giec ?

>> La synthèse de neuf années de travaux comme guide de survie pour l’humanité

Ce rapport est une synthèse de quelque 10.000 pages des neuf années de travaux du Giec sur le climat. Il est un rappel brutal de la nécessité pour l’humanité d’enfin agir radicalement au cours de cette décennie cruciale pour s’assurer “un futur vivable”.

Cette synthèse des experts climat de l’ONU, qui succède à celle de 2014 et n’aura pas d’équivalent dans la décennie en cours, est “un guide de survie pour l’humanité”, a souligné le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, António Guterres. Elle servira de base factuelle aux intenses tractations politiques et économiques des prochaines années, à commencer par le sommet climat de l’ONU en décembre à Dubaï, la COP28, où un premier bilan des efforts de chaque pays dans le cadre de l’accord de Paris sera dévoilé et où l’avenir des énergies fossiles sera âprement négocié.

>> Un réchauffement climatique de 1,5°C dès les années 2030-2035

Selon le rapport, le réchauffement climatique atteindra 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle dès les années 2030-2035, prévient le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), alors que la température a déjà grimpé de près de 1,2°C en moyenne.

Cette projection est valable dans presque tous les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre de l’humanité à court terme. Mais “des réductions profondes, rapides et prolongées des émissions (…) conduiraient à un ralentissement visible du réchauffement mondial en environ deux décennies”, écrit aussi le groupe de scientifiques pour le compte de l’ONU.

>> Des impacts plus graves qu’estimé

“Pour tout niveau de réchauffement futur, de nombreux risques associés au climat sont plus élevés que ce qui avait été estimé” dans le précédent rapport de 2014, déplorent de plus les scientifiques. Ils s’appuient sur la multiplication observée récemment des événements météorologiques extrêmes comme les canicules, et de nouvelles connaissances scientifiques, par exemple sur les coraux. La question des “pertes et dommages” causés par le réchauffement et déjà subis par certains pays, en particulier les plus pauvres, sera l’un des sujets de discussion à la COP28.

“La justice climatique est cruciale car ceux qui ont contribué le moins au changement climatique sont affectés de manière disproportionnée”, souligne Aditi Mukherji, l’une des auteurs de la synthèse.  “Ce rapport détruit le mythe de l’adaptation sans fin. Il montre clairement qu’à des niveaux de température plus élevés, l’efficacité de l’adaptation diminuera rapidement.”, dit-elle encore.

>> Un appel à une volonté politique forte

“Ce rapport est un message d’espoir”, il “souligne l’urgence à prendre des mesures plus ambitieuses”, a tenu à souligner auprès de l’AFP le président du Giec, Hoesung Lee.  Selon lui, “nous avons le savoir-faire, la technologie, les outils, les ressources financières et tout ce dont on a besoin pour surmonter les problèmes climatiques” mais “ce qui manque pour l’instant, c’est une volonté politique forte”.

“Nous devons passer de la procrastination à l’action”, a réagi Inger Andersen, directrice du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP). La militante écologiste suédoise Greta Thunberg a elle fustigé la “trahison sans précédent” des dirigeants politiques, dont certains vivent “toujours dans le déni” et vont “activement dans la mauvaise direction”.

“Les années les plus chaudes que nous avons vécues jusqu’à présent seront parmi les plus fraîches d’ici une génération”, résume pour l’AFP Friederike Otto, coautrice de la synthèse, qui représente cette réalité par un graphique coloré de rouge plus ou moins foncé. Ce constat souligne la nécessité de mener de front les efforts d’adaptation au changement climatique et ceux de réduction des émissions pour ne pas l’aggraver encore plus.

Ainsi selon Li Shuo, conseiller politique de Greenpeace, “la recherche est très claire. La Chine doit réduire immédiatement sa consommation de combustibles fossiles. Développer les énergies renouvelables en parallèle ne suffit pas. À ce stade, il faut mettre les bouchées doubles pour assurer l’avenir des énergies renouvelables.”

Pour Ottmar Edenhofer, directeur de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat (PIK), co-président du groupe de travail 3 du Giec, “il y a aussi de bonnes nouvelles dans le rapport qui montre que dans certaines régions, le découplage entre les émissions de CO2 et la croissance économique commence et va s’amplifier, c’est-à-dire qu’une qualité de vie élevée est également possible avec de faibles émissions.”

>> Les technologies de captage du CO2 critiquées

Parmi les solutions envisagées, la place accordée dans le “résumé pour les décideurs” de 36 pages à la légitimité des technologies de captage du CO2, a été vivement critiquée par certains observateurs.

Ils y voient de potentiels “permis de brûler” pour les pays producteurs d’hydrocarbures comme l’Arabie Saoudite, dont les négociateurs se sont battus au cours du week-end pour diluer les phrases sur le rôle central des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Selon Lili Furh, du Center for international environmental law (CIEL) , “alors que l’économie des énergies fossiles est menacée par la viabilité économique et la compétitivité des énergies renouvelables, ces grands pollueurs se servent des technologies de captage du CO2 comme d’une couverture pour continuer à développer leurs activités ». 

>> Moins cher d’investir que de subir les conséquence d’un réchauffement climatique à 2C°

Par ailleurs, “les bénéfices économiques et sociaux d’une limitation du réchauffement climatique à 2°C dépassent le coût des mesures à mettre en place”, assurent encore les experts. Mais toute procrastination supplémentaire élèverait la marche à franchir, note le Giec, alors que le monde bénéficie déjà des rapides progrès des énergies renouvelables. “De 2010 à 2019, les coûts ont diminué durablement pour l’énergie solaire (85%), éolienne (55%) et les batteries au lithium (85%)”, rappelle la synthèse.

Outre l’effet sur le climat, des efforts accélérés et soutenus “apporteraient de nombreux avantages connexes, en particulier pour la qualité de l’air et la santé”, écrivent les scientifiques, qui ne cachent pas le prix à payer: “à court terme, les actions impliquent des investissements de départ élevés et des changements potentiellement radicaux”.

>> Une opinion mûre mûre pour influer sur les politiques climatiques.

Figure de la lutte contre le trou de la couche d’ozone, Susan Solomon pense que l’opinion publique est désormais mûre pour faire changer les choses. Comme lorsqu’on a découvert le trou dans la couche d’ozone et qui est apparu immédiatement comme une catastrophe.  Pour Solomon, « c’est l’histoire des trois P : c’était “personnel”, car les cancer de la peau et la cataracte font peur ; c’était “perceptible” parce qu’on pouvait voir à la télévision ces images spectaculaires, faciles à expliquer. Et des solutions “pratiques”, réalisables, ont été trouvées assez rapidement. Il s’agit d’une remarquable réussite scientifique et politique.

Si pour l’instant le changement climatique n’a pas suscité la même mobilisation d’urgence, « c’est aussi parce que les gens pensent que les solutions sont inapplicables, mais c’est faux. Ils doivent réaliser combien cela va nous coûter si nous ne faisons rien », dit-elle encore. Les gens ont aussi tendande à se leurer. « On a tendance à penser que si l’on arrête de polluer, la pollution disparaît. Mais les chlorofluorocarbones ont une durée de vie de 50 à 150 ans. Et après il faut encore attendre que l’ozone se reconstitue ». Et puis il y a les effrayants “phénomènes au croisement entre la biologie et la physiquesouvent les plus difficiles à comprendre. On assiste à un déclin de 30% de la population d’insectes dans le monde, sans que nous sachions en détail pourquoi. Et il y a les incendies, potentiellement plus fréquents et plus intenses avec le changement climatique, peuvent ralentir ce processus. Je ne m’attendais pas aux conséquences des incendies en Australie, c’est un autre choc. »

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