Bruno Colmant

Le danger social de l’inaction écologique

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Je ne trébuche pas sur une vision néo-malthusienne en référence à l’économiste britannique Thomas Malthus (1766-1834) qui prédisait que sans frein, la population augmente de façon exponentielle ou géométrique tandis que les ressources ne croissent que de façon arithmétique. Je n’écarte pas non plus l’incroyable puissance de l’ingéniosité humaine. Mais je crains que la fougue de l’économie marchande dépasse le rythme de l’action collective pour en tempérer ses excès.

Il ne faut pas que nous soyons les prophètes du néant, mais rien ne dit que nous éviterons une nouvelle hystérie mondiale, exacerbée par la surpopulation. Il a fallu 200 000 ans pour atteindre le premier milliard d’humains et l’année de ma naissance, en 1961, il y avait 3 milliards d’humains contre 8 milliards aujourd’hui.

En 2003, l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009) disait : « À ma naissance, la population mondiale comptait un milliard et demi d’habitants. Quand je suis entré dans la vie active, vers 1930, ce nombre atteignait déjà deux milliards. Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies, à croire les prévisions des démographes. Cette croissance a exercé d’énormes ravages sur le monde. ».

En 2017, l’archéologue français Jean-Paul Demoule (1947 -) élargissait avançait que « pendant 99 % de l’histoire de l’humanité, l’homme a été chasseur, pêcheur, cueilleur. Il y a douze mille ans seulement, les humains au nombre de quelques centaines de milliers nomadisaient par petits groupes. Aujourd’hui, sept et bientôt neuf milliards d’humains, presque tous sédentaires peuplent la terre. Leurs sociétés sont très inégalitaires, puisque 1 % d’entre eux possèdent la moitié de la richesse mondiale ».

L’injonction biblique de « multipliez, remplissez la terre » (Genèse, I-28) est effectivement désuète. Et, en vérité, plutôt que de parler exclusivement de surpopulation, peut-être faut-il parler de surconsommation.

Quoi qu’il en soit, l’exténuation de la planète par cette surconsommation, le dérèglement climatique et environnemental, et les pénuries alimentaires et hydriques vont rendre les humains encore plus furieux des déséquilibres et raréfactions que la nature lui impose. Et il est fort à penser que plutôt que d’envisager une croissance modérée, la recherche de prospérité immédiate, pourtant tellement vaine à l’aune de la mortalité des humains, conduise à des exterminations, des transhumances, et bien sûr des conflits, ce que le GIEC souligne souvent. Si la raréfaction des ressources risque de conduire à une perte de la tempérance sociétale, l’aboutissement le plus funeste serait une troisième guerre mondiale.

On pourrait imaginer un parallèle avec le mouvement protestataire des gilets jaunes français : des populations exaspérées, éreintées par la crise, et révoltées de l’incapacité des gouvernements à les protéger des dangers de cette mondialisation, se sont manifestées. Elles ont donc contesté l’État, car ce dernier ne les avait pas défendus.

Ce pourrait être la même chose pour le climat : des populations pourraient se retourner contre les États qui n’auront pas été suffisamment visionnaires. C’est d’ailleurs ce à quoi on assiste dans certains pays (Iran, Inde, etc.) frappés par des stress hydriques et des pénuries alimentaires, et donc par des contestations populaires, d’ailleurs souvent réprimées militairement. Des changements profonds d’inflexion politique sont donc plausibles, dans les fissures desquelles des populismes totalitaires pourraient s’infiltrer. Ne parle-t-on pas de démocratures, contraction des mots démocratie et dictature ?

C’est avec lucidité que nous devons appréhender collectivement les défis environnementaux et tous les déséquilibres connexes. Malgré des milliers d’appels de scientifiques, de constats irréfutables, de tentatives désespérées commises par les plus courageux, l’humanité, ou à tout le moins une partie, court à sa perte, parce que les jours s’égrènent dans le déni. C’est déjà un jour de gagné, nous disons-nous tous silencieusement. Un jour de gagné pour nous, mais des années de perdues pour ceux qui nous suivent, et en particulier ceux que nous n’entendons pas parce qu’ils ne sont pas encore nés.

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