L’Europe n’interdira-t-elle finalement pas les PFAS ?

Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, lors de son discours sur l'Etat de l'Union, le 13 septembre 2023 à Strasbourg. © Getty images

L’Europe avait comme projet ambitieux d’interdire les PFAS. Mais cela s’avère plus compliqué que prévu : la Commission prévoit de nombreuses exceptions, pour préserver l’économie et “l’autonomie stratégique” de l’Europe.

Les PFAS sont aussi appelés “polluants éternels” car ils ne se dégradent pas et restent présents dans la nature et les organismes. Divers scandales de contamination, dont certains en Belgique (le site de 3M près d’Anvers et l’affaire des eaux de distribution dans la région d’Ath, qui a failli coûter le poste de la ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier) ont eu lieu ces derniers temps. Ces alkyls perfluorés et polyfluorés, de leu nom complet, peuvent représenter des risques pour la santé. Mais ils sont également utilisés dans une quantité innombrable de produits et présentent une longue liste de propriétés (poêles antiadhésives, vestes imperméables, joints d’isolation ou d’étanchéité, etc.).

Les PFAS ont donc leurs défenseurs et leurs adversaires. Il y a un an, l’Europe s’est rangé du côté des adversaires et la Commission a mis l’interdiction, pure et simple, de tous les alkyls per- et polyfluorés sur la table.

Abandon

Mais aujourd’hui, il s’avère que les PFAS ont la peau dure. Le quotidien allemand Welt a eu accès à un document, qui montre que la présidente Ursula Von der Leyen prévoit tellement d’exceptions que l’interdiction perdrait toute sa substance… d’interdiction. Cela après un long processus de détriquotement du projet ; à chaque annonce ou bruit de couloir la liste des exceptions et dérogations augmentait. Il faut dire que la résistance des acteurs économiques était forte. Plus forte même que ce à quoi la Commission s’attendait, selon le quotidien.

“La Commission est consciente qu’une éventuelle restriction des PFAS crée une incertitude pour les entreprises et risque de décourager les investissements dans les technologies clés”, écrit Ursula von der Leyen dans cette lettre, adressée aux députés du groupe chrétien-démocrate PPE au Parlement européen. Il est donc prévu de “proposer des dérogations pour les utilisations nécessaires à la transition numérique et écologique et à l’autonomie stratégique de l’UE, tant qu’aucune alternative viable n’est disponible”.

Levée des boucliers

La lettre et les formulations témoignent ainsi d’un changement de cap au sein de l’UE. En résumé : de “on veut sauver la planète”, le focus passe à “on doit se sauver nous-même d’abord”. C’est qu’une interdiction des PFAS rendrait la vie difficile, voire impossible, à l’industrie. Cela dans un contexte où les usines européennes sont déjà sous la pression de la Chine, mais aussi des Etats-Unis (avec leurs subsides verts gargantuesques, l’IRA).

La Commission ne veut donc pas mettre des bâtons dans les roues de son industrie, mais au contraire atteindre plus “d’autonomie”, avec en lame de fonds un mode qui se polarise de plus en plus et où un fournisseur de matières premières ou d’autres produits peut vite fermer le robinet.

Quelles mesures ?

Le “retrait” d’un texte si ambitieux et si central dans une politique, ici celle pour préserver l’environnement et la santé, serait en tout cas inhabituel. D’autres textes, décriés aussi, sont passés. L’idée était-elle trop ambitieuse et est-il impossible de ne plus utiliser les PFAS ? Notre monde moderne serait-il même possible sans eux, se demandent certains.

On peut en tout cas imaginer que sans interdiction totale, il pourrait y avoir de nombreuses (nouvelles) normes en la matière, par secteur ou champ d’application. Il y a déjà des seuils bien sûr, et ceux-ci seront renforcés en 2026 et 2033, pour ce que les sols et les eaux peuvent contenir en PFAS.

Pour ce qui est du projet d’interdiction, la décision pourrait se faire attendre. L’ECHA, l’agence en charge des produits chimiques, est en train d’étudier l’idée, et il faut attendre son verdict pour pouvoir légiférer. Von der Leyen le précise dans sa lettre, en ajoutant : “je voudrais toutefois vous assurer que notre objectif est de lutter contre la pollution par les PFAS tout en garantissant la sécurité des investissements dans les technologies clés.”

Signe que le débat sur les “pauses environnementales”, comme les décrivent le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre belge Alexander De Croo, ne fait que commencer.

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