Céline Tellier sur la sellette dans le dossier des PFAS: pourquoi Ecolo est devenu une cible

Céline Tellier. BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le ministre wallonne de l’Environnement, mise en cause pour son manque de transparence sur la pollution de l’eau à Chièvres, s’explique au parlement et explique pourquoi elle a écarté son conseiller. Les autres partis renvoient les verts à leur propre morale.

“Comment est-il possible que je boive de l’eau contaminée par les Pfas depuis des années sans avoir été informé?”. Cette interpellation d’un habitant de Chièvres sur les réseaux sociaux illustre le traumatisme de la population locale depuis les révélations de l’émission Investigations, jeudi dernier à la RTBF: une concentration jusqu’à cinq fois supérieures de ces substances chimiques a été constatée dans l’eau distribuée par la SWE dans une douzaine de localités de la région de Ath.

Des signaux d’alerte existaient, pourtant, depuis 2017 et des alertes de l’armée américaine à Chièvres. Des courriers avaient été envoyés en mars 2022 et janvier 2023 par la ministre flamande Zuhal Demir (N-VA) pour affirmer que les valeurs étaient inacceptables dans l’eau consommée à Hal et provenant de Wallonie. Sans que personne ne réagisse, pas même la ministre compétente, Céline Tellier (Ecolo), désormais sur la sellette. Des suspicions avaient déjà été révélées, auparavant, par la base militaire américaine de Chièvres. Critiquée de toutes parts pour son manque de transparence, la ministre est appelée à s’expliquer en commission parlementaire, ce mardi 14 novembre.

Céline Tellier est soutenue par son parti, mais montrée du doigt par l’opposition et jusqu’au sein de la majorité wallonne: le MR a déjà averti qu’il conviendrait de déterminer “toutes les responsabilités”. Le problème de l’eau contaminée a été résolu, la SWDE rassure, la santé des riverains n’aurait pas été menacée et… le fonctionnaire ayant reçu l’alerte, qui n’aurait pas transmis l’information, a été écarté. Mais politiquement, toute la clarté doit être faite, réclament les autres formations politiques.

D’autant que, depuis, des contaminations ont également été constatées à Braine-le-Comte.

“Principe de précaution”

La séquence est évidemment désastreuse pour les écologistes, déjà à la peine dans les sondages en Wallonie et à Bruxelles. Les autres partis ne leur passent rien, singulièrement un PTB qui brasse large à gauche de la gauche, des Engagés en plein renouveau et un MR qui a fait des Verts sa cible principale.

“Quel aurait été le message si on avait dit que de l’eau ne pouvait être consommée à cause d’une norme qui entrera en vigueur dans trois ans?”, a souligné Céline Tellier au Soir, après sa mise en cause. La législation européenne concernant les PFAS n’entrera, en effet, en vigueur qu’en 2026. “J’ai du mal à comprendre son attitude, rétorque Olivier Maroy, député MR. Elle nous parle toujours du principe de précaution et, dans ce dossier, elle n’a pris aucune précaution.

Tempête dans un verre d’eau? Visiblement pas. Les libéraux réclament donc que “toutes les responsabilités soient établies” et les socialistes attendent de pied ferme les réponses de la ministre. Le gouvernement wallon n’était pas, a priori, en danger, mais la tension montant. Avec ce fil conducteur: régulièrement moralisateur, Ecolo n’appliquerait-il pas à lui-même cette moralité requise des autres? Le “politique autrement” prôné par les écologistes se heurterait à cette absence totale de transparence.

Un tir de barrage

En commission du parlement wallon, ce mardi matin, l’opposition est remontée. Le chef de groupe des Engagés, François Desquesnes, pose lui aussi une batterie de questions relatives aux messages reçus et au “principe de précaution” qui n’aurait pas été appliqué. Il met en avant, aussi, le fait que la Flandre a d’ores et déjà mis en avant des normes propres anticipant la législation européenne. Jean-Luc Crucke, son collègue transfuge du MR et ancien ministre, révèle que la ministre avait fait une communication orale au gouvernement dès juillet 2021.

Joris Dupont (PTB) évoque des messages de riverains, ces derniers jours évoquant leur “colère et sidération”, ainsi que leurs craintes pour l’avenir de leurs enfants. “Pendant cinq ans, des citoyens ont été exposés à des substances toxiques”, dit-il, en demandant que toutes les responsabilités soient faites. C’est la responsabilité de la ministre Tellier, dit-il, en renvoyant au rapport du Pentagone initial, mais aussi de l’ensemble des responsables gouvernementaux qui n’ont rien fait depuis 2018. “Les signaux clignotaient dans tous les sens: la base militaire, le scandale 3M en Flandre, des alertes du PTB…” Pourtant, la population n’a pas été informée. “Pourquoi? Vous indiquez que c’est la SWDE qui est responsable, mais vous êtes la ministre de tutelle, vous êtes responsable. (…) Allez-vous vous excuser auprès des citoyens?”

Nous mesurons l’émoi politique provoqué par ce dossier”, souligne Christophe Clersy (Ecolo), en rappelant que son parti s’est toujours battu sur ces questions. “Je comprends et je partage la colère des riverains, je fais part de ma détermination à faire toute la clarté, cela ne veut pas dire faire une surenchère politique.” Après le rapport de la base militaire de Chièvres et le scandale 3M, Céline Tellier a “pris une série d’initiatives” pour contrôler la situation et améliorer les mesures à l’égard du Pfas, souligne-t-il. “Après le rapport de la base militaire, que faites-vous de ce document?, dit-il. Vous dites que c’est rassurant. Je comprends la colère légitime de la population. La transparence est fondamentale. Pourquoi la SWDE n’a pas communiqué?” Le ton du député écologiste se veut apaisant, mais… critique. Tout en remontant aux premières alertes de 2017, quand Céline Tellier n’était pas encore ministre.

Son collègue Manu Disabato (Ecolo) élargit la question aux multiples problèmes causés par les PFAS et rappelle que son parti réclame leur interdiction, ce que refusent… les libéraux. “Il faut faire payer ceux qui sont responsables de cette industrie.”

“Un mépris des habitants”

Olivier Maroy (MR) tape dur: il constate qu’une certaine psychose s’est installée et qu’il faut rassurer. “Six jours après le Watergate wallon, on atteint le comble de l’indignité: au numéro d’urgence, le personnel ne sait pas quoi répondre et atteint vos instructions. Y’a-t-il encore un pilote dans l’avion?”. Il rappelle, lui aussi, toutes les étapes et alertes ayant précédé le reportage de la RTBF. Ses questions sont, là encore, accablantes. “N’avez-vous pas minimisé la situation en Wallonie? On a furieusement le sentiment que les précautions, vous n’en avez pris aucune. Vous êtes au courant au moins depuis début 2022 et vous n’avez pas laissé le choix à la population sur la consommation de l’eau.”

Sa collègue Jacqueline Galant (MR) parle d’un “mépris des habitants” et du risque non éclairé dans des communes, dont celle qui accueille Pairi Daiza et ses deux millions de visiteurs par an. “C’est grave, une atteinte à la santé des citoyens.”

Sophie Pecriaux (PS) rappelle que la ministre a été interpellée à plusieurs reprises sur la présence de ces polluants depuis le début de la législature. “Nous avions fait part de notre inquiétude sur le nombre peu élevé de sites référencés, mais notre région ne pouvait pas avoir échappé à cela”.

La réplique de Céline Tellier

Céline Tellier, accablée, a préparé un exposé pour se défendre devant la commission parlementaire. “Je n’ai pas cessé un instant de penser aux riverains inquiets depuis plusieurs jours“, entame-t-elle. ‘Si j’avais été informée d’un risque, j’aurai réagi”, dit-elle en substance, rappelant son attachement au principe de précaution. Elle parle d’une “zone grise” entre les constats et l’entrée en vigueur des normes, la zone la plus difficile à gérer pour les pouvoirs publics.

Aucun coin de la planète n’est épargné par les PFAS, mais ce n’est pas une fatalité, je suis déterminée à lutter“, insiste-t-elle. Avant d’entamer un exposé pédagogique au sujet de ces substances et en insistant sur la seule réponse à apporter: limiter leur production à la source.

Céline Tellier présente une première ligne du temps sur l’évolution des normes en matière de PFAS. “J’ai plaidé moi-même au niveau européen pour l’adoption de normes ambitieuses”, dit-elle. Au niveau wallon, l’ensemble des groupes s’est entendu sur un calendrier calqué sur celui de l’Europe: objectif 2026. Elle évoque également les actions du gouvernement dans ce domaine. “Nous ne sommes pas restés les bras croisés dans la lutte contre la pollution aux PFAS“, insiste-t-elle.

Et le dossier spécifique de Chièvres? Les mousses utilisées sur la base militaire américaine pour les avions contenaient des PFAS et en 2017, des constatations démontrent des dépassements au vu de la norme américaine, moins stricte que celle à suivre en Europe. Suite à ces dépassements, de l’eau en bouteille est consommée sur la base et les informations sont transmises au SWDE. “L’administration précise en 2018 que des débats ont lieu au niveau européen et qu’aucune norme n’existe encore“, souligne Céline Tellier.

En juillet 2021, le PTB interpelle la ministre au sujet de ce cas. Des demandes sont faites à l’administration pour demander des vérifications et un contact avec la base américaine. “Le 8 juillet, je communique oralement au gouvernement comme l’a rappelé M. Crucke“, dit la ministre. Les résultats de l’administration sont rassurants, ajoute-t-elle.

Je veux tirer des leçons de cette crise”

Céline Tellier

En janvier 2022, un collaborateur du cabinet reçoit un mail brut ne comprenant aucun message d’alerte particulier, il contient des informations “comme il peut en contenir des centaines par mois”, avec une annexe contenant un tableau Excel avec un statut d’alerte à zéro pour les PFAS, mais une mention en fin de colonne sans référence par rapport à la norme. “Ce mail est traité par mon conseiller et par l’administration, il ne remonte nullement à mon niveau.” Aucun signal d’alerte ne lui est adressé.

Céline Tellier réfute le fait qu’elle aurait été informée de valeurs supérieures aux futures normes et qu’elle aurait omis de communiquer cela à la population.

Elle en conclut toutefois que dans la zone grise actuelle, un mécanisme de vigilance doit être mis en place. “Je veux tirer des leçons de cette crise”, souligne-t-elle. Elle justifie aussi l’écartement de son conseiller qui n’a pas été alerté et qui est resté sur cette base légaliste. “Quand on travaille dans un cabinet ministériel, on doit aller plus loin que cette base légaliste. Suite à cet épisode, j’ai estimé ne plus avoir confiance en la capacité de vigilance politique de mon conseiller”.

Le fusible a sauté. Celine Tellier laisse entendre qu’elle n’est pas en cause.

La ministre souligne qu’à l’avenir, le principe de précaution sera renforcé et la SWDE a adopté des mesures en ce sens.

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