Les “meme coins”, ces curieuses cryptos

OPPORTUNISME. Deux nouvelles devises ont fait leur apparition à la veille de l’intronisation de Donald Trump : le $Trump, et le $Melania. © BELGAIMAGE
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

À côté du bitcoin, un nouveau genre de cryptos a fait son apparition : les “meme coins”. Dernier exemple en date : le $Trump, créé autour de la figure du nouveau président américain. But de ces drôles de cryptos ? Se divertir… et s’enrichir.

Une cryptomonnaie au nom de Donald Trump. On croit rêver. À la surprise générale, le 47e président des États-Unis a pourtant bel et bien lancé sa propre crypto, le $Trump, juste avant son intronisation. Son épouse, Melania Trump, a elle aussi mis sur le marché sa propre cryptomonnaie, le $Melania. Depuis le 19 janvier, la cryptosphère compte ainsi deux devises numériques de plus : l’une à l’effigie du président, l’autre pour la first lady. Visant à capitaliser sur la personnalité du couple présidentiel, les deux devises numériques arborent l’image de leur figure tutélaire : lui, le poing levé accompagné du slogan “Fight, Fight, Fight”, et elle, sourire aux lèvres, les mains jointes devant son visage.

Nouveau Far West

À l’instar d’autres cryptomonnaies comme le bitcoin, les investisseurs peuvent spéculer sur la valeur du $Trump ou du $Melania. Ils ont la possibilité de conserver les deux cryptos, en espérant une hausse de leur prix, ou les revendre pour réaliser un bénéfice. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils se sont véritablement rués sur les deux nouveaux jetons du couple Trump. Au point de faire grimper le cours du $Trump à 75 dollars l’unité, propulsant durant quelques heures sa capitalisation à 35 milliards de dollars, avant de voir le soufflé retomber. Quoi que… Le $Trump tourne aux alentours des 30 dollars alors qu’il a été mis en vente à 6 dollars. Au moment d’écrire ces lignes, le $Melania valait, lui, environ 2,5 dollars…

En réalité, Melania et Donald Trump façon dollar numérique ne sont pas pleinement des cryptomonnaies, mais plutôt des meme coins. C’est-à-dire, concrètement ? “Pour faire simple, on peut dire qu’un meme coin est un type de cryptomonnaie qui tire généralement son origine ou son inspiration d’un mème internet, d’une blague ou d’une tendance culturelle populaire, explique Julien Vallet, CEO et cofondateur de la plateforme de cryptos Finst. Mais contrairement aux cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’ether, qui ont souvent une utilité technique ou une proposition de valeur spécifique, les meme coins reposent principalement sur leur caractère viral et leur aspect spéculatif.”

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“Un meme coin tire généralement son origine d’une blague ou d’une tendance culturelle populaire.” – Julien Vallet (Finst)

Tel est l’univers des meme coins, une sorte de “Far West des cryptomonnaies”, titrait dernièrement le magazine français Le Point. Un nouvel eldorado numérique pour le moins pas comme les autres, mais qui ne cesse pourtant de capter l’attention des investisseurs, des communautés en ligne et même des personnalités publiques. Et ce, quasiment au départ de rien.

Pepe la grenouille

Les mèmes, en français dans le texte, naissent en effet de rien : d’une simple blague, d’une personnalité en vue comme Trump, de certaines idées à la mode ou encore d’un trait d’humour qui s’enflamme sur internet. Ainsi est d’ailleurs né, en 2013, le premier des meme coins, le dogecoin. Au départ, il s’agissait d’une plaisanterie pour se moquer du bitcoin. Une plaisanterie dont le logo a pour origine un chien souriant de race shiba inu, répondant au doux nom de Kabosu, et dont la photo a fait le buzz sur internet parce que sa maîtresse japonaise l’avait sorti d’un refuge pour animaux qui allait fermer. Aussi, un autre meme coin est apparu, le Shiba Inu, avec comme but de se moquer du dogecoin, voire de l’enterrer.

Vous suivez ? Car on est loin du bitcoin et des autres “véritables” cryptomonnaies. “Le bitcoin et l’ether, par exemple, sont utilisés comme monnaie pour payer les frais de transaction sur leur blockchain respective, poursuit Julien Vallet. Pour effectuer une transaction sur le réseau Ethereum, il est nécessaire d’avoir de l’ether pour payer les frais de transaction. Idem pour le bitcoin, le solana, etc. Il y a donc une réelle utilité pour ces cryptos, contrairement aux meme coins.”

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“Ils ne servent à rien, c’est juste de la spéculation pure et absolue.” – Kevin de Patoul (Keyrock)

Encore plus critique, Kevin de Patoul, le CEO de Keyrock, société bruxelloise teneur de marché sur plusieurs plateformes cryptos, ne mâche pas ses mots non plus. Pour lui, les meme coins n’ont absolument aucun intérêt, ni technologique, ni transactionnel. En fait, “ils ne servent à rien, tranche-t-il. Il n’y a aucune logique économique derrière, c’est juste de la spéculation pure et absolue”. Et tant pis s’il en existe de plus en plus. Des milliers même, au rang desquels les plus connus sont le dogecoin, le Shiba Inu, Pepe la grenouille ou encore Peanut l’écureuil. Avec à la clé des capitalisations qui atteignent plusieurs dizaines de milliards d’euros pour certains d’entre eux.

SHIBA INU avait pour but de se moquer du dogecoin, lui-même émanant d’une plaisanterie autour du bitcoin. © Getty Images

Baromètre politique

Et voilà maintenant qu’au milieu de cette ménagerie, on trouve en plus aussi les jetons du couple Trump. Surfant sur le retour du républicain et de son épouse à la Maison Blanche, “ce Trump Meme célèbre un leader qui ne recule jamais, quelle que soit la situation”, explique le site officiel du projet, évoquant la tentative d’assassinat dont a fait l’objet celui qui était alors candidat à la présidentielle en juillet dernier. Décidément, rien n’arrête le businessman.

“D’après les informations disponibles, analyse plus prosaïquement Julien Vallet, la devise n’a pas réellement d’utilité si ce n’est qu’elle a reçu le soutien de nombreux investisseurs qui espèrent que Trump mettra en place une politique favorable aux cryptomonnaies aux États-Unis. Il est probable que ce jeton serve de ‘baromètre’ politique pour les quatre prochaines années, et que son prix fluctuera à mesure des décisions prises par Donald Trump. Idem pour son épouse, sauf qu’il s’agit cette fois du token de la première dame des États-Unis, dont l’impact semble toutefois beaucoup moins important que celui du président.”

Snoop Dog, Caitlyn Jenner…

Mais comment expliquer que des actifs qui ne servent à rien fédèrent autant de gens ? Premièrement, pas besoin de savoir coder pour créer sa monnaie. “Il est relativement facile de créer son propre coin en utilisant des sites comme pump.fun, qui sont très connus pour cela et le font même pour vous”, signale Kevin de Patoul. Deuxièmement, spéculation et opportunisme figurent très certainement parmi les principales raisons qui motivent les investisseurs, même si pour certains, soutenir un meme coin peut refléter une conviction personnelle sur un sujet particulier.

Et puis, “contrairement aux actions par exemple, il n’est pas nécessaire de détenir des connaissances ou une expérience particulière pour investir dans un meme coin, ajoute Julien Vallet. D’une certaine manière, tous les investisseurs sont égaux face aux meme coins, et beaucoup espèrent être au bon endroit au bon moment, un peu comme s’ils achetaient un ticket de lotto.” Pour preuve, la création récente du Department of Government Efficiency (DOGE) aux États-Unis a, par exemple, contribué à l’augmentation brutale du prix du dogecoin ces derniers mois.

L’ampleur du phénomène est telle que des célébrités comme Snoop Dog ou Caitlyn Jenner n’hésitent pas à se prêter au jeu. But ? Très certainement pour “monétiser une audience en ligne”, indique Kevin de Patoul. “Très certainement aussi pour élargir leur communauté et s’enrichir à titre personnel grâce aux investissements effectués dans leurs meme coins, avertit Julien Vallet. Les fondateurs détiennent souvent une quantité importante de leur propre meme coin, et il n’est pas rare qu’ils en vendent lorsque le prix atteint des montants élevés.”

Gare aux arnaques

Il est vrai que les arnaques ne manquent pas au Far West des meme coins. C’est un fait. Parmi celles-ci figurent notamment le rug pull qui consiste à créer un jeton sur une blockchain, à en faire la promotion de manière très active pour attirer des investissements, puis à disparaître en emportant les fonds investis. Dans un autre genre, on citera l’airdrop qui consiste à distribuer gratuitement des tokens ou des pièces numériques à des utilisateurs. But de la manœuvre ? Booster la notoriété d’un projet blockchain ou fidéliser une communauté existante. D’où la question : les meme coins ont-ils un avenir, ou pas vraiment ? Seule certitude : ils divisent l’industrie crypto.

D’un côté, certains les apprécient parce qu’ils attirent les novices, démocratisent l’adoption et créent des communautés engagées, offrant une visibilité au secteur. Une visibilité accrue que regrette néanmoins Kevin de Patoul dans la mesure où “plein d’autres innovations utiles et intéressantes pour la société sont créées autour des actifs numériques”, dit-il.

Mais c’est surtout la volatilité et l’absence de valeur fondamentale des meme coins, ainsi que leur lien fréquent avec des arnaques, qui risquent de ternir l’image des cryptomonnaies considérées comme plus sérieuses à l’instar du bitcoin. Tout cela complique la crédibilisation de l’industrie crypto auprès des régulateurs et des investisseurs institutionnels, selon Julien Vallet : “À court terme, les meme coins peuvent nuire à la réputation du secteur, même si à long terme, ils pourraient agir comme une porte d’entrée vers des projets plus sérieux, si ceux-ci sont bien encadrés”, déplore le patron de la plateforme d’échange, qui ajoute en guise de conclusion, qu’il faut bien évidemment “faire faire preuve de prudence avant d’investir en cryptomonnaies et bien analyser les risques auxquels on s’expose”.

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