Les cryptos servent-elles vraiment à quelque chose?

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François Remy Journaliste

Si l’on est une entreprise exportatrice tolérant de longs délais pour ses transactions internationales, si l’on est un citoyen peu soucieux de la création monétaire incompatible avec les défis de durabilité, si l’on est un consommateur bancarisé se satisfaisant d’une application mobile pour gérer son argent, c’est vrai, les cryptomonnaies ne recèlent pas grande proposition de valeur…

“Nous n’avons pas besoin de plus de monnaie numérique, nous en avons déjà une”, a récemment protesté Gary Gensler, le président de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain des marchés, en référence au dollar, omniprésent sous forme électronique. Cet ancien de Goldman Sachs s’est montré catégorique. Et pour cause, son agence gouvernementale vient d’attaquer en justice deux géants du marché du bitcoin: la plus grande plateforme d’échange de la planète, Binance, ainsi que son homologue américain, la populaire Coinbase.

Plus qu’un règlement de compte, la SEC a véritablement déclaré la guerre aux cryptos. “Nous n’avons pas vu, au fil des siècles, que les économies et le public avaient besoin de plus d’un moyen pour déplacer la valeur”, a insisté Gensler, interviewé par la chaîne CNBC.

Le coup porté par le gendarme américain intervient à un moment particulier dans la jeune histoire des cryptos, le marché ayant perdu près de deux tiers de sa valeur depuis novembre 2021. L’indicateur de santé de l’écosystème, la cryptomonnaie originelle bitcoin (BTC), a vu son cours boursier quitter un sommet à plus de 68.000 dollars l’unité pour vivoter autour des 25.000 dollars depuis. Un coup de froid sur fond de scandales, chocs majeurs et autres effondrements qui ont nui à la crédibilité de cette industrie encore naissante.

“Ces promesses n’ont pas été tenues et semblent de plus en plus irréalisables.”

Les actifs digitaux ont traversé une période “indéniablement misérable”, pour reprendre les mots employés devant le Congrès américain en mars dernier par Mike Belshe. Pour les non-initiés, ce dernier est CEO de BitGo, entreprise californienne pionnière des cryptos (depuis 2013! ), tournée vers la clientèle institutionnelle, et qui a tôt fait de jouer le jeu de la réglementation dédiée comme si elle existait. Ce misérabilisme que Belshe a évoqué a fédéré les anti-cryptos de tous poils, les poussant à proclamer “je vous l’avais bien dit, les actifs numériques ne sont pas faits pour notre système financier”.

A contrario, le patron de BitGo a fait valoir que le problème ne découlait pas de ces applications technologiques que sont les cryptos mais du fait que nous ne les ayons pas encore (mieux) intégrées à nos systèmes, lois, usages.

Des vertus artificielles?

Les cryptos constituent un environnement émergent, mouvant, pour ne pas dire chaotique. Une réalité numérique parallèle où convergent simultanément tous les enjeux sociétaux bien réels, de l’économie à l’écologie. Et avec ces enjeux, autant de compétences diverses, de partis pris idéologiques, de dogmatismes dans les camps tant des détracteurs que des enthousiastes. Avec, faut-il le concéder, une certaine surmédiatisation accordée aux arguments à charge.

C’est que, “au cours des 14 années qui ont suivi l’apparition du bitcoin, les partisans ont promis que les cryptomonnaies allaient révolutionner l’argent, les paiements, la finance, ou tout cela à la fois. Ces promesses n’ont pas été tenues et semblent de plus en plus irréalisables”, s’était indigné en septembre passé le magazine institutionnel F&D du Fonds monétaire international, dénonçant le “charme superficiel” de ces prétendues devises digitales.

“Les booms et les krachs pourraient avoir de larges conséquences économiques si la crypto est intégrée au système financier traditionnel”, s’y inquiétait Hilary J. Allen, experte en droit bancaire et professeure de droit à l’American University Washington College of Law. Des craintes prémonitoires, un mois avant qu’un cataclysme frappe la planète crypto lors de la chute de la plateforme d’échanges phare FTX.

La fréquence accrue de faillites et scandales toujours plus grands dans l’industrie du bitcoin a ainsi pris une dimension de plaisir coupable pour les acteurs économiques classiques, un plaisir désormais assumé publiquement. Ces implosions constituent “de bonnes nouvelles en soi pour nous”, a concédé Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), lors de la présentation du rapport annuel 2022. Pour le banquier central, ces circonstances ont offert une leçon aux investisseurs et, au moins temporairement, stoppé la montée des actifs numériques.

Le propos du gouverneur de la BNB pointe, peut-être à son insu, une vertu fondamentale des monnaies et autres tokens numériques nés du bitcoin: la remise en question de la finance traditionnelle, du rôle des banques, des politiques monétaires. “L’émergence des crypto-actifs et des services bancaires qui y sont liés affecte le système financier de manière générale et le secteur bancaire en particulier”, confirme dans son analyse le rapport annuel de la Banque nationale.

La valeur numérisée

“La crypto révolutionne la manière dont on échange de la valeur”, aime à rappeler sur Twitter et ailleurs Kevin de Patoul. Cet ancien consultant chez Roland Berger a fondé à Bruxelles fin 2017 la société Keyrock. Une entreprise “faiseuse de marché” (market maker) dont les algorithmes interviennent sur des dizaines de plateformes d’échange autour du monde afin de concilier les désirs des acheteurs et des vendeurs d’actifs numériques. En plein krach crypto en novembre dernier, Keyrock avait réussi à lever quelque 72 millions de dollars.

Car ce qui compte finalement, défend ardemment Kevin de Patoul, c’est l’utilité des cryptos, dont le potentiel technologique n’est pas du tout fragilisé par ces turbulences autour de FTX ou d’un géant comme Binance. Certes, celles-ci ont freiné la maturation du marché crypto, cela a entamé la confiance d’un grand public mal informé. Mais cela n’enlève rien à la valeur ajoutée de la tokenisation d’un actif, en termes de fluidification des transactions, d’économie de traitement et de règlement, d’optimisation de transfert ou de stockage.

Sam Bankman-FriedLa faillite de sa plateforme de cryptos FTX, en novembre dernier, a instillé le doute dans l’esprit du consommateur lambda.
La faillite de la plateforme de cryptos FTX et l’arrestation de son patron Sam Bankman-Fried ont instillé le doute dans l’esprit du consommateur lambda. © Getty Images

“Vous pouvez automatiser un grand nombre de ces étapes, et certaines d’entre elles peuvent être entièrement éliminées. En outre, vous obtenez potentiellement des informations enrichies sur l’actif, son mouvement et sa propriété”, expliquait encore dernièrement le CEO de Keyrock au mensuel économique The Banker.

Les technologies crypto et blockchain rendues célèbres au travers du bitcoin permettent de créer des actifs aussi uniques que le cash, mais aussi simples à transférer que des courriers électroniques. Autrement dit, de la même façon que les actions papier ont été remplacées par leurs pendants électroniques, les systèmes centralisés de la finance vont être remplacés par d’autres offrant des possibilités de décentralisation. Ce qui aurait le même impact sur l’échange de valeur(s) qu’a pu avoir internet sur l’échange d’informations.

Une adoption malgré tout

Malgré les crises existentielles traversées par l’écosystème, sur lesquelles les cryptosceptiques s’empressent d’appuyer leurs prophéties de malheur, l’adoption des actifs, tokens et autres jetons numériques s’est montrée jusqu’ici “stable et durable”, ont objectivé les experts de Crypto.com. Cette plateforme d’échange dénombre 80 millions de clients à elle seule. Clientèle qu’elle sonde et dont elle analyse la dynamique en interne. Selon ses calculs, le nombre de détenteurs de cryptomonnaies a franchi le cap symbolique des 400 millions de personnes en novembre 2022 (nous étions pourtant en pleine débâcle de FTX) et s’élevait fin décembre à 425 millions. A l’heure d’écrire ces lignes, on souhaiterait savoir si cette base d’utilisateurs a poursuivi une expansion soutenue ces six derniers mois. La méthodologie comporte certes des limitations mais qui sont clairement épinglées par les analystes (biais d’échantillonnage, un inventaire imprécis des comptes/adresses, etc.) en vue de mesurer l’accueil réservé aux cryptomonnaies de façon aussi précise que possible.

Même distordus, ces chiffres restent de nature à encourager l’industrie du web3 qui émerge. Car à un taux de croissance stable, la communauté des détenteurs de cryptos pourrait facilement tutoyer les 600 millions d’ici la fin 2023.

“Un intérêt persistant et un engagement accru.”

Aussi contre-intuitive que cette affirmation puisse paraître, la confiance règne dans les cryptomonnaies. En tout cas auprès des personnes qui en possèdent déjà ou en avaient possédé ces trois dernières années. C’est l’enseignement du sondage annuel 2023 de Paxos, une société américaine qui a développé des solutions blockchain pour des institutions telles que PayPal, Bank of America ou Credit Suisse.

D’après les 5.000 sondés en janvier, le sentiment des consommateurs à l’égard de l’univers du bitcoin n’a pas cédé au fatalisme. Au contraire, le rapport de Paxos souligne “un intérêt persistant et un engagement accru”: plus de 75% des utilisateurs gardent confiance dans l’avenir des cryptomonnaies et autres actifs numériques. Fait notable, ces résultats n’exhibent aucun changement par rapport à la précédente enquête d’opinion annuelle. D’ailleurs, 72% des répondants ont affirmé qu’ils restaient “peu ou pas du tout inquiets” malgré les chocs à répétition.

De l’utilité sociale

Les chocs ont donc eu valeur de stress-tests pour l’écosystème crypto. La plupart des utilisateurs ont même prévu de ne pas adapter leurs habitudes à la suite des événements, voire d’investir davantage en profitant de cryptoactifs au rabais. “Les gens aiment parier. Sur les courses de chevaux, les matchs de football et bien d’autres événements. Et certains investisseurs continueront à parier en prenant des positions spéculatives sur les cryptoactifs”, avait psychanalysé Fabio Panetta lors d’une de ses fréquentes saillies. Ce membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) ne lésine plus désormais sur les nuances, exhortant les régulateurs à envoyer bitcoin au bûcher.

Docteur en économie italien dont la trajectoire professionnelle n’est jamais sortie des grandes institutions monétaires, Fabio Panetta répète à l’envi que les cryptos ne jouissent “d’aucune valeur intrinsèque”, ne permettent “aucune fonction sociale ou économique utile” et que seuls des investisseurs rêvant de les revendre plus cher que leur prix d’achat les emploient. “Il s’agit d’un jeu de hasard déguisé en placement financier”, affirme-t-il, arguant qu’une seule solution existe pour fonder l’écosystème digital de la finance: la monnaie de banque centrale.

“Une opportunité majeure pour les entreprises.”

Emettrice de l’argent public et gardienne du bon fonctionnement des systèmes financiers, la BCE a la responsabilité de veiller à l’accessibilité des moyens de paiement. Avec la transformation digitale, l’institution monétaire cherche à cerner la pertinence d’un euro numérique aux côtés du cash. Le phénomène de création monétaire populaire engendré par l’invention du bitcoin ennuie naturellement. Surtout qu’un changement de comportement est survenu: si les détenteurs de cryptos s’intéressent encore à leur qualité d’investissement (sur le long terme majoritairement), les utilisateurs désirent aussi employer leurs monnaies numériques pour payer des biens ou services.

Trois des cinq cas d’utilisation les plus populaires concernent des transactions quotidiennes, en ce compris les paiements mais aussi les envois de fonds (remittances). “Cela représente une opportunité majeure pour les entreprises de permettre l’achat de biens en cryptos auprès des commerçants et les échanges en cryptos entre amis et familles”, ont fait remarquer les analystes de Paxos.

Progrès après progrès

Le paysage des paiements a subi des changements notables. Au point que, lors de sa dernière étude sur l’attitude des consommateurs en la matière, la BCE n’a plus pu faire l’impasse sur les actifs cryptos. En moyenne dans la zone euro, 10% des propriétaires d’actifs numériques les utilisent uniquement pour payer, ont chiffré les rapporteurs de la BCE. Une proportion qui contraste avec “l’attention accrue qui leur est portée, tant dans la culture populaire que sur les marchés”. Mais le constat factuel demeure que “les cryptos ont commencé à s’infiltrer de plus en plus dans le courant dominant”, concède la BCE.

Pourquoi dès lors ne pas profiter des progrès offerts par ces nouveaux outils technologiques pour améliorer nos systèmes? Depuis le bitcoin, il n’a jamais été aussi facile de suivre des flux financiers. La révolution industrielle annoncée du web3, avec les technologies blockchain et crypto, ne pouvait se déployer qu’au travers d’évolutions réglementaire, politique, citoyenne? Encore “au stade de l’enfance”, les cryptos éprouvent “des douleurs de croissance”, relativise-t-on chez Bloomberg Intelligence.

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