Circuler moins mais circuler mieux: vers une réduction des distances parcourues après la crise du Covid?

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Les nouvelles mesures sanitaires ont à nouveau fait disparaître les embouteillages. Tout simplement parce que nous utilisons moins la voiture. La solution aux embouteillages aux heures de pointe réside-t-elle dans une réduction des distances parcourues?

Le Covid-19 a aussi un impact sur le débat sur la mobilité. Le vélo gagnera-t-il à nouveau du terrain pendant le confinement hivernal? Par peur des contaminations, les transports en commun devraient sans doute attirer moins de voyageurs. Et le télétravail démontre à l’évidence que les embouteillages disparaissent avec moins de voitures sur nos routes. La solution aux embouteillages est simplement une question d’offre et de demande.

Jusqu’avant la pandémie, les défenseurs les plus acharnés de l’automobile clamaient que la solution réside dans l’augmentation du nombre de voies de circulation. De leur côté, les experts en mobilité pointaient l’effet de la demande latente: toute augmentation de capacité attire de nouveaux automobilistes jusqu’à ce que les bandes de circulation se remplissent à nouveau et que l’on retrouve les embouteillages. Les économistes des transports parlent de la loi de la demande induite. “Les Pays-Bas en sont un bon exemple, explique le professeur Dirk Lauwers, de l’université de Gand. Depuis 2008, les Néerlandais ont énormément investi dans le nombre de voies de circulation. Ces milliards dépensés en travaux d’infrastructure ont semblé être efficaces pendant un temps, mais en décembre 2019, on a retrouvé les embouteillages d’il y a 10 ans. On ne peut pas maîtriser les problèmes de mobilité avec plus d’asphalte. Il faut agir sur la demande en augmentant le prix de la mobilité automobile.”

Le débat sur la mobilité est un faux débat: nous vivons déjà dans une société très mobile.

Taxe kilométrique

Selon l’OCDE et la Banque mondiale, la mobilité n’est pas assez chère. Les deux institutions fondent leurs conclusions sur un consensus relativement clair parmi les économistes du transport. Même s’il faut apporter quelques nuances importantes à ce raisonnement: “Pour certains, la mobilité est trop chère, et pour d’autres, elle ne l’est pas assez, note l’expert en mobilité Kris Peeters. Notre société se caractérise par un partage inégal de la mobilité. Certains veulent se déplacer mais ne peuvent pas se le permettre, une pauvreté en matière de mobilité souvent cachée… La politique se concentre sur les problèmes visibles comme les embouteillages, le stationnement ou la pollution”.

L’urbaniste et économiste Thomas Van Outrive (UAntwerpen) n’est pas certain qu’il soit souhaitable d’augmenter le prix de la mobilité: “Je nuancerais également cet argument parce que la mobilité constitue un droit fondamental, au même titre que l’enseignement et la santé. Nous avons des besoins de mobilité quotidiens, même s’il est évident que certains de nos déplacements ne peuvent être considérés comme essentiels”.

Parmi les moyens de transport, c’est aussi la voiture qui présente le coût social le plus élevé, selon une étude de Leuven Transport & Mobility datant de 2016. Une simulation avec différents véhicules avait révélé que les déplacements vers Anvers et Bruxelles en heures de pointe n’étaient pas assez chers. “La seule manière d’y remédier est d’augmenter le coût du navettage, remarque Dirk Lauwers. De préférence avec une taxe kilométrique intelligente qui tient compte des moments et des endroits où la demande pèse le plus. Un péage urbain à Bruxelles est une alternative. Des péages de ce type ont déjà été instaurés dans plusieurs villes européennes et ils y ont provoqué une baisse du trafic de 20 à 25% aux heures de pointe.”

Une taxe kilométrique, c’est efficace, répond Thomas Van Outrive. Et d’un certain point de vue, il est intéressant d’intégrer des coûts externes comme la qualité de l’air et la sécurité dans le prix de la mobilité automobile. Mais une taxe kilométrique est contraire au principe de justice sociale car cela revient à dire que ceux qui sont prêts à la payer pourront rouler davantage.”

Stationnement

La politique de stationnement joue également un rôle crucial dans le comportement en matière de mobilité. Si le stationnement est plus cher, nous allons hésiter avant de prendre la voiture. Autrement dit: le stationnement gratuit favorise la congestion et la pollution en ville. “Un stationnement trop bon marché a parfois un coup social énorme, explique Dirk Lauwers. Des études aux Etats-Unis ont révélé que jusqu’à 30% du temps en voiture était consacré à la recherche d’un stationnement. Chez nous, tourner un quart d’heure avant de trouver une place est désormais la norme dans certains quartiers. Dans ce cas, nous ne payons pas le déséquilibre offre/demande en argent, mais en temps.”

Notre système fiscal a incité à habiter loin de son lieu de travail. Même avec une mesure comme l'indemnité vélo.
Notre système fiscal a incité à habiter loin de son lieu de travail. Même avec une mesure comme l’indemnité vélo.© BELGA IMAGE

La politique d’une ville a un impact direct sur l’acquisition d’une voiture. On recense, par exemple, moitié moins de voitures à Amsterdam qu’à Anvers. Cela provient notamment du fait qu’à Amsterdam, on payera 280 euros par an pour un permis de stationnement et qu’il y a une liste d’attente. A Stockholm, c’est 1.225 euros par an! Alors qu’à Anvers, tous ceux qui ont une adresse peuvent obtenir jusqu’à deux cartes de stationnement gratuites.

Aménagement du territoire

Notre pays a été bâti en fonction des navetteurs. Les fameuses “constructions en ruban” le long des routes de campagne en sont la conséquence, ainsi que la densité de nos réseaux routier et ferroviaire, la plus élevée d’Europe. “En termes d’infrastructure, une personne qui habite le long d’une route coûte environ sept fois plus cher qu’une personne qui habite en centre-ville, insiste Dirk Lauwers. L’étalement spatial accroît également la pression écologique parce que nous continuons à considérer la mobilité comme un droit fondamental. On trouve souvent deux ou trois voitures devant les villas à la campagne.”

Le système fiscal a également incité à habiter loin de son lieu de travail. Même avec une mesure comme l’indemnité vélo. “Certains Belges parcourent 40 km par jour à vélo, sourit Kris Peeters. Et l’indemnité vélo augmente avec la distance… En fait, nous subventionnons ceux qui choisissent d’habiter plus loin de leur lieu de travail. La carte essence qui accompagne la voiture de société a le même effet. Les remèdes, comme le renforcement des centres urbains ou la nodalité, sont connus depuis longtemps. Sauf que nous n’avons pas toujours mis ces principes en pratique. Les constructions en ruban gagnent toujours du terrain. Il est grand temps de s’y attaquer.”

A l’Institut pour la mobilité de l’université de Hasselt, Willy Miermans plaide depuis des années pour une taxe d’habitation basée sur les principes de la taxe kilométrique. Selon lui, il est indispensable de repenser la fiscalité du logement. Aujourd’hui, ceux qui habitent loin de leur lieu de travail ne doivent pas supporter les frais supplémentaires qu’ils provoquent en matière d’infrastructure. “Il serait bon de corriger ces mécanismes pervers. Mais cela implique un tax shift assez iconoclaste”, conseille Kris Peeters.

Les bouchons, un mal nécessaire?

Est-il d’ailleurs réellement opportun de résoudre la question des embouteillages? Ils font en effet office de régulateurs de la mobilité. “Les bouchons sont une entrave aux déplacements urgents mais pour les déplacements moyens, ils sont souvent déjà intégrés dans le calcul du déplacement, explique Kris Peeters. Les gens n’y voient qu’un mal nécessaire: ‘c’est vrai que je vais perdre du temps mais j’écoute ma propre musique et j’ai la climatisation’, se disent-ils. Ils ne chercheront une alternative que lorsque la perte de temps sera plus importante que les avantages personnels. Ainsi, les bouchons du matin nous incitent à réfléchir à nos déplacements.” On peut les comparer à un tube de dentifrice. Si celui-ci est presque vide et que l’on ne se rend au supermarché que dans quelques jours, on va se montrer plus économe. Il en va de même avec la mobilité, selon Kris Peeters, “mais nous faisons preuve d’une certaine nonchalance, personne ne veut se lancer dans une analyse coût/bénéfice avant de partir…”

Les frais cachés ne plaident pas non plus en faveur de la voiture. L’entretien de l’infrastructure routière coûte très cher. “Et cela signifie que le budget que nous dépensons pour résoudre les embouteillages n’est plus disponible pour investir dans des pistes cyclables, des bus ou d’autres alternatives”, explique Kris Peeters.

Faux débat

Aujourd’hui, la Mobility as a Service (MaaS) est de plus en plus souvent vue comme une solution (lire aussi en pages précédentes). Une appli installée sur le smartphone permet de passer du vélo à la voiture partagée, puis aux transports en commun. Même si Kris Peeters affirme que “dans la pratique, tout le monde ou presque utilise déjà alternativement le vélo, la voiture et les transports en commun”, il avoue ne pas être un grand partisan du MaaS car ceux qui n’ont pas de smartphone en sont exclus. “Dans ce contexte technologique, on a parfois tendance à confondre l’objectif et les moyens. Je comprends que De Lijn investisse dans le numérique, mais la compagnie de transport risque d’oublier un public qui n’a pas d’autre choix que les transports en commun. Je ne suis pas contre le MaaS mais il a incontestablement des effets pervers. Une appli d’une compagnie de chemin de fer capable de proposer des alternatives ne tenant compte que de la vitesse et des correspondances risque de dissuader de nombreux voyageurs. En réalité, elle devrait également intégrer la possibilité de travailler, de lire ou de faire une petite sieste dans le train.”

Ce besoin de rouler 1h30 par jour

Le débat sur la mobilité est un faux débat: nous vivons déjà dans une société très mobile. Selon Thomas Van Outrive, il y a trop de mobilité. “Surtout lorsque nous observons la qualité de l’air ou l’impact climatique. Mais la sécurité routière aussi a un prix. Sans compter l’occupation de l’espace. Et il y a un prix social que nous payons pour la congestion du trafic: nos enfants perdent en autonomie, les gens évitent certains quartiers…”

“En fait, nous devons développer un réflexe moral et éthique: aujourd’hui, nous ne nous demandons pas assez pourquoi nous faisons certains choix de mobilité, souligne Kris Peeters. Nous laissons tout au marché. En tant qu’individu, je veux pouvoir aller partout, rapidement et dans un certain confort, mais ce système d’aspirations individuelles produit quelque chose que nous considérons collectivement comme un problème. Nous ne voulons pas de cette pollution et de ses embouteillages.”

Devons-nous dès lors réduire notre mobilité? Pas vraiment. Selon la loi de Brever, tout être humain veut faire en moyenne trois déplacements chaque jour et y consacrera une heure et demie. Ni plus, ni moins. “Même si nous résolvons les embouteillages, nous n’allons pas gagner de temps. Nous allons allouer le temps gagné à d’autres déplacements ou à des déplacements plus lointains. L’objectif n’est pas de réduire la mobilité mais de rendre plus mobiles davantage de gens qui en sont exclus aujourd’hui. Et cela implique peut-être une redistribution de la mobilité.”

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