Le “speed pedelec” Ellio, le vélo électrique ultra-rapide, conçu comme une voiture hybride

© PHOTOS DEBBY TERMONIA

Deux ingénieurs belges – Jorrit Heidbuchel et Tomas Keppens – ont créé un vélo électrique innovant ultra-rapide. Baptisé Ellio, ce “speed pedelec” est basé sur une technologie inspirée des voitures hybrides. Entretien.

Tomas Keppens a travaillé pour le constructeur automobile Toyota pendant 17 ans et aurait pu y terminer sa carrière paisiblement. Mais ce fan de vélo ne pouvait pas passer à côté de l’énorme potentiel du deux-roues dans le futur mix de mobilité. Il a eu l’idée d’intégrer la technologie acquise chez Toyota aux vélos à assistance électrique rapide afin de les rendre plus sûrs et plus fiables. Il a fait appel, pour donner un coup d’accélérateur à son projet, à des étudiants en master de la faculté d’ingénierie de la KU Leuven. Jorrit Heidbuchel (26 ans) était l’un d’entre eux. Jorrit avait pour mission d’adapter le système de propulsion de la Toyota Prius au speed pedelec. “Vu l’accueil réserve aux résultats, nous avons décidé de nous lancer à deux dans l’aventure”, confie ce dernier.

Nous nous considérons avant tout comme une entreprise technologique.”

Jorrit Heidbuchel

Les deux hommes ont présenté leur prototype en février dernier. L’e-bike Ellio est 100% made in Belgium. L’assemblage s’effectue dans l’entreprise Bewel de Tessenderlo, spécialisée dans le travail sur mesure. L’électronique a été confiée à la société Jabil (Hasselt), l’identité graphique à Achilles Design (Malines). Une première centaine de vélos ont été proposés à la vente au printemps. Et les 250 exemplaires de la deuxième salve ont presque déjà tous trouvé preneurs. Keppens et Heidbuchel projettent de commercialiser 2.000 Ellio l’an prochain pour atteindre le chiffre annuel de 20.000 exemplaires vendus d’ici à 2025.

En début d’année, les fondateurs ont levé 1,5 million d’euros, notamment auprès de la société d’investissement PMV. Un coussin qui leur permet d’envisager l’avenir avec sérénité jusqu’à fin 2021. Un refinancement ne devrait pas poser problème, assurent les fondateurs depuis leur QG, le domicile parental de Jorrit Heidbuchel à Lubbeek. L’accumulation de vélos dans le hall d’entrée et le séjour ne semble pas gêner les parents outre mesure. Mais vu l’augmentation du nombre d’employés et le projet d’extension des ventes à l’étranger l’an prochain, les fondateurs envisagent d’emménager dans de nouveaux locaux à Louvain.

Le
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Trends-Tendances. Pourquoi avoir initié ce projet?

Tomas Keppens. Au risque de passer pour un bobo écolo, j’aimerais contribuer à une meilleure mobilité, plus verte. Le but n’est pas de proposer un énième meilleur vélo aux cyclistes. Nous visons plutôt les automobilistes. Nous voulons leur faire comprendre que les déplacements à vélo sont aussi faciles que la conduite d’une voiture. Notre but est de convaincre un maximum de personnes de passer à la mobilité douce.

En quoi Ellio est-il différent des autres “speed pedelecs”?

Jorrit Heidbuchel. C’est le premier vélo électrique équipé de deux roues motrices, un système de propulsion que nous avons mis au point. C’est aussi le premier e-bike doté d’une boîte de vitesses entièrement automatique, donc plus fiable et plus maniable. La boîte de vitesses automatique est comparable à celle de la Toyota RAV4 hybride. Notre technologie est protégée par des brevets.

T. K. J’ai longtemps hésité mais Jorrit m’a donné la confiance nécessaire pour me lancer et le succès rencontré semble confirmer que j’ai pris la bonne décision. Nous avons engagé les bonnes personnes, trouvé d’excellents fournisseurs. Notre produit plaît malgré son look résolument différent. Un pari fou. Les roues d’Ellio sont plus petites aussi pour assurer une plus grande stabilité. Certains investisseurs désapprouvaient. PMV m’a demandé de revoir mon concept mais j’ai refusé. Nous travaillons d’arrache-pied depuis deux ans. Nous avons commencé en janvier 2018 et notre produit est déjà disponible. C’est très rapide.

Quels sont vos projets à long terme?

J.H. La principale difficulté réside dans le morcellement du marché et la disparité des réglementations relatives au speed pedelec. Le modèle vendu ici ne peut pas être exporté tel quel (les “speed pedelecs” sont tantôt considérés comme des vélos, tantôt comme des cyclomoteurs, Ndlr). Les Pays-Bas figurent en tête de liste, avant la Suisse, l’Allemagne et la Scandinavie. Dans les pays scandinaves où il neige plus fréquemment, les engins à deux roues motrices constituent un réel argument de vente. La législation relative aux speed pedelecs y est aussi plus favorable qu’en Allemagne, par exemple.

Nous voulons faire comprendre que les déplacements à vélo sont aussi faciles que la conduite d’une voiture.”

Tomas Keppens

La mentalité européenne évolue-t-elle vis-à-vis du “speed pedelec”?

J.H. Nous pouvons compter sur le soutien du groupe de lobbying Leva (Fédération européenne des fabricants de véhicules électriques légers, Ndlr) à l’origine de nom- breux changements qui vont dans le bon sens. Mais il est difficile de convaincre les politiques, vu la perception très négative des cyclistes. En Allemagne, où les lobbyistes sont très actifs, les associations de cyclistes font pression. En Flandre, le speed pedelec gagne en popularité. En Suisse également. Par contre en France, pays du cyclisme de compétition, le VTT électrique cartonne alors que le vélo à assistance électrique peine à s’imposer pour les déplacements utilitaires.

Ceci dit, le “speed pedelec” ne s’impose pas aussi vite que prévu…

T.K. Notre business plan n’en tient pas compte non plus. Si nous voulions grandir aussi vite que le fabricant bruxellois Cowboy ou le néerlandais VanMoof, ce serait un réel problème.

Ellio est-il le vélo dont vous rêviez?

T.K. Non. Le vélo de nos rêves est encore plus innovant mais le marché n’est pas encore prêt et les frais de développement seraient beaucoup trop élevés. Cela peut paraître présomptueux mais, au départ, les Tesla étaient équipées de toute une série de capteurs très sensibles qui n’ont pas été installés directement. Pareil pour notre vélo. Les nombreux senseurs d’Ellio sont capables d’un tas de choses.

La crise du coronavirus entrave-t-elle vos projets?

T.K. Elle ne les a pas freinés, en tout cas. Je dirais même que la crise était une opportunité. Avec les concessionnaires à l’arrêt du fait du confinement, Jorrit a effectué lui-même les parcours d’essais chez les clients, ce qui nous a permis de mieux cerner comment le client appréhende notre produit. J’ai eu beaucoup de chance. Deux semaines après mon dernier voyage d’affaires en Chine, le pays a fermé ses frontières.

J.H. Nous en avons profité pour réaliser toutes sortes de tests. Même si nous nous considérons avant tout comme une entreprise technologique, nous ne sommes pas assez naïfs pour nous croire capables de concevoir le produit parfait en laboratoire. Le feed-back des clients est primordial.

Lors de la présentation du prototype en février dernier, vous anticipiez la vente de 2.000 Ellio l’an prochain et de 20.000 exemplaires par an à partir de 2025.

T.K. C’est tout à fait faisable. Avec notre partenaire Bewel, nous étudions la possibilité de développer la ligne de production. Nous assurons aussi la formation de groupes cibles de travailleurs, des personnes devant parcourir une certaine distance pour se rendre au travail. Il y a cinq groupes cibles formés à ce jour. Ils seront 30 l’an prochain.

J.H. Bewel peut assurer la fabrication de 2.000 pièces. Mais si nous voulons accroître la production, son infrastructure doit être entièrement revue. Il s’agit d’un partenariat à long terme.

Quand aurez-vous besoin de capitaux frais?

J.H. Le but est de tenir jusqu’à fin 2021 avec le 1,5 million d’euros que nous avons levé. Cela devrait suffire pour le marché flamand et une incursion aux Pays-Bas. Pour la suite des opérations, nous verrons l’an prochain.

Combien de temps pourrez-vous oeuvrer de façon indépendante?

J.H. Nous pouvons assurer seuls la production de 20.000 vélos mais nous ambitionnons d’en vendre beaucoup plus. Ellio se veut un produit qui repousse sans cesse les limites de la technologie, une technologie qui doit rester abordable. Y arriverons-nous sans aide extérieure? C’est à voir.

T.K. A cause de la crise sanitaire, nous n’avons pas pu présenter notre produit à d’autres partenaires potentiels comme prévu. D’autres applications sont possibles, comme le triporteur par exemple. Nous n’avons pas l’intention d’en développer le cadre mais nous pouvons y intégrer notre technologie. Nous pour- rions fournir notre système de propulsion à d’autres fabricants de cycles.

J.H. Le marché des tripoteurs est en pleine expansion, en ville surtout. Le tripoteur présente de nombreux points communs avec le speed pedelec. Comme lui, il nécessite une homologation spéciale étant donné sa capacité de charge et sa puissance supérieures à celles d’un vélo électrique classique.

T.K. Nous sommes ouverts aux partenariats et aux acquisitions. Pour assurer rapidement une distribution internationale, il nous faut un autre partenaire. Nous sommes en pourparlers avec des partenaires potentiels capables d’apporter une valeur ajoutée à la distribution, à la production, voire à la recherche et au développement. J’ai gardé de bons contacts avec mes anciens collègues.

Avec des entreprises comme Toyota, votre ancien employeur?

T.K. Je ne citerai pas de nom mais un constructeur de voitures ou de motos qui connaît bien la réglementation en matière de production est l’option la plus logique. Nous avons encore beaucoup de lacunes à combler pour produire à très grande échelle.

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