Taux négatifs: payer pour épargner
Payer pour pouvoir mettre de l’argent de côté: on y est! Après ING et Triodos, il n’est pas exclu que d’autres banques suivent le mouvement et infligent aussi des taux d’intérêt négatifs aux épargnants.
Lentement mais sûrement, les taux d’intérêt négatifs contaminent les comptes des épargnants. Après Triodos qui a décidé de ponctionner l’épargne de ses clients, c’est au tour d’ING de sauter le pas. Voici quelques jours, la filiale belge du géant néerlandais a en effet annoncé qu’elle allait appliquer un taux négatif de 0,5% sur les dépôts supérieurs à un million d’euros pour ses clients particuliers.
Plus concrètement, ING va instaurer à partir du 1er janvier un solde maximum d’un million d’euros sur son compte d’épargne de base: tout ce qui dépasse cette limite sera automatiquement viré par la banque vers le compte à vue du client. Compte à vue sur lequel la rémunération sera de 0% pour les montants inférieurs à un million d’euros pour ensuite devenir négative au-delà (- 0,5%). En clair, le client qui a 3 millions d’euros chez ING aura droit au tarif suivant: le minimum légal de 0,11% (taux de base de 0,01% + prime de fidélité de 0,10%) sur le premier million parqué sur son compte d’épargne, tandis que sur son compte à vue, il se verra attribuer une rémunération nulle sur le deuxième million et ensuite une pénalité de – 0,5% sur le troisième million.
Toutes les banques sont confrontées au même problème. Elles croulent sous les liquidités et n’ont aucune raison d’attirer les déposants.” Eric Dor, professeur d’économie à l’IESEG
Triodos brise un tabou
Si ING est la première grande banque du pays à taxer les épargnants, certes les plus fortunés, ce n’est toutefois pas la seule à agir de la sorte. Quelques jours avant elle, Triodos a en effet brisé un sacré tabou en annonçant qu’elle se passerait prochainement des comptes d’épargne réglementés pour ne plus avoir en magasin que des comptes d’épargne non réglementés pour lesquels ne s’applique pas le corset légal de 0,11% mais qui sont soumis au précompte mobilier dès le premier euro d’intérêt.
Bref, le coup est vache pour les 72.000 épargnants de la petite banque “verte” qui ont jusqu’au 7 décembre pour se décider: soit ils changent de banque, soit ils optent pour son nouveau compte d’épargne non réglementé, à 0%, et qui donc ne rapporte rien… Voire qui pourrait même leur coûter de l’argent puisque la banque a prévu une pénalité pour les dépôts supérieurs à 500.000 euros. Au-delà de cette limite, Triodos appliquera en effet un taux d’intérêt négatif de 0,5%. Une mesure que la banque justifie en disant qu’elle s’adapte ainsi “aux conditions du marché dans lequel elle opère” et que les clients ne sont jamais venus chez elle pour ses tarifs mais bien pour “le caractère social et durable de la banque”.
Bien qu’il soit inédit pour une banque en Belgique, le choix de Triodos (et d’ING) n’étonne guère les observateurs, tel Eric Dor, professeur d’économie et directeur de la recherche à l’IESEG de Lille: “Depuis plusieurs années déjà, les banques s’inquiètent du taux négatif qu’elles doivent elles-mêmes payer sur leurs dépôts auprès de la Banque centrale européenne. Dans ce contexte où la rentabilité des banques est mise à mal, il était clair que les épargnants de base seraient un jour touchés. D’autant que certains clients, à l’étranger mais aussi en Belgique, se voient déjà imposer des taux d’intérêt négatifs sur leurs dépôts.”
Depuis un moment déjà, bon nombre d’enseignes (KBC, Belfius, Crelan, etc.) appliquent un taux d’intérêt négatif sur les dépôts des grandes entreprises. Du côté des particuliers, la banque privée Puilaetco impose depuis l’année dernière une pénalité aux clients qui possèdent plus de cinq millions d’euros en cash. Depuis le 1er octobre, la plateforme de courtage en ligne BinckBank facture pour sa part 0,5% aux clients dont les liquidités dépassent 25.000 euros. Quant à la banque en formation NewB, elle a déjà fait savoir qu’elle ne verserait aucun intérêt sur ses livrets d’épargne.
La faute à la BCE
A l’image d’ING qui se justifie en expliquant que “la politique que mène depuis 2014 la Banque centrale européenne pour stimuler la croissance économique en Europe conduit à une diminution continue des taux d’intérêt sur les crédits et les rendements des investissements”, les banques disent depuis longtemps que même un taux d’intérêt de 0,11% est insoutenable parce qu’il leur coûte de l’argent. Il est vrai qu’offrir du 0,11% sur les comptes d’épargne quand la gardienne de l’euro prélève une pénalité de 0,50% sur les liquidités excédentaires qui dorment dans ses coffres, cela coûte cher. Surtout que comme le souligne Eric Dor, “les possibilités de remploi pour recycler l’argent des déposants se font de moins en moins nombreuses et de moins en moins rémunératrices. La demande pour prêter est insuffisante. Les ménages et les entreprises ne sont pas enclins à emprunter vu les incertitudes liées à la crise. Acheter de la dette publique, c’est la même chose. A cause des taux négatifs, il faut payer de plus en plus pour pouvoir prêter de l’argent aux Etats. Et en plus, il faut passer des provisions pour couvrir les éventuelles pertes sur les crédits défaillants liées à la crise. Il n’est donc pas surprenant de voir la pression s’accentuer sur les banques pour décourager les clients à faire des dépôts et tenter de les orienter vers d’autres formules d’épargne, en particulier les fonds de placement sur lesquels elles touchent des commissions”, dit Eric Dor.
La situation est d’autant plus perverse que la crise et la peur du lendemain poussent à épargner encore plus. Malgré la faiblesse des taux d’intérêt, BNP Paribas Fortis a ainsi vu le montant de ses dépôts d’épargne bondir de quasiment deux milliards d’euros au cours du premier semestre. Au total, près de 300 milliards d’euros dorment désormais sur les comptes d’épargne des banques en Belgique. Autrement dit, observe Eric Dor, “les dépôts s’accumulent suite aux confinements et restrictions successives qui empêchent de consommer normalement et créent une épargne forcée d’une partie des Belges qui ont la chance de conserver leur revenu. Le problème, c’est que cette épargne forcée devient maintenant, à cause de la deuxième vague, une épargne de précaution”, comme en témoignent les derniers chiffres du Baromètre des investisseurs d’ING, selon lequel près d’un Belge sur deux a l’intention d’augmenter son épargne dans les prochains mois. Est-ce dès lors le début de la fin pour les comptes d’épargne traditionnels? D’autres grandes enseignes bancaires suivront-elles? Pour l’heure, BNP Paribas Fortis, Belfius ou encore bpost banque jurent la main sur le coeur qu’elles ne suivront pas l’exemple d’ING. Faire de même serait en effet catastrophique sur le plan commercial pour celle qui oserait franchir le pas. N’empêche: l’orientation est mauvaise. “Toutes les banques sont confrontées au même problème, résume Eric Dor. Elles croulent sous les liquidités et n’ont aucune raison d’attirer les déposants.” Lesquels paient déjà une partie de la facture de la crise, en somme.
300 milliards : le montant en euros placé actuellement sur les comptes d’épargne des banques belges.
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