Miner du bitcoin: une activité vraiment rentable ?

De véritables "fermes de minage" ont vu le jour en Islande, où la géothermie fournit une énergie bon marché, et où les températures basses refroidissent les machines. © Reuters

La monnaie virtuelle est frappée par les “mineurs”, qui possèdent des ordinateurs adaptés à cette activité. Pour ce travail coûteux en matériel et en électricité, ils sont rémunérés en bitcoins. Parviennent-ils à dégager des bénéfices ?

Christophe Hermanns est un entrepreneur hyperactif. Expert dans la réalité virtuelle, la réalité augmentée ou encore l’impression 3D, le Namurois est un vrai touche-à-tout. Sa dernière marotte ? Le minage de monnaies virtuelles. Avec sa nouvelle société Vigo Creative, il vient d’acquérir cinq machines de minage. Objectif : participer à la création de monnaies virtuelles comme le bitcoin, l’ether, le monero ou le dash. Christophe Hermanns est ce que l’on appelle un mineur. Comme ses alter ego répartis dans le monde entier, il a opté pour du matériel informatique surpuissant, capable de créer du bitcoin.

Contrairement à une monnaie classique, la cryptomonnaie n’est pas émise par une autorité centrale. Elle est frappée de manière décentralisée, grâce à un réseau d’ordinateurs détenus par les mineurs. Ceux-ci branchent leurs machines sur le réseau pour servir deux objectifs : valider les transactions en monnaie virtuelle et créer de nouveaux bitcoins.

Le premier ” travail ” des mineurs est donc d’assurer ce processus de validation, qui permet de sécuriser les échanges (achats et ventes) de cryptomonnaies grâce à la technologie de la blockchain. Cette technologie décentralisée utilise les capacités informatiques d’une multitude d’ordinateurs répartis dans le monde entier – en l’espèce les machines des fameux mineurs. Chaque transaction doit être validée par ces ordinateurs fonctionnant en réseau, ce qui renforce la sécurité des échanges, les rendant quasiment infalsifiables et inattaquables par des pirates informatiques. Attention : si les échanges sont hautement sécurisés, ce n’est pas le cas des cryptomonnaies elles-mêmes et des plateformes qui les hébergent. Celles-ci subissent régulièrement des cyberattaques débouchant sur des vols massifs de devises numériques.

Le deuxième ” travail ” des mineurs est de créer de nouveaux bitcoins. Au total, 21 millions de bitcoins seront, à terme, mis en circulation. Ce chiffre est inscrit dans le marbre : c’est le code initial du bitcoin qui le prévoit. Le minage de nouveaux bitcoins est un processus en cours depuis la création de la monnaie virtuelle en 2008. Environ 80 % de ces 21 millions de bitcoins ont déjà été minés et mis en circulation. Mais le minage de nouveaux bitcoins nécessite des capacités informatiques toujours plus importantes, ce qui ralentit progressivement le processus. Celui-ci ne sera finalisé que dans plusieurs dizaines d’années. Certaines estimations évoquent l’an 2140 comme horizon.

Stephan Pire et une dizaine d'autres investisseurs se sont réunis pour assembler un
Stephan Pire et une dizaine d’autres investisseurs se sont réunis pour assembler un “rig”, une machine à miner de la monnaie virtuelle.© Gilles Quoistiaux

Tout travail mérite salaire

Les mineurs ne travaillent pas gratuitement. En contrepartie des calculs informatiques réalisés par leurs machines pour valider les transactions et créer de nouveaux bitcoins, ils reçoivent une récompense financière, matérialisée en monnaie virtuelle. Ce sont les investisseurs en cryptomonnaies qui payent cette récompense aux mineurs, via les frais de transaction imposés lors de chaque échange de devise.

Pour miner du bitcoin ou toute autre monnaie virtuelle, un ordinateur personnel ne suffit pas. Ce genre d’opération nécessite une puissance de calcul conséquente, qui ne peut être fournie que par un équipement ” professionnel “. Des machines similaires à celles acquises par Christophe Hermanns coûtent au bas mot 3.500 euros pièce. Fabriquées par la société chinoise Bitmain, leader du marché, elles se vendent comme des petits pains et sont régulièrement en rupture de stock. Signe que ce marché est particulièrement actif, le géant Samsung vient de se lancer dans la production de puces Asic, qui équipent ces machines de minage.

Pourquoi les mineurs se précipitent-ils sur ce type de matériel ? Seraient-ils assurés d’en dégager du profit ? Rien n’est moins sûr. Différents paramètres influent en effet sur la rentabilité de l’opération :

1. La concurrence

Le choix de la monnaie virtuelle a son importance. Si le bitcoin est la cryptodevise la plus utilisée dans le monde, c’est aussi celle qui attire le plus de concurrence. Il faut savoir que le processus de minage résulte d’une compétition féroce entre mineurs pour se procurer une part du gâteau. Le gâteau est la récompense octroyée aux mineurs pour leurs bons et loyaux services. Elle est versée sous la forme de bitcoins. Actuellement, toutes les 10 minutes, une somme de 12,5 bitcoins est versée aux mineurs les plus ” efficaces “.

Il faut savoir que le processus de minage résulte d’une compétition féroce entre mineurs pour se procurer une part du gâteau. Le gâteau est la récompense octroyée aux mineurs pour leurs bons et loyaux services.

Pour départager les concurrents, une ” énigme ” est proposée par le réseau : il s’agit de trouver une clé secrète constituée d’une suite aléatoire de chiffres et de lettres. Le premier à résoudre l’énigme reçoit 12,5 bitcoins. Toutes les machines des mineurs tournent en permanence à plein régime pour trouver au plus vite la bonne réponse, en essayant toutes les combinaisons possibles, les unes après les autres.

On peut donc assimiler ce processus à une gigantesque loterie connectée. Sauf qu’il est possible d’augmenter statistiquement ses chances de toucher le gros lot. Pour avoir une meilleure probabilité de trouver la solution et de décrocher la timbale avant les autres, les mineurs ont en effet développé une série de stratagèmes :

Un matériel surpuissant. Tout d’abord, comme mentionné plus haut, les mineurs achètent du matériel ” professionnel “. Sur son site internet, Bitmain vante les mérites de sa dernière machine, censée être la plus efficace au monde. Sous-entendu : grâce à ses performances, elle résout les énigmes plus vite que son ombre et augmente les chances de toucher la récompense. Forcément, elle est aussi plus chère que les autres. Et plus demandée. Une course à l’équipement le plus costaud se met donc en place.

Christophe Hermanns, CEO de Vigo Creative
Christophe Hermanns, CEO de Vigo Creative© belgaimage

Un travail en équipe.

Les mineurs ne travaillent pas seuls, mais en équipes (appelées pools). Rejoindre un pool permet de mettre en commun les puissances de calcul des machines et de se répartir ensuite les gains. Des plateformes professionnelles se sont développées afin de réunir des équipes de mineurs. Le fabricant chinois Bitmain a lui-même créé ses propres pools, qui réuniraient, selon certaines estimations, 30 % de la capacité totale de minage de bitcoins.

Le problème de ces plateformes ” collaboratives ” en ligne est qu’elles prélèvent une commission de quelques pour cent sur les récompenses en bitcoins. Mais elles sont un passage obligé pour les mineurs qui veulent rentabiliser leur investissement. Un mineur seul a peu de chances de toucher le jackpot : il ne ramassera que quelques miettes de bitcoin. Les mineurs doivent donc s’associer. C’est ainsi que Christophe Hermanns fait partie de différents pools, en fonction des différentes monnaies qu’il mine.

D’autres mineurs mettent aussi leurs machines en commun. C’est ce qu’ont fait une dizaine d’investisseurs réunis dans un collectif, dont fait partie l’entrepreneur liégeois Stephan Pire. Celui-ci a élaboré un rig, une machine impressionnante qui peut accueillir une vingtaine de cartes graphiques détenues par des personnes différentes mais tournant à l’unisson pour créer du Zcash, une monnaie virtuelle alternative. Ce rig, qui coûte environ 7.500 euros, est lui-même connecté en ligne à un pool de mineurs beaucoup plus large (en l’occurence Nanopool, qui compte à ce jour 18.000 mineurs de Zcash) afin de maximiser les chances de toucher les fameuses récompenses.

Des monnaies alternatives au bitcoin. Le troisième stratagème des mineurs est de se diriger vers d’autres monnaies virtuelles, où la concurrence est moins forte. C’est cependant une arme à double tranchant : comme les volumes de transactions sont moins importants sur des devises comme le litecoin ou le dash, le gâteau à partager y est plus petit. Par ailleurs, vu la saturation du marché du côté du bitcoin, de plus en plus de mineurs boudent la monnaie star et optent pour d’autres cryptomonnaies, ce qui augmente mécaniquement la concurrence sur ces devises alternatives.

2. La facture d’électricité

C’est un des dommages collatéraux de la création de bitcoins. Les machines à miner consomment une énergie folle. Elles peuvent atteindre une température de 80 degrés ! Avec quelques machines, vous pouvez facilement chauffer une grande salle à manger. Par contre, il faut s’habituer au bruit d’enfer que produisent les ventilateurs servant à refroidir les circuits internes pour éviter les risques d’incendie.

Conséquence immédiate de cette folle production d’énergie : la facture d’électricité explose. ” Chaque machine que je possède représente un coût d’environ 80 euros par mois “, témoigne Christophe Hermanns. La Belgique n’étant pas réputée pour son énergie bon marché, le minage de bitcoins y est moins rentable que dans d’autres contrées. On trouve énormément de mineurs de bitcoins en Chine, où l’énergie – produite essentiellement par des centrales à charbon – est peu chère. De véritables ” fermes de minage ” ont également vu le jour en Islande, où la géothermie fournit une énergie bon marché et où les températures basses refroidissent les machines.

En Belgique, la start-up liégeoise NR Mine a trouvé une ruse intéressante : elle récupère des excédents d’énergie dégagés par les panneaux photovoltaïques ou l’énergie hydraulique pour miner à moindres frais.

Frédéric de Frésart, consultant en informatique, s'est lancé dans le minage de cryptomonnaies en 2017.
Frédéric de Frésart, consultant en informatique, s’est lancé dans le minage de cryptomonnaies en 2017.© Gilles Quoistiaux

3. Le cours du bitcoin

La rentabilité de l’opération dépend enfin de l’évolution du cours de la monnaie virtuelle, qui fait office de rémunération pour les mineurs. Plus le cours baisse, plus l’équilibre s’éloigne. ” En décembre, je pouvais espérer être rentable en quatre mois. Au cours actuel, ce sera plutôt 10 mois “, souligne Christophe Hermanns.

Même constat pour Frédéric de Frésart, qui s’est lancé dans le minage de cryptomonnaies en 2017. Ce consultant informatique relativise la possibilité de réaliser une bonne opération, compte tenu du cours actuel du bitcoin. Il s’est amusé à faire un calcul de rentabilité pour une machine S9 fabriquée par Bitmain (coût : environ 3.000 euros) : ” Elle rapporte actuellement 0,001 bitcoin, soit environ 8 euros par tranche de 24 heures, et consomme l’équivalent de 2,3 euros d’électricité par jour. A cours constant, son achat est donc théoriquement amorti en… 600 jours ! “, pointe Frédéric de Frésart.

Vu la volatilité du cours des cryptomonnaies, même ce rendement futur est difficile à assurer. ” La rentabilité d’une activité de minage n’est jamais garantie, complète Stephan Pire. Aujourd’hui, une installation branchée sur un réseau belge d’électricité coûte entre 20 et 22 cents du kW. Notre rig nous coûte environ 1.000 euros par mois en électricité. C’est rentable au cours actuel. Mais si le cours descend, il va falloir trouver une alternative. ”

L’opération ne peut donc être intéressante que si le mineur trouve une solution pour payer son énergie moins chère… ou s’il est persuadé que les bitcoins qu’il récupère vaudront à l’avenir beaucoup plus. Ce qui équivaut à parier sur une hausse (hypothétique) des cours.

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