«Au lieu de donner un peu d’air aux banques pour rémunérer davantage d’épargne, on les punit»
Entretien avec Karel Baert, CEO de Febelfin, sur la nouvelle taxe prévue sur le secteur bancaire et les rapports parfois difficiles entre banquiers et politiques.
Les dernières décisions budgétaires du gouvernement concernent le secteur bancaire. Il devrait subir une taxe supplémentaire de 150 millions environ. Via deux décisions. La première est de supprimer totalement la déductibilité de la taxe bancaire, ce qui rapporterait environ 25 millions à l’État. La seconde, plus importante, touche les banques qui ont plus de 50 milliards de dépôts. Le gouvernement a décidé de faire passer la taxe sur les « dettes envers la clientèle » (sous cette dénomination, il faut surtout entendre les dépôts des épargnants), de 0,13%, à 0,17% pour la partie des portefeuilles de dépôts dépassant 50 milliards. Cela touche donc uniquement les grandes banques du pays. Selon une première estimation faite par Éric Dor, le responsable de la recherche auprès de IESEG school of management, les quatre principales banques du pays payeraient un peu plus de 120 millions d’euros de taxes supplémentaires (39,6 millions pour BNPP Fortis, 35,8 millions pour KBC, 22,5 millions pour Belfius et 22,4 millions pour ING Belgique).
TRENDS TENDANCES. Febelfin estime que cette nouvelle taxe va retirer de l’oxygène au secteur. Mais au vu des résultats des banques au premier semestre (les six principales banques du pays ont engrangé 6,3 milliards de bénéfices bruts, soit 4,75 milliards de résultats nets), cela paraît être une ponction minime, non ?
KAREL BAERT. On pourrait se demander ce que cette somme signifie au vu des résultats. Je trouve néanmoins personnellement que 150 millions est déjà un montant important. Mais surtout, c’est une taxe qui s’ajoute aux taxes précédentes. En 2022, les banques ont payé 3,6 milliards d’euros de taxes. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de secteurs qui en paient autant.
On ne parle pas ici seulement de l’impôt des sociétés qui s’appliquent toutes les entreprises, mais aussi de contributions additionnelles propres au secteur bancaire. Des contributions qui s’ajoutent, année après année, à mesure des contrôles budgétaires. Il semble que ce soit devenu une tradition pour le gouvernement de chercher auprès des banques l’argent nécessaire à combler les trous.
Et c’est pour moi une politique de très court terme. On réduit la capacité des banques à soutenir l’économie. C’est de l’oxygène que l’on retire aux institutions qui en ont besoin pour donner des crédits et améliorer la rémunération de l’épargne.
Vous avez des critiques sur le principe de la taxe. Mais sur sa forme ?
Cette taxe spécifique est basée sur les dépôts bancaires. Il est spécial que le gouvernement dise qu’il veut protéger les épargnants, mais décide de lever une taxe sur l’épargne ! Au lieu de donner un peu d’air aux banques pour rémunérer davantage d’épargne, on les punit. C’est quelque chose qui pour moi est incompréhensible. Mais nous n’avons pas encore vu le texte et nous sommes curieux de découvrir quelles motivations se cachent derrière cette décision.
Cette taxe sur les dépôts, dont le principe n’est pas neuf, avait été décidée pour compenser le fait que l’État était venu au secours du secteur en 2008, non ?
C’est en effet ce qui avait été dit à l’époque. Mais le montant de cette taxe a toujours été augmenté. Et puis, entre-temps, les banques ont rendu cet argent. Alors oui, certaines banques ont été aidées par l’État et elles peuvent le remercier. Mais ce ne sont pas toutes les banques. Et je crois qu’après 15 ans, le moment est venu de tourner la page.
Certains disent que finalement, ce sont les clients qui vont payer ces 150 millions.
Cela, je ne le dis pas. C’est maintenant à chaque banque de voir comment elles vont agir face à ces taxes supplémentaires. Mais Febelfin ne va pas dire que ce sont les épargnants qui doivent payer. Ce n’est pas à nous de dicter la politique commerciale de nos membres. D’ailleurs, l’Autorité belge de la concurrence (après la campagne des bons d’État, le ministre Dermagne a demandé un avis de l’autorité sur la manière dont se passait la concurrence dans le secteur, NDLR) a lancé une enquête et nous sommes comme toujours très stricts là-dessus.
Vous avez l’impression que les décisions fiscales concernant le secteur bancaire manquent de vision à long terme ?
Oui. Nous avons l’impression que puisque les banques font des bénéfices aujourd’hui, il faut les imposer. C’est assez étrange. Cela signifierait que toute entreprise qui affiche un return en equity de 10% (qui est la moyenne du secteur bancaire, NDLR) serait taxée davantage ? Le raisonnement actuel me semble plutôt être : prenons l’argent où il se trouve. Le rôle de Febelfin consiste bien sûr à défendre le secteur. Mais je crois qu’il est bon pour la société que les banques puissent constituer des réserves en prévision de temps plus difficiles, qui pourraient peut-être venir plus rapidement qu’on ne le pense. Et quand ils arriveront, on critiquera les banques de n’avoir pas été assez prudentes. C’est l’aspect vicieux de ce raisonnement.
Cette discrimination entre grandes banques qui ont plus de 50 milliards de dépôts et les petites pourrait-elle donner lieu à des procédures judiciaires ?
C’est une bonne question, mais nous n’avons pas encore reçu le texte de la décision et nous ne pouvons pas réagir avant d’avoir vu précisément ce que le gouvernement a voulu faire.
On a l’impression que, au fil des années, les relations entre le monde politique et le secteur bancaire se sont tendues. Pourquoi ?
Oui et j’en suis étonné. Je vous ai rappelé le montant des impôts que nous payons : 3,6 milliards l’an dernier. Mais pendant la crise du COVID, nous avons été les premiers à être présents pour supporter le gouvernement, nous avons été les premiers à soutenir les entreprises et les ménages, avec des dizaines de milliards de reports de paiement. Et lors de la crise énergétique l’an passé, nous avons été le seul secteur bancaire en Europe de l’Ouest à également prendre des mesures de soutien pour les plus fragiles. Les banques alors n’étaient pas à l’origine du problème, mais à l’origine de la solution. La lutte contre le blanchiment est aussi une tâche que le gouvernement a confiée aux banques, en leur donnant l’obligation de le faire, mais sans être payées pour cette tâche et en imposant des amendes sévères si ce travail n’est pas effectué correctement.
Mais on n’en tient pas compte, on trouve cela normal. Pourtant, nous jouons un rôle sociétal important pour lequel les banques investissent des centaines de millions. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres secteurs qui fassent autant pour la société.
Il y a eu un moment où l’on parlait de développer une industrie financière en Belgique, notamment en profitant du Brexit. Est-ce que cette vision a disparu ?
Vous avez raison et je l’ai déjà souligné dans le communiqué de presse publié cette semaine : nous lançons un appel au gouvernement pour se mettre autour de la table pour émettre une vision sur le secteur financier. Je l’ai déjà demandé à plusieurs reprises. Il ne faut pas voir le secteur comme un simple moyen de combler les trous budgétaires. Nous avons des fintechs, des universités parmi les meilleures du monde, les meilleures applications bancaires du monde. Nous pouvons faire beaucoup de choses pour promouvoir l’emploi. En préparation des prochaines élections, notre mémorandum vise à présenter le secteur financier partenaire du gouvernement. Je suis donc d’accord, il faut changer d’attitude. Mais c’est un effort qui doit venir à des deux côtés.
Propos recueillis par Pierre-Henri thomas
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