Attention au crash obligataire!

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La chance a souri à tous ceux qui l’an dernier, en dépit des signaux d’alarme, ont intégré à leur portefeuille de nombreuses obligations sur la période la plus longue possible. De ce fait, les fonds d’épargne-pension défensifs ont mieux presté que les fonds d’épargne-pension dynamiques en 2014. Que nous réserve 2015?

Bart Van Poucke, le gestionnaire qui est en charge de 4,6 milliards d’euros, soit la plus grande partie des fonds investis par les Belges dans l’épargne-pension, a réalisé en 2014 les meilleures performances grâce au fonds d’épargne-pension défensif de BNP Paribas Investment Partners : BNPP B Pension Stability affiche pour 2014 un return annuel supérieur à 10 % tandis que les fonds dynamiques de la même maison n’ont pas dépassé 9,4 %.

Pareille performance est pour le moins inhabituelle. En temps normal, les fonds défensifs réalisent un moins bon rendement que les fonds dynamiques puisque la prise de risques est plus limitée. Ces fonds défensifs ont été créés précisément pour protéger des crashs boursiers les économies des épargnants à l’heure de la retraite. Ces fonds investissent davantage en obligations et un peu moins en actions.

Contre toute attente, l’intérêt a encore baissé cette année pour atteindre un taux plancher historique, ce qui a eu pour effet de booster les fonds d’épargne-pension défensifs. Les taux en baisse dopent les cours obligataires. Plus la durée des obligations en portefeuille est longue, plus l’effet est renforcé. Illustration : les bons d’Etat belges sur trois ans n’ont rien rapporté l’an dernier. Un bon sur un, voire deux ans, a même produit un rendement négatif. Par contre, les obligations d’Etat belges sur 30 ans ont produit un rendement de 40 %.

Intrépidité

Bart Van Poucke sait faire preuve d’intrépidité lorsqu’il s’agit de garder une poire pour la soif. Il ne dédaigne pas les titres de créances des pays d’Europe méridionale plus faibles. Au 30 juin, il détenait, par exemple, des obligations françaises (0,5 % du portefeuille) venant à échéance en 2041, des obligations italiennes (0,6 %) échues en 2040 et des obligations espagnoles (0,1 %) échues en 2044. C’est en tout cas ce que révèle le dernier rapport semestriel. Reste à voir quel sera le verdict du rapport annuel.

“Nous misons sur une hausse des taux en investissant moins en obligations à long terme, par exemple, même si le faible rendement encore possible sur les marchés obligataires fond comme neige au soleil”, explique Bart Van Poucke. Son collègue Jan Deprez, aux manettes de l’Accent Pension Fund, a fait la douloureuse expérience de sa mise en retrait début 2014. Son fonds est le seul à finir dans le rouge. Tous les fonds d’épargne-pension du bas du classement ont probablement réduit la durée moyenne de leur portefeuille d’obligations, à hauteur de deux à trois ans.

Quid si l’intérêt augmente ?

“En mai 2013, nous avons eu un avant-goût de l’impact d’une augmentation des taux d’intérêt sur les cours obligataires”, rapelle Jan Deprez, de la Société Générale Private Banking. La banque centrale américaine (Fed) a prévenu le 22 mai 2013 : elle ne continuera pas à inonder le marché d’argent bon marché. Ce trimestre-là, les fonds d’épargne-pension ont perdu de 2,1 à 3,9 %. Accent Pension Fund a affiché pour la période d’avril à juin 2013 la plus mauvaise performance de tous les fonds. Depuis lors, Jan Deprez est mieux préparé à un nouveau rebond de l’intérêt : “Par mesure de sécurité, nous avons volontairement abrégé la durée moyenne de nos obligations, question d’éviter que 2013 ne se répète”.

Le gestionnaire ne précise pas la durée moyenne des obligations en portefeuille mais se contente de la qualifier de “nettement plus courte” que les sept ans de l’indice référentiel JPMorgan Belgian Bonds. “En Europe, les taux du marché n’ont jamais été aussi bas. Une répétition de l’évolution des taux en 2014 est mathématiquement impossible, ce qui ne fait qu’accroître les risques en termes de taux pour cette année. Nous maintenons donc notre stratégie qui, tôt ou tard, finira par porter ses fruits.”

Paul De Meyer, en charge du fonds de pension Hermes, a lui aussi essuyé un revers au deuxième trimestre 2013. “Même si nous n’anticipons pas une forte hausse des taux, nous tenons à limiter le plus possible notre exposition aux risques. Notre durée moyenne reste courte. Elle est actuellement inférieure à 2,75 ans, soit deux mois moins longue que celle considérée comme la norme dans de nombreux indices”, explique-t-il.

Inquiétude

Paul De Meyer et Jan Deprez ne sont pas les seuls gestionnaires à s’inquiéter de la hausse inévitable des taux d’intérêt. “Soyons francs : nous avons décidé trop tôt de surfer sur la tendance à la brièveté de la courbe des taux d’intérêt”, confesse également Koen Maes, de Candriam, responsable du Belfius Pension Fund Low Equities, le moins performant des fonds d’épargne-pension défensifs (seulement 6 % de bénéfice). “Le but explicite de ce fonds est de réaliser un maximum de rendement avec un minimum de risques. Or, le taux d’intérêt est aujourd’hui plus bas que celui de mai 2013. Autrement dit, l’augmentation des taux sera encore plus douloureuse qu’il y a un an et demi.” Belfius Pension Low Equities est le fonds qui s’est le mieux maintenu lors du “test des taux” en 2013, ce qui ne l’a pas empêché de perdre près de 2 % au deuxième trimestre 2013.

“Pour ce qui est des obligations à cinq ans, ajoute Koen Maes, une hausse des taux de 20 points de base seulement par rapport aux niveaux très bas d’aujourd’hui suffit à réduire à néant le rendement actuel. Dans les années à venir, les résultats devront venir du côté des actions. Environ 9 % de notre portefeuille obligataire est constitué d’obligations dont le coupon varie en fonction des taux du marché (floating rate notes). Pour le reste, nous avons aussi des obligations convertibles défensives (qui peuvent être converties en actions, Ndlr) et quelques obligations à haut rendement. Quinze à 20 % de notre portefeuille sont investis dans des devises autres que l’euro, comme le dollar américain et la couronne norvégienne.”

Crash des obligations

Les fonds d’épargne-pension défensifs offrent une protection contre un éventuel crash boursier mais en cas de crash obligataire sévère comme en 1994, ils risquent de souffrir davantage que les fonds d’épargne-pension dynamiques. De l’avis de tous les gestionnaires, la hausse des taux devrait être progressive, entraînant par conséquent un lent fléchissement des cours obligataires. “Un sursaut brutal des taux n’est pas envisageable dans la zone euro étant donné le contexte économique fragile, la faible inflation et la politique monétaire de la banque centrale européenne”, confie Bart Van Poucke. Toute la difficulté consiste, selon le gestionnaire, à évaluer le moment précis de l’amorce de reprise. “Pour le moment, nous poursuivons notre stratégie actuelle.”

“Nous n’envisageons pas d’augmentation des taux d’intérêt à court terme”, ajoute Pierre Nicolas, gestionnaire du Star Fund et du Record Top Pension Fund. “Le portefeuille actuel concède un accroissement de taux d’environ 20 points de base avant que la partie à rendement fixe ne produise un rendement négatif. Si nous anticipons une augmentation, nous ne manquerons évidemment pas de prendre les mesures adéquates.” Pierre Nicolas s’empresse de préciser quelles seront ces mesures : vente des obligations à long terme d’une durée restante de sept ans ou plus et avec cet argent, achat d’obligations à court terme d’une durée restante de trois ans, voire moins. Question de mieux préserver le portefeuille des chocs (des taux)… Et d’ajouter que la loi belge n’autorise pas les fonds d’épargne-pension d’avoir recours aux produits dérivés, permettant de mettre un portefeuille à l’abri d’une hausse de taux.

Quels fonds seront les plus performants en 2015 ? Seule Madame Soleil serait capable de répondre à cette question. Tout le défi consistera probablement à garder en portefeuille suffisamment d’obligations à long terme. Assez longtemps, mais pas trop…

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