Le vrai coût d’un éclatement de la zone euro

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Austérité, scission, éclatement, implosion : tels sont les quatre scénarios auxquels risque de conduire l’attaque des marchés contre la zone euro. Analyse en détail de chacun d’entre eux. Dans tous les cas, l’avenir proche s’annonce sombre.

Et de deux ! Après la Grèce, c’est l’Irlande que les marchés financiers étaient sur le point d’asphyxier si ses partenaires de la zone euro n’avaient pas volé à son secours le 28 novembre. “Deux Etats à genoux, contraints de mettre leurs finances publiques au carré : il reste encore 14 cibles dans la zone euro !”, ironise un investisseur.

Son décompte effronté ne fera certainement pas rire les gouvernements européens, bien forcés, pour la première fois, d’envisager le pire. Herman Van Rompuy, président de l’Union, le reconnaît sans détour : “L’euro joue actuellement sa survie.” Luís Amado, ministre des Affaires étrangères portugais, entrevoit même comme “solution de rechange” de “quitter l’euro”.

Austérité, scission, éclatement, implosion ? Examinons quatre scénarios de crise parmi les plus plausibles et chiffrons leur coût, avec l’aide des économistes de la Société Générale. Verdict : la route ressemblera plus à un chemin de croix qu’à un tapis de roses, du plus vraisemblable (l’austérité pour tous, 45 % de probabilité selon l’institut Oxford Economics) au plus extrême (seulement 5 % de probabilité).

Scénario n° 1 : la zone euro s’engage dans l’austérité

Après la dette, la diète. Pour présenter des comptes publics honorables aux marchés financiers, toutes les capitales choisissent la voie de la rigueur budgétaire. Les bons élèves allemand, autrichien et néerlandais tiennent avec zèle leurs promesses d’économies. Les cancres irlandais et grec, avec leurs compagnons d’infortune portugais et espagnol, sacrifient leur croissance sur l’autel de promesses trop ambitieuses. Fonctionnaires en moins, impôts en plus, salaires en berne, ils connaissent le refrain. “Ces quatre maillons faibles de la zone euro se condamnent à au moins cinq années de récession”, estime l’économiste Jean-Luc Gréau.

Au milieu de la classe, la France donne des gages d’austérité en pleine campagne électorale pour garder son rang. Et, pour la première fois de son histoire budgétaire, tient parole. Le prix à payer : “1,5 % de croissance au mieux pendant au moins trois ans”, prédit Véronique Riches-Flores, responsable de la recherche thématique à la Société Générale et auteure de l’étude. Xavier Timbeau, son homologue de l’OFCE, alourdit même la peine : “Pas de croissance, des inégalités qui explosent, des services publics exsangues, une déflation à la japonaise pendant de longues années.” Au bout du compte, une décennie perdue pour gagner la faveur des marchés.

Scénario n° 2 : l’Allemagne revient au mark

Nein ! Cette fois, la chancelière allemande Angela Merkel ne paiera pas. Incapables d’administrer à plus haute dose la potion d’austérité, les gouvernements portugais et espagnol réclament un gros chèque au fonds européen de stabilité financière : 65 milliards d’euros pour Lisbonne, 410 milliards pour Madrid, selon les calculs des experts de Natixis. Une belle somme !

Face à l’impéritie méditerranéenne, l’Allemagne et ses meilleurs amis (Autriche, Pays-Bas, Finlande) quittent l’euro pour fonder une “zone mark” promise à la stabilité des prix et à la vertu budgétaire. Et les autres ? Ils forment une “union latine”, avec pour monnaie un “euro-sud”. Les portes claquent, les partenaires se déchirent.

Ce vaudeville monétaire enflamme l’imagination de quelques économistes très sérieux. Christian Saint-Etienne, du Conservatoire national des arts et métiers, fait ses calculs : “Dans cette hypothèse, l’euro-sud se déprécie du jour au lendemain. En France, les exportateurs regagnent des parts de marché. Les touristes affluent vers l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Les entreprises peuvent même se permettre de lâcher des augmentations à leurs salariés. La zone peut dégager 2,5 % de croissance.”

Un peu d’inflation, aussi, mais tant mieux : elle permettrait aux Etats du Sud d’alléger leurs dettes. Et, cerise sur le panettone, la BCE siégerait à Paris, la France deviendrait le point d’ancrage de la zone, et de nouveaux billets ornés d’effigies latines comme Vasco de Gama, Michel-Ange ou Delacroix remplaceraient les coupures actuelles illustrées par des figures géométriques sans âme.

De l’espoir dans un premier temps, des larmes ensuite. Les marchés ne manqueraient pas de brocarder cette zone “Club Med” et exigeraient des taux d’intérêt usuraires pour prêter leur argent à des Etats “olé olé”. Selon la Société Générale, il faudrait même acquitter un loyer de l’argent de 13 % pour financer les déficits. A ce tarif, les gouvernements seraient bien sûr pris à la gorge, et les entreprises ne pourraient plus investir.

Seule solution pour Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales : “Obliger les banquiers à détenir, voire à acheter, des obligations de la zone euro-sud pour éviter la dépréciation.” Avec quelle arme ?

Scénario n° 3 : les petits pays quittent l’euro

De guerre budgétaire lasse, les Etats les plus fragiles se résolvent à quitter la zone euro. Les Portugais ressortent leurs escudos, les Espagnols, leurs pesetas, les Italiens, leurs lires. Les Grecs reviennent à la drachme… pour entrer dans le drame. “Leur monnaie s’effondre de 40 % à 80 %, prévient Véronique Riches-Flores. Cette dévaluation compétitive peut faire les affaires des exportateurs, mais ces Etats ne pourraient plus rembourser leurs dettes contractées en euros et verraient leur inflation s’envoler.”

Combien coûterait le retour à la monnaie nationale ? “Entre l’impression de nouveaux billets, la mise à jour des systèmes informatiques et comptables des distributeurs, au moins 0,5 % à 1 % du PIB”, calculent les experts d’Oxford Economics.

Quid de la zone euro restreinte aux pays de l’élite ? Comme dans les grandes crises, le premier craquement se produirait dans le bilan des banques. Selon les sinistres pointages de la Deutsche Bank, les établissements français et allemands détiennent 595 milliards d’euros de créances publiques et privées sur la Grèce, le Portugal, l’Irlande et l’Espagne. “Perdre la moitié de ces engagements, voire les deux tiers, équivaudrait à dix fois le choc des subprimes“, annonce Xavier Timbeau.

Lestés de telles pertes, les établissements de crédit ne feraient pratiquement plus de prêts aux entreprises, priées de remettre à plus tard leurs investissements. Dans l’industrie, elles subiraient aussi les effets dévastateurs d’une lire italienne de combat. Les agriculteurs français ne feraient pas le poids face à leurs compétiteurs espagnols requinqués – au moins les deux premières années – par une peseta dévaluée. Toujours selon les projections de la Société Générale, les exportations françaises perdraient 30 % en trois ans, sur fond d’un euro à 1,90 dollar (+ 45 % par rapport à aujourd’hui) et d’un CAC 40 en baisse de 40 %.

Inutile de compter sur les pouvoirs publics pour relancer la machine. Dans l’univers de l’euro fort, l’Allemagne veillerait au grain avec ce mot d’ordre : pas de déficit excessif. Une sorte de double peine économique frapperait la France, placée entre le marteau des pays à monnaie faible et l’enclume germanique.

Scénario n° 4 : l’euro implose

La colère monte dans les capitales du Sud acculées à la rigueur. Un grondement continu se fait entendre dans l’opinion publique allemande, fatiguée de signer des chèques en blanc à des Etats laxistes. Chacun veut recouvrer sa liberté monétaire. Dont acte : les devises nationales font leur retour dans les porte-monnaie.

“Très vite, un processus mortifère de babélisation se met en marche : contrôle des changes aux frontières, spéculation monétaire, protectionnisme économique, frémit d’avance Yves-Thibault de Silguy, ancien commissaire européen chargé de préparer le passage à l’euro de 1995 à 1999, aujourd’hui vice-président du conseil d’administration du groupe Vinci. La fin d’un rêve monétaire se double d’une défaite politique majeure. La construction européenne s’effondrerait par pans successifs.” La récession serait sévère : “L’activité dans la région baisserait de 2 % en 2011, de 3 % en 2012, et stagnerait en 2013”, selon Oxford Economics.

Et la France ? “Une catastrophe, répond Karine Berger, directrice des études économiques à Euler Hermès. Si le nouveau nouveau franc décidait de s’arrimer au mark, comme dans les années 1980, Paris adopterait la rigueur avec, à l’arrivée, davantage de chômage et pas un centime de croissance.” La Société Générale chiffre les dégâts à 2.800 chômeurs supplémentaires par jour pendant trois ans.

Ceci dit, la France pourrait aussi laisser filer sa monnaie. Finis les budgets riquiqui, au feu la BCE… Le pronostic de Jean-Louis Mourier, économiste au cabinet Aurel Leven, dégrise vite : “Dans ce cas, des dévaluations compétitives feraient gagner 3 % à 4 % de croissance les deux premières années. Mais ensuite, le franc ferait office d’épouvantail sur les marchés. Une douce pénurie s’installerait, comme dans les années 1950.” La France meublée en Formica et roulant en Simca, avec une essence à 1,80 euro le litre – pardon, 14 francs – à cause du renchérissement des produits importés, dont le pétrole.

Un scénario intermédiaire consisterait à faire de l’euro une monnaie commune et non unique. “L’euro et la devise nationale coexisteraient, imagine Dominique Plihon, professeur à l’université Paris XIII et président du conseil scientifique d’Attac. Le premier pour les transactions internationales, la seconde pour les particuliers. Franc, mark, peseta et consorts évolueraient entre deux bornes autour d’une parité centrale pour donner de la souplesse à chaque pays.” Retour aux années 1990, cette fois, avec leur chômage de masse et leur croissance faiblarde.

Franck Dedieu, L’Expansion.com

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