Attention au “piège fiscal vert” !

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Faire chuter la fiscalité sur le travail en taxant davantage l’énergie, la pollution et les déchets ? L’idée est alléchante mais pas sans effets pervers, avertit Itinera. Qui y voit une fausse bonne idée.

Parfois, certaines idées alléchantes se révèlent être, au mieux, creuses, voire totalement contreproductives. C’est le syndrome FBI : la fausse bonne idée. Eh bien, financer une diminution de la fiscalité pesant sur le travail au moyen d’un déplacement vers l’énergie, la pollution ou les déchets – en d’autres termes, “verdir” la fiscalité made in Belgium – engendrerait des évolutions dangereuses pour notre économie, met en garde Johan Albrecht, professeur à l’université de Gand et senior fellow à l’Itinera Institute. Démonstration à l’appui.

Alléchant, bien sûr. Inutile de retaper sur ce clou, tellement sa tête est plate. La Belgique s’illustre par une forte imposition des revenus du travail. “Et tous les partis souhaitent la voir diminuer”, souligne Johan Albrecht. Pour ce faire, inutile de compter sur des recettes exceptionnelles dues à une période de haute conjoncture, vous l’aurez compris. Restent deux pistes. Davantage taxer la consommation, le capital ou les revenus du capital : la Belgique en parle depuis belle lurette mais ne voit rien venir, préférant reporter sans cesse le chantier. Ou opter pour un “verdissement” de la fiscalité. Une option pour le moins séduisante, incitant à davantage investir dans l’efficacité énergétique, susceptible de diminuer nos émissions de CO2 et par là-même, de rendre notre empreinte écologique plus présentable. Sans oublier qu’une baisse de la charge fiscale peut conduire à une hausse du taux d’emploi, de la consommation et, ce faisant, de l’activité économique. Un “double bonus”, en somme, faisant avancer le pays tant sur le plan économique qu’écologique. La question devient donc : mais qu’attend-on pour foncer ?

Justement : ne pas avoir la tête baissée. Raison pour laquelle Johan Albrecht a sorti sa calculatrice, histoire d’estimer la manne que la Belgique pourrait espérer retirer de ce basculement de fiscalité. Potentiel maximum : 7 milliards d’euros supplémentaires par an, à relativiser au vu des 155 milliards de recettes fiscales annuelles engrangées par l’Etat, souligne l’économiste. Un plafond impliquant de quasiment tripler les taxes actuelles pesant sur l’énergie, afin de faire passer la fiscalité verte belge à 4% du PIB, contre un petit 2,06% en 2010 (la moyenne des 27 Européens se chiffrant à 2,37%). Pareille hausse ne serait pas sans effet sur le comportement des entreprises et des consommateurs en général, rendant probable une diminution de la base fiscale. Une échelle de 3 à 5 milliards de gains serait dès lors plus vraisemblable, souligne la note d’Itinera.

Et les mauvaises nouvelles dans tout cela ? Les voici. Hypothèse de départ posée par Johan Albrecht : particuliers et entreprises se partagent à part égales les taxes environnementales. Principale conséquence du verdissement, côté ménages ? Une accentuation des inégalités déjà existantes. Forcément : l’alourdissement des taxes sur l’énergie et les déchets va de pair avec l’allègement de celles pesant sur le travail. Or, si tout le monde allume des ampoules et jette ses épluchures de pomme de terre, tout le monde ne travaille pas. “Seuls 40% de la population belge sont actifs”, avance Itinera. Du coup, un ménage “doublement actif” bénéficierait plus de la mesure qu’un isolé actif, et forcément nettement plus que des personnes “économiquement inactives”, qui seraient au contraire financièrement pénalisées. Au bout du compte, l’addition pour ces derniers se situerait entre 530 et 690 euros par an (selon que l’on prenne en compte l’hypothèse de 3 ou de 5 milliards de rentrées annuelles pour l’Etat), contre un gain fiscal net oscillant entre 1.095 et 1.910 euros par an pour les ménages “économiquement actifs”. Voilà de quoi renforcer les inégalités qu’ont déjà creusées les hausses des prix de l’énergie, conclut Johan Albrecht. Sans oublier que la Belgique est un pays où les prix à la consommation sont relativement élevés. “Le verdissement les fera encore grimper, aggravant les écarts existant avec les pays voisins. Est-ce souhaitable ?”

Côté entreprises aussi, le tableau est loin d’être rose. Une énergie plus chère, voilà qui influencera négativement la compétitivité internationale des secteurs à forte intensité énergétique – secteurs qui se plaignent déjà, au niveau de prix actuel, d’un grave handicap concurrentiel par rapport aux industries des pays voisins. Ajoutez à cela qu’une hausse des prix énergétiques stimulerait l’inflation, au risque de voir se déclencher des effets d’emballement dus à l’indexation des salaires.

“Autant d’évolutions dangereuses pour notre économie”, tranche Johan Albrecht. Si la diminution des taxes sur le travail est nécessaire, elle ne peut uniquement être financée par un verdissement de la fiscalité, poursuit le senior fellow de l’Itinera Institute. “Il vaut peut-être mieux financer la diminution de la pression fiscale sur le travail par le biais d’économies structurelles dans le chef des pouvoirs publics, accompagnée d’une hausse limitée de la TVA et d’une augmentation plutôt sélective des taxes environnementales.”

Benoît Mathieu

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