L’immobilier, Chevalier blanc de la reconversion industrielle

Anvers. L'ancien hôpital militaire a laissé place à un nouveau quartier. © PG

Une fermeture d’usine, voire la délocalisation d’un pan entier de l’industrie, peut chambouler complètement l’économie d’une ville. Mais aussi ouvrir de nouvelles opportunités intéressantes. Avec le secteur immobilier dans le rôle de Chevalier blanc.

La reconversion a occupé une place de choix dans le programme du séminaire organisé à l’occasion du salon immobilier Realty à Bruxelles. Jürgen Bruns-Berentelg, CEO de HafenCity, a évoqué, lors d’une conférence d’ULI Belgium, la transformation de l’ancienne zone portuaire de Hambourg en un tout nouveau quartier. Avec une superficie de 157 hectares, HafenCity est un des plus grands projets de reconversion en Europe. Etait également présent Tom Murphy, l’ancien maire de Pittsburgh, une ville américaine connue pour avoir réussi sa reconversion d’ex-ville industrielle en économie de la connaissance avant-gardiste.

Quand l’administration se fait pionnière

Willem De Laat, administrateur de l’agence de conseil immobilier Value Partners, connaît bien le dossier Pittsburgh. ” Le glas de la sidérurgie a sonné dans les années 1970, se souvient-il. L’impact social et économique était d’autant plus considérable que la ville dépendait entièrement de cette industrie. Pour arriver à surmonter pareille épreuve, il faut une approche à long terme et la collaboration de très nombreux acteurs. La problématique de la reconversion ne se situe pas à la même échelle en Belgique qu’à Pittsburgh et à Detroit. Le problème est plus facile à gérer ici. Même la fermeture des mines n’a pas pris les mêmes proportions. ”

Principale caractéristique de la reconversion à la belge : le morcellement. Outre la fermeture des usines et des sites miniers, la faillite des chantiers navals et le retrait des activités manufacturières des quartiers résidentiels ont eu pour effet d’accroître l’offre des terrains à reconvertir. A Anvers et à Gand, le transfert des activités portuaires en dehors des villes est à l’origine de grands projets de réaménagement urbain et de nouveaux quartiers. Après la réforme de l’armée, la limitation des effectifs, la suppression du service militaire obligatoire en 1994, bon nombre de bâtiments et de domaines militaires ont fait leur apparition sur le marché immobilier. Certains d’entre eux ont donné lieu à des projets immobiliers très réussis. Un des exemples les plus connus est la réaffectation de l’Hôpital Militaire d’Anvers. De concert avec AG Vespa, les promoteurs immobiliers Vanhaerents et Matexi ont développé un tout nouveau quartier baptisé Groen Kwartier. Le Campus Blairon à Turnhout, où Van Roey Vastgoed a transformé l’ancienne caserne et le centre de formation en centre d’affaires, est un projet antérieur. Van Roey Vastgoed est également le partenaire privé du projet PPP (partenariat public-privé) avec la commune de Brasschaat inhérent à la reconversion de la Caserne Coppens (lire l’encadré ” Transformation d’une caserne en site industriel “).

Les autorités ont un rôle de pionnier primordial à jouer dans le cadre de la reconversion.” Willem De Laat (Value Partners)

Willem De Laat le confirme, la reconversion s’est déjà soldée par quelques projets exemplaires. Mais d’ajouter qu’en Belgique, malgré la grandeur d’échelle restreinte, il est souvent difficile de faire avancer les dossiers de reconversion. ” Du fait du rôle secondaire auquel le secteur public était autrefois relégué, dit-il. En tant que Néerlandais, je considère la Belgique comme un pays très libéral. Les propriétaires fonciers et immobiliers jouissent d’une grande liberté. Ils ont beaucoup de droits, peu d’obligations. ” Face à ces acteurs privés, les autorités ont longtemps brillé par leur absence. ” C’est regrettable car les autorités ont un rôle de pionnier primordial à jouer dans le cadre de la reconversion, poursuit Willem De Laat. Heureusement, les choses changent depuis une quinzaine d’années. Le secteur public – le niveau communal surtout – prend la régie de plus en plus en mains. ”

Le “retail” déclare forfait

Gunther Biddelo et Frederik Baert (Futurn)
Gunther Biddelo et Frederik Baert (Futurn)© PG

Willem De Laat cite également le développement de l’aéroport de Liège, un autre bel exemple de reconversion réussie selon lui. En règle générale, il regrette une certaine inertie dans le sud du pays. ” Je constate une plus grande méfiance des autorités wallonnes quant à une collaboration avec des acteurs privés et le secteur immobilier en particulier. Ce qui a pour effet de freiner les projets. Car même si le soutien de l’administration publique est indispensable, sans la collaboration d’acteurs privés solides, le projet est voué à l’échec. ”

En cette époque de pénurie budgétaire, les autorités comptent beaucoup sur les investisseurs privés. Car une reconversion coûte beaucoup d’argent. L’assainissement des terrains pollués et l’installation des infrastructures de base représentent des postes de coûts souvent exorbitants. ” L’immobilier commercial était un important pourvoyeur de fonds jusqu’à il y a peu, poursuit Willem De Laat. Car les ” retailers ” paient le prix le plus élevé au mètre carré. Mais le secteur du retail connaît aujourd’hui un scénario de récession plutôt que de croissance. De ce côté-là, pas grand-chose à attendre donc. Dans le contexte actuel, un projet comme Uplace n’aurait jamais dépassé le stade de la table à dessin. ”

Les promoteurs immobiliers spécialisés dans le résidentiel, secteur florissant s’il en est, comblent partiellement ce manque. Mais, prévient Willem De Laat, le marché commence à être saturé. ” Les promoteurs construisent à tour de bras. Ils savent comment s’y prendre. Mais selon certains signaux qui ne trompent pas, la vente d’appartements commence à s’essouffler. Les villes, de leur côté, voient plutôt d’un mauvais oeil les zones de reconversion se faire phagocyter par les appartements. Elles insistent sur la mixité des fonctions et des produits, sur la nécessité de prévoir aussi des logements bon marché et des habitations sociales. ”

Dans les zones extra-urbaines, la reconversion en parc d’activité logistique peut constituer une piste intéressante, d’après Willem De Laat qui cite à nouveau l’exemple de Liege Airport (lire l’encadré ” Du champ de pommes de terre au hotspot logistique “). Le plan qui vise à faire de l’aéroport liégeois un centre névralgique pour avions cargo date de la fin des années 1980, en pleine crise sidérurgique. ” En termes d’emploi, les activités logistiques sont synonymes de nombreuses opportunités, commente Willem De Laat. Il est utopique de croire qu’il est possible de transformer comme par magie chaque activité industrielle en industrie de la connaissance. Ce n’est d’ailleurs pas toujours un plus pour la population. L’économie de la connaissance requiert des ressources humaines très qualifiées. Les demandeurs d’emploi n’entrent pas en considération. Tandis que la logistique est un secteur qui demande beaucoup de main-d’oeuvre, pour le moment du moins. ”

Des projets bien accueillis

En dépit de leur complexité accrue, les zones de reconversion sont des terrains d’action lucratifs pour les promoteurs immobiliers. Ceux-ci se sentent bien souvent incompris quand les comités d’action, les voisins récalcitrants ou les administrations pinailleuses s’opposent à leurs formidables projets, mais bizarrement, les projets de reconversion suscitent nettement moins d’opposition. Il arrive même qu’un promoteur passe pour un Chevalier blanc. ” Certaines administrations communales nous accueillent à bras ouverts, confirme Frederik Baert, managing partner de Futurn. Nous obtenons toujours très facilement quasi tous nos permis. C’est plutôt rare dans notre métier. “

“Une reconversion est aussi l’occasion de résoudre certains problèmes sur et aux abords du site.” Gunther Biddelo (Futurn)

Futurn est spécialisé dans la reconversion de l’immobilier industriel. La société assainit, démolit, rénove et reconstruit pour transformer les sites industriels abandonnés ou sous-exploités en… nouveaux sites industriels. ” L’affectation reste la même, ce qui nous facilite la tâche, explique Gunther Biddelo, également managing partner de Futurn. Cela limite aussi les éventuelles levées de boucliers. Nous essayons malgré tout de parvenir à une bonne entente. Avant d’acheter un bâtiment ou un terrain, nous dialoguons avec la commune. Nous présentons nos plans, nous sondons ses desiderata. Car une reconversion est aussi l’occasion de résoudre certains problèmes sur et aux abords du site, comme le déplacement d’un accès ou le réaménagement d’une piste cyclable. Le fait de chercher ensemble des solutions crée d’entrée de jeu une certaine proximité avec la commune et le voisinage. ”

La conservation des espaces ouverts de plus en plus rares, considérée comme prioritaire, est du pain bénit pour les promoteurs et les projets qui privilégient les zones vertes. A Hasselt, Futurn a entrepris la reconfiguration de l’ancien site du groupe de presse Concentra (lire l’encadré ” Nouvelles activités économiques sur le site Concentra “). ” Nous avons l’intention de densifier le site et de créer plus d’espace pour les nouvelles activités économiques, explique Frederik Baert. Pour éviter de déboiser inutilement ailleurs au Limbourg. Même si je ne peux évidemment pas garantir qu’il ne faudra jamais plus déboiser. Si Ikea, H&M, bol.com ou un autre utilisateur de grands espaces cherche un endroit propice pour s’installer, ce ne sera pas nécessairement un parc industriel existant. Il ne faut pas traiter le problème de façon dogmatique mais au cas par cas. ”

Transformation d’une caserne en site industriel

L'immobilier, Chevalier blanc de la reconversion industrielle
© PG

Van Roey Vastgoed a terminé le projet Campus Lt. Coppens en mars de cette année. Sur un projet de POLO Architects, Van Roey a transformé l’ancienne caserne de Brasschaat (au nord d’Anvers) en site industriel qui emploie aujourd’hui un millier de personnes.

L’initiative de reconversion émanait de l’administration communale de Brasschaat, propriétaire du terrain, qui voyait dans l’ancien domaine militaire l’opportunité de créer un site capable d’attirer de nouvelles entreprises dans une commune verte à vocation essentiellement résidentielle.

Les travaux ont débuté en 2009. La caserne a été transformée en immeuble de bureaux. En plus des bureaux (13.000 m2), le site de 6,4 ha accueille également des espaces industriels multifonctionnels (21.000 m2). La plaine de manoeuvres s’est muée en patio vert.

Campus Lt. Coppens se présente comme un site industriel vert, durable et facilement accessible. La grande qualité de l’isolation, la neutralité CO2, les nombreux panneaux solaires, la faible consommation d’eau et d’énergie soulignent la volonté de développement durable. Le parking central contribue à l’utilisation rationnelle de l’espace.

La quasi-totalité des espaces de bureau et d’entreprise est aujourd’hui occupée. Hallmark, Lego, Vulpia, Pronails et tout récemment Scapa ont décidé de s’installer à Campus Lt. Coppens. La commune de Brasschaat songe déjà à une possible extension. Sur les plans d’aménagement actuels, 1 ha pour des bâtiments PME est encore disponible à l’avant du site. Des pourparlers ont été entamés avec la Défense en vue d’acquérir la zone limitrophe de 3,8 ha le long de la Brechtsebaan.

Nouvelles activités économiques sur le site de Concentra

L'immobilier, Chevalier blanc de la reconversion industrielle
© PG

Les promoteurs immobiliers Futurn et DMI Vastgoed ont entrepris la reconversion du site du groupe de presse Concentra à Hasselt. Le terrain de 7,5 ha doit accueillir un parc d’entreprises, de PME et d’infrastructures d’accueil. “Du fait des transitions opérées dans le secteur des médias et de l’impression, et de l’entrée de Concentra dans Mediahuis, l’éditeur limbourgeois avait de la place à ne plus savoir qu’en faire à Hasselt”, explique Frederik Baert, managing partner de Futurn. Mediahuis s’installera dans un nouveau bâtiment conçu sur mesure, une construction moderne à la pointe de la technologie, beaucoup plus petite que le bâtiment actuel. “Les bâtiments existants seront démolis, nous n’avons pas d’autre choix, acquiesce Frederik Baert. Les bureaux ont de l’allure, certes, et leur implantation entourée de verdure assurait un certain standing. Le positionnement des bâtiments sur le terrain, par contre, est très mal pensé. Avec un taux d’occupation ne dépassant pas 35 %, ce n’est pas non plus un exemple d’utilisation rationnelle et durable de l’espace. En densifiant le site, nous pourrons générer de nombreuses activités économiques sur la même superficie.”

Le masterplan de reconversion a été confié à ELD partnership et MaMu Architects. Le parc d’entreprises prévoit également des zones vertes et des services partagés comme l’accueil et le parking. Outre Mediahuis, Carglass a également signé pour un emplacement dans le nouveau parc.

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