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“La biologie est d’abord de la recherche fondamentale”

A l’ère de la science moderne, il se passe rarement une semaine sans un bond en avant dans le domaine de la biologie. Même si elles doivent se poursuivre en 2018, ces avancées ne permettront pas de guérir le cancer, ni de traiter la maladie d’Alzheimer ou de ralentir le vieillissement. Pour la bonne raison que la biologie, en tant que discipline, consiste encore pour l’essentiel à explorer, et non à mettre au point des techniques.

De fait, certaines des plus grandes avancées scientifiques du 20e siècle sont nées du mariage entre la science et la technologie, qu’il s’agisse de la mission Apollo ou du grand collisionneur de hadrons (LHC). De la même manière, le Projet génome humain (qui a permis en 2003 d’établir le séquençage complet de l’ADN humain) s’appuyait à la fois sur la recherche fondamentale et sur le progrès technique. Les disciplines qui se trouvent au coeur de ces avancées (les mathématiques, l’ingénierie, la science des matériaux et l’informatique) ont favorisé l’essor des technologies et sont à l’origine de la plupart des grandes multinationales actuelles.

La biologie, en revanche, consiste encore pour l’essentiel à expérimenter pour voir ce qui se produit quand on tire sur telle ou telle ficelle. Le travail des biologistes nous livre des informations essentielles sur les grands principes de fonctionnement des organismes vivants. Mais, à mesure que nous créons de nouveaux outils qui affinent sans cesse notre compréhension de la biologie, nous approchons aussi des limites du savoir que nous permettent les approches traditionnelles. La première de ces limites tient à la complexité intrinsèque de la vie. En 2016, des scientifiques ont annoncé la création du génome minimal d’une bactérie synthétique ne comportant que 473 gènes (à titre de comparaison, le génome humain en compte environ 20.000). Sur ces 473 gènes, 149 avaient une ” fonction inconnue “, mais la suppression de n’importe lequel d’entre eux entraînait la mort de la bactérie. Même dans l’environnement maîtrisé d’un laboratoire, en créant un manuel d’instructions le plus simple possible pour donner naissance à un organisme vivant, près du tiers du contenu de ces instructions demeurait un mystère.

Les scientifiques peuvent aujourd’hui étudier la fonction des gènes à une échelle décuplée.

En génétique classique comme en biologie moléculaire, c’est généralement en éliminant un gène et en observant ce qui va de travers ensuite que l’on détermine sa fonction. Cette méthode nous a prodigué une foule d’informations, révélant ainsi l’existence des oncogènes, capables de provoquer un cancer après mutation, ou celle du réseau de protéines impliquées dans l’agencement structurel de l’organisme au cours de son développement. Ce type de travaux reposent sur un principe de biologie énoncé par le généticien américain George Wells Beadle, selon lequel chaque gène est porteur des instructions pour une protéine.

Or grâce aux nouvelles technologies qui accélèrent les processus de lecture et d’écriture dans le domaine de la biologie, les scientifiques sont aujourd’hui en mesure d’étudier la fonction des gènes à une échelle décuplée. Les données disponibles sur les fonctions des gènes se multiplient et permettent d’isoler les combinaisons à étudier, ce qui a pour effet de réduire notablement l’ampleur de la tâche. Plusieurs consortiums scientifiques ont vu le jour afin de mener les expérimentations à grande échelle nécessaires pour répertorier les éléments régulateurs du génome humain, cartographier tous les types de cellules humaines, dresser la liste complète des variants du génome humain identifiés au sein de la population et établir le schéma complet des connexions cérébrales.Toutes ces données peuvent être mises à profit dans les programmes de recherche qui visent à comprendre la fonction de certains gènes ou de combinaisons de gènes dans un contexte donné, comme la maladie ou le vieillissement.

Ce type de recherche fondamentaleest indispensable pour faire avancer notre compréhension du monde vivant. C’est justement parce que la biologie n’est pas (encore) une discipline d’ingénierie qu’il est impératif de soutenir le travail des chercheurs qui explorent le monde moléculaire, poussés par la curiosité et l’envie de tout bricoleur de savoir ” comment ça marche “.

Par Feng Zhang, professeur de neurosciences au MIT

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