Cette ardoise des villes wallonnes qui inquiète les banques
Malgré leur bonne santé financière, elles ne se pressent guère au portillon pour soulager les communes wallonnes surendettées. À qui la faute ? Explications.
À tous les échelons de pouvoir, on le sait, les caisses publiques sont vides. Au niveau local, la dette des communes wallonnes dépasse désormais les 9 milliards d’euros. Par exemple, la ville de Liège, la plus endettée de Wallonie, affiche actuellement une dette supérieure à un milliard d’euros.
C’est pour faire face à cette situation critique que la Région wallonne a mis en place, lors de la précédente législature, un plan nommé Oxygène. Ce dernier, comme son nom l’indique, vise à apporter une bouffée d’air à plusieurs communes en difficulté à cause de la flambée des coûts liés aux pensions, ainsi qu’aux dépenses en matière de sécurité et d’aide sociale (les CPAS), notamment.
Pour financer ce plan, la Région wallonne a joué les intermédiaires vis-à-vis des banques. Via le canal du Crac (Centre Régional d’Aide aux Communes), elle a lancé un marché d’emprunts sur cinq ans, visant à soutenir directement certaines communes wallonnes. Unique banque à avoir répondu à cet appel d’offre, ING Belgique s’est engagée à contribuer à hauteur de près de 301 millions d’euros pour la première tranche de 2022. Les autres grandes institutions, Belfius, BNP Paribas Fortis et CBC (la filiale wallonne de KBC) ont toutes décliné poliment la proposition et le feront encore l’année d’après. En effet, en 2023 aussi, le gouvernement wallon a rencontré des difficultés pour boucler le plan, sachant qu’ING a alors participé à hauteur de 277 millions d’euros.
Cette année, le Crac a publié un nouvel appel d’offres pour financer la tranche 2024. Et rebelote : on ne s’est guère pressé au portillon. “Trois banques ont marqué de l’intérêt, nous indique le ministre wallon des Pouvoirs locaux, François Desquesnes (Les Engagés). Deux ont répondu à l’appel d’offres, mais une seule respectait le cahier des charges.”
À nouveau, il s’agit d’ING. La filiale belge du groupe bancaire néerlandais est une fois de plus la seule banque à avoir répondu positivement à l’appel de la Région wallonne. Cependant, dans ce cadre, elle n’a pas souhaité s’exposer davantage à sept villes : Liège et Charleroi, auxquelles s’ajoutent désormais Mons, Namur, Ath, Verviers et La Louvière. Son offre pour cette année se limitera à un montant partiel de 82 millions d’euros. Pour quelles raisons ? “Notre volonté était, depuis le départ, de remplir notre rôle sociétal en finançant une partie du plan Oxygène, explique Michel Marloye, national manager public sector chez ING Belgique. Au vu des caractéristiques du plan qui vise à financer des dépenses de fonctionnement des communes, essentiellement les charges de pension du personnel statutaire, nous souhaitions prendre notre part naturelle dans le plan global sur cinq ans. Nous avons dès lors adapté notre participation pour 2024 en tenant compte, entre autres, des éléments financiers propres à chaque ville et commune et de notre exposition déjà existante sur celles-ci.”
Le résultat des courses est que sur les 356 millions d’euros nécessaires cette année pour aider les communes à travers le plan Oxygène de la Région wallonne, le Crac n’en a récolté que 82… Il manque donc un peu plus de 250 millions pour sept communes.
L’argent des déposants
Alors, à qui la faute ? “Nous ne commentons jamais les dossiers individuels”, bottent en touche BNP Paribas Fortis et Belfius. En face, “le plan Oxygène ne répond pas à la politique crédit de CBC,” répond clairement Gwendoline Hendrick, porte-parole de la filiale wallonne de KBC, qui précise que, dès le départ, CBC a décidé de ne pas participer au plan Oxygène. “Parce que le principal écueil porte sur la nature des investissements, c’est-à-dire l’objet du crédit, en dehors de la stratégie de crédit de la banque.”
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Que les banques passent leurs risques en revue n’est rien d’autre que de la bonne gestion. Après tout, leur fonction première est d’évaluer le risque crédit qu’elles prennent afin de protéger l’argent de leurs déposants. “Dans le cadre du plan Oxygène, comme dans toute autre demande de financement, ING se doit en effet d’analyser le profil financier du client et d’en tenir compte lors de l’octroi de crédits, plaide Michel Marloye. Cela s’applique aux particuliers, aux entreprises, mais aussi aux pouvoirs publics. Par ailleurs, nous avions déjà effectué notre part du travail en 2022 et 2023. Il était dès lors normal de réduire notre participation en 2024, en faisant l’impasse sur les villes et communes en situation plus compliquée.”
Que les banques passent leurs risques en revue n’est rien d’autre que de la bonne gestion.
Le responsable d’ING ajoute d’ailleurs qu’au-delà du plan Oxygène, la banque participe activement aux marchés d’emprunts des pouvoirs locaux en Wallonie en vue de financer leurs budgets extraordinaires, c’est-à-dire leurs investissements, comme la construction d’infrastructures. “En moyenne, ING remporte d’ailleurs, depuis plusieurs années, près d’un marché sur deux”, souligne-t-il.
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De son côté, CBC dit également rester, comme ING, BNP Paribas Fortis et Belfius, un acteur important du financement du secteur public, tant au niveau des entités fédérées qu’au niveau des intercommunales. “À ce titre, CBC participe au financement de dépenses en capital, comme pour la construction d’un hall sportif ou le financement des sociétés de logement, fait valoir Gwendoline Hendrick. CBC est donc pleinement engagée dans son rôle sociétal, et le fait de ne pas prendre part au plan Oxygène ne remet pas en cause sa participation au financement des pouvoirs publics de manière générale.”
Des excuses et des tuiles
D’accord, pas d’accord ? En réalité, “nous héritons d’un mécanisme mis en place par le gouvernement précédent qui ne constitue qu’une solution temporaire et qui ne responsabilise pas chaque acteur, à savoir le fédéral, la Région et la commune“, déclarait François Desquesnes voici quelques jours dans Trends-Tendances.
Les banques souhaitent des garanties de remboursement et partager les risques.
François Desquesnes (Les Engagés)
S’en prenant dernièrement, sur les ondes de la RTBF, à la responsabilité de Liège et de Charleroi dans la décision négative prise par ING, Maxime Prévot, bourgmestre de Namur, qui fait aussi partie des villes pointées du doigt, ne disait pas autre chose. Le président des Engagés signalait, en effet, que quand sa commune devait se financer par elle-même, elle n’avait “aucun problème pour lever des fonds et nouer des partenariats avec le secteur bancaire”.
Il est un fait que toutes les communes ne doivent pas être logées à la même enseigne. Les grandes villes souffrent plus que les petites. Ceux qui viennent y travailler où y prendre du bon temps bénéficient de leurs services publics (piscine, etc.). Dans le même temps, ils ne contribuent pas à leur financement. C’est tout le problème des externalités.
Pour Michel Marloye, la solution n’est d’ailleurs pas uniquement entre les mains des banques, des villes et des communes. “Il faut améliorer la situation financière des villes et communes en les soulageant partiellement des charges externes qu’elles doivent supporter, mais dont elles n’ont pas la maîtrise, comme les pensions du personnel statutaire et certaines dépenses des CPAS, des zones de police et de secours “, estime le banquier d’ING.
Financements d’autres niveaux de pouvoir insuffisants ou non, il ne faudrait toutefois pas excuser tout le monde. Certes, les communes ont dû faire face, ces dernières années, à des dépenses exceptionnelles suite aux inondations, au covid ou encore à la crise énergétique, notamment. Mais certains bourgmestres ont du mal à faire preuve de rigueur dans la gestion financière des deniers de leur commune. Or, la prospérité à crédit n’existe pas et, tôt ou tard, il faut la payer. Et à ce moment-là, comme le dit l’adage : “À force de vivre à crédit, les ardoises finissent par devenir des tuiles.” Sera-t-il dès lors possible de trouver une solution pour la tranche 2024 du plan Oxygène ? CBC ne souhaite en tout cas pas y participer. La banque dit ne pas vouloir modifier sa politique de crédit. “Notre position reste inchangée”, affirme Gwendoline Hendrick.
Pour l’heure, François Desquesnes se dit néanmoins convaincu de la possibilité de trouver une solution. “Plusieurs pistes sont possibles et examinées. La solution sera probablement multiple. Le Crac est chargé d’investiguer les différentes pistes possibles”, confie le ministre, qui précise que “les banques souhaitent des garanties de remboursement et partager les risques”, ce qui est le principe même des prêts bancaires, souligne-t-il. Bref, affaire à suivre…
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