L’intelligence artificielle n’est pas une révolution industrielle de plus : c’est un séisme qui rebat les cartes du travail, de la compétitivité et de la stabilité sociale. Tandis que les États-Unis et la Chine accélèrent, l’Europe s’enlise dans la régulation et le déni. Le prix de cette inertie sera terrible.
Jamais une invention n’a porté en elle la possibilité de rendre superflu son créateur. Ni la machine à vapeur, ni l’électricité, ni Internet n’avaient ce potentiel.
L’IA, elle, ne se contente pas de nous assister : elle peut se substituer à nous. Avocats, médecins, enseignants, journalistes, développeurs… aucun bastion n’est sûr. Pendant que les autres continents bâtissent leur puissance autour de l’IA, l’Europe compte ses querelles internes et régule avant même d’innover. Résultat : nous fonçons vers le mur, les yeux grands ouverts.
Le travail en voie d’extinction
Les signaux sont déjà là. McKinsey estime que 400 à 800 millions d’emplois pourraient être déplacés d’ici 2030 sous l’effet combiné de l’automatisation et de l’IA. L’OCDE évalue à 27 % la part des emplois hautement automatisables en Europe. C’est un quart de la population active qui est menacée.
Contrairement au récit médiatique qui parle de « gains de productivité », les effets sont mesurables : dans les centres d’appel, l’usage de l’IA générative a augmenté la productivité de 14 % en moyenne, selon une étude NBER. Dans le conseil en management, des chercheurs de Harvard et du BCG ont observé que l’IA permettait aux consultants d’achever 12 % de tâches supplémentaires en 25 % de temps en moins. En programmation, GitHub Copilot a boosté la productivité jusqu’à 55 % sur certaines tâches. Ces chiffres révèlent une réalité brutale : ce qui accroît la productivité réduit mécaniquement le besoin d’emplois.
L’Europe hors-jeu dans la guerre de la compétitivité
Le contraste est saisissant. En 2024, les États-Unis ont capté 109,1 milliards de dollars d’investissements privés en IA, contre environ 9,3 milliards pour la Chine. L’Europe, elle, se contente d’environ 9 milliards d’euros cumulés en 2023 (UE + Royaume-Uni). L’écart n’est pas une différence de degré, mais de nature.
La Chine affiche un plan clair : un « cœur d’industrie IA » de 1 000 milliards de RMB d’ici 2030. Les projections indépendantes estiment ses investissements IA à 84–98 milliards de dollars dès 2025. L’Inde, avec son programme IndiaAI Mission, multiplie les initiatives de formation : plus de 500 000 Village Level Entrepreneurs (VLE) annoncés et des partenariats comme celui de Microsoft visant 10 millions de personnes formées d’ici 2030. Pendant ce temps, l’Union européenne a adopté en 2024 l’AI Act, centré sur la régulation des usages, pas sur l’investissement massif.
Résultat : l’Europe s’enferme dans une posture défensive. Elle croit se protéger en légiférant. Elle s’affaiblit en réalité en négligeant formation, infrastructures de calcul et financements. Nous ne serons pas des acteurs, mais des spectateurs du nouveau monde numérique.
La bombe sociale et budgétaire
La question n’est pas « si », mais « quand ». Aujourd’hui déjà, la France enregistre environ 7,5 % de chômage et l’Espagne entre 10 et 11,5 % selon les mois. Que se passera-t-il si ces taux montent à 20 ou 30 % sous l’effet des destructions massives d’emplois ?
Les finances publiques ne sont pas prêtes. Au quatrième trimestre 2024, la dette publique atteignait 87,4 % du PIB dans la zone euro et 81 % dans l’UE. Les marges budgétaires sont étroites. Comment financer un revenu universel dans ce contexte ? Elon Musk le propose, mais qui paiera ? Nos États déjà exsangues ?
L’histoire récente nous avertit. Les gilets jaunes ont mis la France en ébullition pendant plus de six mois pour quelques centimes sur le diesel. Que deviendra l’Europe avec un tiers de sa population active sans emploi ? Une poudrière sociale.
L’Europe joue sa survie économique et politique. L’IA n’est pas une mode technologique : c’est la dernière invention avant la faillite de notre modèle social. Si nous ne choisissons pas maintenant d’investir massivement dans la formation, l’innovation et les infrastructures, nous serons réduits à un rôle de musée pour civilisations dépassées.
L’histoire n’attend pas. Les États-Unis et la Chine courent. L’Inde se hisse dans la compétition. Et l’Europe ? Elle débat, régule, tergiverse. Chaque mois perdu rapproche le continent d’un déclassement irréversible.
La seule question qui reste : voulons-nous être les artisans de notre avenir ou les figurants de celui des autres ?
Stéphane Peeters
Fondateur Captain IA Academy+