Pierre-Henri Thomas
Les dividendes de la paix étaient une illusion
Avons-nous réellement bénéficié de cette manne ou avons-nous simplement reporté des dépenses qui se révèlent finalement inévitables?
L’expression avait été popularisée par George Bush (senior) et Margaret Thatcher à l’issue de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’URSS. On était au moment où l’on pensait qu’il n’y avait plus qu’un seul mode de penser la société et l’économie. C’était ce qu’on appelait alors “la fin de l’histoire” et le monde allait vivre sur les dividendes de la paix.
Cela ne semblait pas être un vain mot. Pendant 30 ans, entre 1989 et 2020, nous avons en effet bénéficié d’une baisse presque continue des dépenses de sécurité. Il faut s’imaginer: en 1949, le budget de la défense d’un pays comme le Royaume-Uni consommait 7 à 8% du PIB du pays. Ce montant est tombé à 2% environ aujourd’hui. Chez nous, en Belgique, nos dépenses militaires se sont même effondrées, de contrôle budgétaire en contrôle budgétaire, pour atteindre environ de 1,2% du PIB. L’armée, la “grande muette”, était la variable d’ajustement budgétaire la plus facile à mobiliser d’un point de vue politique.
Nous avons quitté brusquement un âge d’or dont nous n’avions pas conscience.
Mais depuis l’agression de l’Ukraine, puis la nouvelle guerre du Kippour déclenchée ce week-end qui risque d’embraser tout le Moyen-Orient, nous avons changé de paradigme. Nous avons quitté brusquement un âge d’or dont nous n’avions pas conscience. Ces 5% du PIB qui n’étaient plus dépensés pour acheter des armes ni maintenir une force armée censée dissuader tout agresseur extérieur tombaient du ciel.
Nous ne bénéficions plus de ce cadeau caché de l’histoire. On pourra s’interroger à bon droit sur ce que nous en avons fait: avons-nous intelligemment financé les soins de santé, la formation, les infrastructures, la sécurité sociale? C’est une question du passé. On peut toutefois se demander, comme Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire, dans une carte blanche publiée cette année dans Le Soir, si nous avons réellement bénéficié de cette manne ou si nous avons simplement reporté des dépenses qui se révèlent finalement inévitables. “L’histoire et les réalités géopolitiques nous rappellent constamment que les libertés, les valeurs démocratiques et la paix ne coulent nulle part de source, souligne Wally Struys. Il n’y eut donc ni paix, ni dividende. L’Europe a exagérément désinvesti dans sa sécurité et sa défense, la Belgique ayant décroché la timbale de la plus grande perte de capacités.”
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Et aujourd’hui, comme le soulignait l’économiste américain Kenneth Rogoff dans une opinion sur Project Syndicate, “alors que l’Europe réexamine ses règles budgétaires, les dirigeants politiques doivent réfléchir à la manière de dégager une marge de manœuvre pour faire face à une tension militaire inattendue et à grande échelle”.
Nous sommes passés des illusoires dividendes de la paix à l’inéluctable taxe de guerre.
Ce que viennent nous rappeler l’invasion de l’Ukraine et les violences barbares au Moyen-Orient est que nous sommes désormais contraints de penser non plus aux dividendes de la paix mais à la nécessité de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour faire face, à côté des coûts du vieillissement et de la transition énergétique, à ceux de notre sécurité. Certains seront tentés de dire que ce surcroît de dépenses que nécessite désormais notre sécurité sera financé facilement, comme on a pu soutenir par le passé le choc de la pandémie ou le sauvetage des banques.
Mais Kenneth Rogoff avertit: “En temps de guerre, la nécessité d’engager des dépenses temporaires massives peut facilement faire grimper le coût des emprunts”. Nous sommes passés des illusoires dividendes de la paix à l’inéluctable taxe de guerre.
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