Pierre-Henri Thomas
Le message salutaire des “bons Van Peteghem”
Que l’Etat se permette d’offrir à certains moments clés des instruments d’épargne ciblés n’est pas choquant, et est même salutaire.
On s’est beaucoup inquiété, dans les banques et ailleurs, du succès du bon d’épargne Van Peteghem, poussé à la fois par la hauteur de son coupon brut (3,30% sur un an) et surtout par l’avantage fiscal associé (un précompte ramené à 15% alors que le taux de précompte est normalement à 30%). Un succès étonnant: en ce début de semaine, au moment d’écrire ces lignes, le bon “Van Pet” avait déjà récolté plus de 12 milliards et la récolte se poursuivait.
On s’est même offusqué : quoi, l’Etat se permet de jouer avec les règles fiscales pour avantager son produit d’épargne au détriment des instruments offerts par les acteurs financiers privés (bons de caisse, comptes à terme, etc.)? Eh bien oui, un tel comportement du Trésor est légitime. Et d’ailleurs, ce n’est pas une première.
On pourrait remonter à la fondation de la Belgique: lors de la difficile négociation avec La Haye, le jeune Etat belge avait dû racheter aux Pays-Bas les droits de passage sur l’Escaut afin de désenclaver le port d’Anvers. Et pour financer ce rachat, l’Etat avait émis une dette perpétuelle, qui pouvait aussi servir à payer les droits de succession sur la base de leur valeur nominale! Ne cherchez pas: ces raretés ont disparu. Le Trésor a décidé de les racheter en 2012.
En 2011, le Trésor avait aussi lancé trois bons d’Etat, pour contrer les spéculateurs.
Mais bien plus récemment, lors de la crise de la zone euro, le lancement des “bons Leterme” avait provoqué un coup de tonnerre. Souvenez-vous: fin 2011, alors que la Belgique était en affaires courantes depuis environ 500 jours, en pleine crise de la zone euro, les marchés commencèrent à se dire qu’ils pouvaient spéculer contre la dette belge, voire contre un éclatement du pays. La riposte d’Yves Leterme (Premier ministre) et Didier Reynders (grand argentier) ne se fit pas attendre. Le Trésor lançait trois bons d’Etat, à trois, cinq et huit ans, assortis de coupons très généreux (le bon à cinq ans rapportait 4% brut) et, déjà, d’un précompte réduit à 15%.
L’avertissement était clair: les spéculateurs qui veulent parier contre l’Etat belge se casseront les dents puisque le pays peut facilement se financer grâce à l’épargne de ses citoyens. Message reçu cinq sur cinq. Le Trésor récoltait alors 5,7 milliards d’euros et la spéculation s’évaporait.
Que l’Etat se permette donc d’offrir à certains moments clés des instruments d’épargne ciblés n’est pas choquant et est même salutaire si ces instruments répondent à deux conditions. La première est la rareté. En effet, l’objectif n’est pas de permettre de se financer de manière permanente en drainant l’épargne des particuliers grâce à un avantage fiscal. Cela risquerait de déstabiliser le financement de l’économie. Mais ici, avec une opération à un an, ce n’est pas le cas. Et si le ministre des Finances devait décider de remettre le couvert à la fin de cette année, comme il l’a évoqué, il s’engagerait sur une pente glissante.
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La seconde est que cet avantage est légitime s’il vise le bien commun. Hier, il s’agissait de sauver le pays de la spéculation. Aujourd’hui, le but est d’améliorer les conditions de l’épargne des ménages et de dire que les banques ne peuvent pas impunément refuser de remonter la rémunération des épargnants. Le message est passé puisque les banques ont commencé à réagir.
Le bien-fondé de cette opération est d’ailleurs souligné jusqu’aux Pays-Bas, qui sont pourtant extrêmement parcimonieux de louanges à notre égard. “La pression de la Belgique sur les banques pour remonter les taux d’intérêt semble fonctionner, faut-il faire la même chose aux Pays-Bas?”, titrait voici quelques jours le NRC Handelsblad. Vous voyez, même La Haye applaudit…
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