TikTok, l’addiction aux écrans et la guerre de l’attention

Amid Faljaoui

Le 9 juin prochain auront lieu les élections européennes. Et si vous vous demandez à quoi sert l’Europe, voici une raison de voter.

Il y a quelques jours, la Commission européenne a mis la pression sur TikTok, cette application d’origine chinoise. Mais elle n’est pas la seule. TikTok est régulièrement accusée de nuire à la santé mentale de ses plus jeunes utilisateurs. Celle-ci a même voulu franchir une nouvelle limite. Elle souhaitait lancer une nouvelle fonctionnalité visant à rémunérer les utilisateurs – soit nous, ainsi que nos enfants- en fonction du temps passé devant notre écran. En d’autres termes, plus nous serions scotchés à notre écran, plus nous pourrions gagner de bons d’achat.

La Commission européenne est intervenue pour faire comprendre à TikTok que cela encouragerait des comportements addictifs. Cela prouve également que le modèle économique de ces applications, qu’elles soient chinoises ou américaines, repose sur la durée d’utilisation de la plateforme. Les annonceurs adorent ce temps passé sur les écrans. Ces derniers parlent de taux d’engagement, alors que pour la Commission européenne il s’agit plutôt de degré d’addiction, évoquant une forme de drogue. Cette bataille juridique entre TikTok et la Commission européenne met également en lumière une autre bataille qui est en train d’être perdue par la presse : la guerre de l’attention.

Dans l’économie des médias, la rémunération se fait aujourd’hui à travers notre attention, notre temps. Celui-ci est monétisé et vendu aux annonceurs. Comme en témoignent les multiples licenciements enregistrés dans la plupart des médias, y compris les plus prestigieux, les médias sont cependant en train de perdre cette guerre. Le temps est à la réduction des coûts.

Les problèmes des médias aujourd’hui sont bien connus : le public est bel et bien devant ses écrans, sauf qu’il n’y est le plus souvent pas pour regarder ou lire des informations, mais bien regarder des séries, écouter de la musique ou enchaîner des vidéos divertissantes sur les réseaux sociaux. Et alors que les jeunes regardent des vidéos de divertissement, l’âge des personnes qui suivent l’information par écrans interposés est souvent au-dessus des 60 ans.  

Comment les médias classiques peuvent-ils regagner cette attention perdue auprès du public, et en particulier auprès des jeunes ? Chacun essaie à sa manière, que ce soit via des podcasts ou des vidéos, de séduire ce public jeune, mais les résultats ne sont pas toujours probants.

Il y a également l’intelligence artificielle qui promet d’aider les médias à personnaliser leurs informations dans le contenu ou même dans le ton. On pourra demain ne pas lire un texte en entier. Il sera possible de demander juste un résumé, exiger de ne pas montrer des photos qui peuvent choquer, opter pour une lecture audio du texte choisi ou le faire traduire dans sa langue natale. Les idées ne manquent pas, mais l’usage de l’IA est aussi à double tranchant. De plus en plus intégrée dans les moteurs de recherche, l’IA risque de court-circuiter les médias. Avant, quand vous posiez une question à Google, vous aviez comme réponse une multitude de références, dont des articles de presse sur lesquels vous pouviez cliquer. Avec l’IA, la réponse sera unique, sous forme d’un seul texte, et, pire encore, sans aucune référence, donc sans lien vers un quotidien ou un magazine.

À l’inverse d’un collègue journaliste, je ne crois pas que la nécro des médias soit déjà dans le frigo, mais je voulais simplement vous signaler cette guerre de l’attention, qui se déroule là, sous nos yeux, mais dont on ne parle pas. Dans la mythologie grecque, le Titan Cronos (parfois aussi appelé Saturen) avait décidé de dévorer tous ses fils à la naissance afin d’éviter que ne s’accomplisse la prédiction selon laquelle il serait détrôné par l’un d’entre eux. Aujourd’hui, c’est le fils, donc l’IA, qui risque de dévorer ses parents.

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