Amid Faljaoui
Les banques vont-elles vendre de la pub avec nos données ?
JP Morgan, la plus grande banque américaine qui compte 80 millions de clients a décidé de devenir une agence de publicité, rapporte le Financial Times.
J’ai parfois l’envie – comme beaucoup d’entre vous sans doute – que le monde s’arrête de tourner aussi vite, qu’on puisse enfin souffler, qu’on puisse prendre un peu de recul. Tout va très vite aujourd’hui. Mais, j’ai aussi la chance d’avoir un ami féru de philosophie qui dans son infinie sagesse me dit souvent : «Pourquoi se plaindre du monde qui change, que veux-tu qu’il fasse d’autre, si ce n’est de changer ? ».
Il a mille fois raison. D’ailleurs, nous avons une nouvelle preuve de ce changement incessant avec la banque américaine JP Morgan, la plus grande banque américaine qui compte 80 millions de clients. La direction de cette banque n’a pas annoncé un nouveau produit bancaire ni une nouvelle appli bancaire. Non, elle a juste décidé de devenir une agence de publicité, rapporte le Financial Times. Avec les informations confidentielles de ses 80 millions de clients, JP Morgan assure aux annonceurs la possibilité de les cibler dès qu’ils effectuent des dépenses avec leur carte bancaire.
Les clients devront évidemment préalablement donner leur consentement. C’est pourtant acté dans le marbre : JP Morgan devient la première banque au monde, sauf erreur de ma part, à se lancer sur le terrain de la publicité. Bien sûr, la banque ne connaît pas exactement le produit que vous avez acheté, mais elle connaît le lieu, le magasin, la boutique ou le supermarché dans lesquels vous faites vos courses habituellement. Ce ciblage est précieux pour les annonceurs qui seront certains que l’argent qu’ils investissent en publicité va directement vers le public cible concerné. En clair, la banque JP Morgan n’enverra, par exemple, des publicités pour les couches-culottes que pour ses clients qui ont des bébés. Elle ne ciblera que les familles nombreuses avec des publicités pour des véhicules 4X4, basées sur leur historique de dépenses, etc…
Je pose là une autre question : pourquoi une banque se lance-t-elle dans la pub, ce qui n’est pas son métier de base ? Est-ce que parce qu’elle ne gagne plus assez d’argent ? Pas du tout : JP Morgan a enregistré 50 milliards de dollars de profit l’an dernier. Ce n’est apparemment jamais assez suffisant et il faut bien se diversifier. La direction de JP Morgan a constaté deux choses : la première, c’est que la publicité digitale est surtout partagée entre trois géants du numérique : Meta, Google et Amazon. Rien qu’aux Etats-Unis, ce marché de la publicité en ligne est de l’ordre de 270 milliards de dollars. Pourquoi laisser ce pactole aux seuls géants du numérique ?
Des firmes comme Apple ont renforcé leur politique en matière de vie privée. On va assister bientôt à la fin des cookies tiers, vous savez ces petits mouchards qui disent aux annonceurs ce que vous faites sur le web. Il y a donc une place à prendre pour les entreprises qui ont des masses de données numériques directes sur leurs clients. C’est le cas des banques : s’il y a bien une entité qui sait tout de nous, ce sont elles. Elles peuvent même savoir avec une assez bonne précision quand on va divorcer, mais de ça je n’en parlerai pas en public.
En Europe, la mentalité est différente et la réglementation RGPD rend, “a priori”, cette démarche publicitaire plus difficile. Je dis bien, « a priori », car les jeunes qui sont habitués à brader leur intimité contre de la gratuité pourraient bien être une cible publicitaire des banques européennes dans le futur. Tout ça me fait dire que le vrai luxe aujourd’hui, c’est l’anonymat. Il faudra payer de plus en plus cher pour rester anonyme demain sans se voir privé de certains services qu’on nous aura d’abord offerts. Histoire de bien nous rendre dépendants avant de nous racketter, non pas avec de l’argent, mais avec notre attention. Le kidnapping de nos données numériques, c’est à dire le vol consenti de notre vie privée, passe aussi par là. C’est l’économie de la dopamine dont je vous parlais il y a quelques jours encore.
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