Amid Faljaoui

La réélection de Poutine et le syndrome Gilbert Montagné

La réélection triomphale de Vladimir Poutine est-elle vraiment la nouvelle la plus importante du jour ? J’ai envie de dire non, pour au moins deux raisons : la première, c’est qu’au-delà même de la guerre en Ukraine, Poutine avait réformé la constitution de son pays en 2020 pour pouvoir rester à la tête de la Russie jusqu’en 2036. La deuxième raison, c’est qu’en dépit de sa véritable popularité au sein de la population russe, voter autrement aurait été impossible.

Comme l’explique Mikhaïl Vinogradov, le président du centre d’études politiques de Saint-Pétersbourg, le vote en Russie était électronique. Et même si en théorie, les électeurs russes pouvaient voter pour d’autres candidats, la réalité est qu’ils sont convaincus que les autorités pouvaient surveiller leur vote. Et cette peur était très forte chez les électeurs dont les revenus dépendent de l’Etat, comme les retraités ou les fonctionnaires. Et comme le précise Mikhaïl Vinogradov au Figaro, « ces électeurs pensaient que leur employeur attendait d’eux qu’ils se rendent aux urnes et votent pour Poutine ».

Bref, comme le disait un humoriste, on ne pourra pas dire avec cette élection de Poutine, “j’ai eu le syndrome Gilbert Montagné, j’ai rien vu venir”. En réalité, le seul scrutin qui aura un véritable impact cette année, c’est l’élection éventuelle de Donald Trump à la Maison Blanche. Bien sûr, tout ne sera pas chamboulé. Sur la question d’Israël, par exemple, tant Biden que Trump sont des soutiens inconditionnels de l’Etat hébreu. Et tous les deux estiment que la normalisation nécessaire avec l’Arabie saoudite devra inciter les autorités israéliennes à accepter une solution à deux Etats.

En revanche, pour l’Ukraine, Trump n’est pas du tout en phase avec Biden. La grande crainte des Occidentaux ? Voir Donald Trump abandonner l’Ukraine et laisser la Russie gagner cette guerre comme il l’a souvent déclaré. Mais est-ce aussi simple ? On le sait bien, le véritable ennemi pour Trump, c’est la Chine. S’il laisse l’Ukraine tomber entre les mains des Russes, il risque d’envoyer un signal positif aux Chinois sur Taiwan. Genre « allez-y, je ne ferai quand même rien ».

D’où la question : malgré ses menaces répétées de laisser tomber l’Ukraine, n’est-ce pas surtout de la com’, une forme de pression habile à l’égard des Européens pour les inciter à dépenser plus pour leur défense ? N’oublions pas que plusieurs pays, dont la Belgique et même la France, n’atteignent pas leur objectif d’une défense qui devrait représenter 2% de leur PIB. Si ces pays retardataires font un effort, Trump pourrait continuer à soutenir l’Ukraine dès lors que le fardeau est mieux partagé entre alliés. Et cerise sur le gâteau, il enverrait aussi un signal fort à Pékin. C’est possible comme scénario.

Vu du côté européen, il faut bien le reconnaître, nous avons hélas besoin d’un ennemi pour bouger. Hier, c’était la peur de Staline qui nous a forcés à créer l’Union européenne avec cette réussite spectaculaire d’avoir eu 80 ans de paix continue sur notre Vieux Continent. Aujourd’hui, c’est Poutine qui a remplacé Staline. Et j’ajouterai aussi Trump, car son éventuelle élection en novembre est source de stress pour de nombreux pays. Et l’Europe, par la voix de ses dirigeants, a bien compris qu’elle devra davantage compter sur elle-même en matière de défense au cours des prochaines années. Mais est-ce vraiment un mal ? L’essayiste Alain Minc a coutume de dire que l’Europe a tendance à avancer en crabe. Bien sûr, ce n’est pas élégant comme démarche, mais elle finit par avancer. Et c’est la seule chose qui compte.

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