Amid Faljaoui

Invasion de l’Ukraine : la thèse qui dérange…

Jeffrey Sachs et Donald Trump avancent une lecture alternative du conflit en Ukraine : l’Occident, par ses choix stratégiques, aurait contribué à la réaction de Moscou. Une vision controversée qui interroge.

Et si la guerre en Ukraine n’était pas seulement le fruit de la soif impérialiste de Vladimir Poutine ? Et si, derrière l’invasion, se cachait une autre histoire, celle d’une série d’actions occidentales perçues comme des provocations répétées par Moscou ? Jeffrey Sachs, économiste mondialement reconnu, avance cette thèse depuis des années. Mais il n’est pas le seul intellectuel à tenir ces propos. Aujourd’hui, Donald Trump la reprend à son compte pour se poser en médiateur potentiel. Alors, folie ou réalité ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre.

Le traité ABM : un pacte brisé, un équilibre détruit

Pour comprendre les origines de ce conflit, il faut revenir à un moment clé de l’histoire récente : le retrait des États-Unis du traité ABM (Anti-Ballistic Missile Treaty) en 2002, sous l’administration de George W. Bush. Ce traité, signé en 1972 entre les États-Unis et l’URSS, était un pilier de la stratégie de dissuasion nucléaire. Il limitait le déploiement des systèmes anti-missiles à un seul site par pays, empêchant ainsi l’idée d’un “bouclier” parfait. Pourquoi ? Parce que l’équilibre de la guerre froide reposait sur un principe terrifiant mais efficace : la destruction mutuelle assurée. Si aucun des deux camps ne pouvait espérer survivre à une attaque nucléaire, aucun n’aurait intérêt à lancer le premier missile.

Quand les États-Unis décident de quitter ce traité, leur message est clair : ils veulent développer des technologies capables de neutraliser les missiles ennemis avant qu’ils ne frappent. Officiellement, cette décision est prise pour se protéger des États voyous comme l’Iran ou la Corée du Nord. Mais à Moscou, on perçoit immédiatement cette rupture comme une menace directe. En effet, un système défensif performant rend la Russie vulnérable. Si elle ne peut plus riposter en cas d’attaque, sa capacité de dissuasion s’effondre.

Ce retrait devient alors un tournant stratégique. Jeffrey Sachs et d’autres critiques comme John Mearsheimer, un des meilleurs spécialistes mondiaux de la politique internationale, pointent que cette décision a brisé un équilibre fragile mais crucial entre les deux superpuissances, alimentant la méfiance russe envers les intentions américaines.

L’extension de l’OTAN : la goutte de trop ?

Le retrait du traité ABM n’est qu’un élément d’un puzzle plus large. Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN, alliance militaire créée pour contrer l’URSS, n’a cessé de s’élargir. En 1990, lors des négociations sur la réunification allemande, l’Occident aurait promis à Mikhaïl Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendrait pas vers l’Est. Une promesse non écrite, certes, mais qui résonne encore aujourd’hui comme une trahison dans les cercles russes.

Dès 1999, l’OTAN a accueilli la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. Puis, en 2004, c’était au tour des États baltes et de plusieurs autres pays d’Europe de l’Est. À chaque étape, la Russie proteste, voyant dans ces élargissements une tentative d’encerclement. Mais l’Occident ignore ses objections. Elle affirme que l’OTAN est une alliance défensive que ces pays rejoignent librement. Jusqu’en 2021, Moscou continue de considérer l’idée même d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN comme une ligne rouge à ne pas franchir.

Pour Sachs et d’autres observateurs, l’Occident a fait preuve d’arrogance. Les avertissements russes auraient été balayés d’un revers de main, renforçant un sentiment d’humiliation et de menace existentielle. Poutine, selon cette lecture, n’aurait pas agi par désir d’expansion mais par peur de voir son pays acculé.

Trump, l’anti-belliciste sceptique

C’est ici qu’intervient Donald Trump. À contre-courant du consensus occidental, l’ancien président américain a toujours été critique de l’OTAN, allant jusqu’à menacer de retirer les États-Unis de l’alliance. Sa logique est double. D’une part, il considère que les Européens ne paient pas leur juste part pour leur défense. D’autre part, il estime que l’extension de l’OTAN a contribué à provoquer Moscou.

Face à la guerre en Ukraine, la position de Trump est claire. Il critique les milliards dépensés par les États-Unis pour soutenir l’effort de guerre, arguant que cet argent serait mieux utilisé pour reconstruire l’Amérique.

Mais Trump va plus loin. Il partage, à sa manière, une partie de l’analyse de Jeffrey Sachs, alors que cet économiste est plutôt de gauche. Selon lui, c’est l’administration Biden – et, plus largement, les Démocrates – qui ont poussé l’Ukraine à défier Moscou en se rapprochant de l’OTAN, provoquant ainsi une réaction brutale de Poutine. Trump se positionne comme un pragmatique, affirmant qu’il pourrait “arrêter cette guerre en 24 heures” en négociant directement avec Moscou et Kiev, au mépris des intérêts européens.

Une thèse controversée, mais fondée ?

Bien sûr, cet argumentaire ne fait pas l’unanimité. Nombreux sont ceux qui accusent Poutine d’être l’unique responsable de l’invasion, et qui voient dans ces justifications une forme d’apologie du Kremlin. Mais pour autant, les critiques de Sachs et Trump mettent en lumière des erreurs stratégiques de l’Occident qui méritent réflexion.

Le retrait du traité ABM, l’élargissement de l’OTAN, et le refus de prendre au sérieux les préoccupations russes ont contribué à créer une situation explosive. Cela n’excuse évidemment en rien l’invasion de l’Ukraine, mais cela offre une perspective alternative sur les origines du conflit. Et surtout, cela permet de comprendre, pas d’excuser, pourquoi Trump négocie en direct avec Poutine et laisse de côté des Européens qu’il accuse d’avoir suivi aveuglément Joe Biden et les Démocrates dans une guerre, dont il n’a cure. Mais encore une fois, expliquer n’est pas justifier.

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