Amid Faljaoui

Hystérie et injustice boursière, le cas de l’action Teleperformance

Hier soir, j’ai eu le privilège de modérer une discussion avec des experts en bourse au Grand-Duché du Luxembourg. Ce qui m’a frappé, et je n’étais pas le seul dans cette impression partagée par l’audience, c’est l’euphorie qui règne sur les marchés boursiers depuis quelques mois, surtout depuis le début de l’année 2024.

La plupart des records récents en bourse s’expliquent largement par l’engouement des investisseurs pour l’intelligence artificielle. Un exemple frappant est l’évolution du cours de l’action de Nvidia, spécialiste des puces électroniques dédiées à l’intelligence artificielle. En 2023, cette action avait déjà grimpé de 240%, et depuis le début de l’année 2024, elle a déjà augmenté de 85%. Cette tendance remarquable est principalement attribuée aux perspectives favorables de l’intelligence artificielle.

Actuellement, la Bourse, ou plutôt les algorithmes qui la dirigent, adoptent une vision très binaire des actions. D’un côté, on trouve celles qui bénéficieront pleinement de l’intelligence artificielle, classées dans la catégorie de la “croissance”. De l’autre côté, on retrouve les entreprises susceptibles d’être éliminées en raison de l’avènement de l’intelligence artificielle, avec leurs actions cataloguées comme “valeur à la casse”. Cette approche binaire, pour ne pas dire primitive, de la classification des actions est manifestement injuste et imparfaite, car les véritables conséquences de l’intelligence artificielle ne sont pas encore clairement définies. Cependant, la Bourse ne s’attarde pas sur les détails, et des entreprises comme Téléperformance en ont récemment fait les frais à la Bourse de Paris.

Téléperformance, une entreprise de premier plan mondial spécialisée dans la gestion de centres d’appels et d’autres services connexes pour de grandes entreprises internationales, a subi une dévalorisation boursière importante. En seulement deux ans, 13 milliards d’euros de capitalisation boursière ont été effacés depuis le pic atteint par cette action. Pourtant, la société ne peut être tenue responsable de cette purge en raison de ses résultats solides, avec une marge opérationnelle élevée de 15,8% et un chiffre d’affaires colossal de 10 milliards d’euros depuis l’acquisition d’un de ses concurrents.

La cause de cette injustice boursière récente à l’encontre de cette entreprise remarquable réside dans la publication par une fintech suédoise (Klarna) d’un communiqué de presse sur son assistant client virtuel alimenté par l’intelligence artificielle. Selon ce communiqué, le modèle économique des centres d’appels pourrait être remis en question, notamment parce que cet assistant virtuel a géré 2,3 millions de conversations via un chat, l’équivalent de 700 postes à temps plein. De plus, ce système virtuel répond plus rapidement aux questions des clients, avec un temps moyen de deux minutes contre onze minutes auparavant. Ces éléments ont suffi à convaincre la Bourse que le modèle économique des entreprises comme Téléperformance, qui gèrent des centres d’appels à travers le monde, était en danger, d’autant plus que l’IA peut effectuer ce travail dans plusieurs langues.

Bien sûr, ce raccourci est excessif, voire exagéré, et l’impact de l’intelligence artificielle est plus subtil. Malgré les explications du PDG de Téléperformance sur l’utilisation préalable de l’IA dans ses centres d’appels et le fait que son entreprise n’a pas attendu l’arrivée de la société suédoise pour intégrer l’IA dans ses activités, la Bourse reste insensible aux arguments. Comme toute personne amoureuse, elle n’a d’yeux que pour le nouvel élu de son cœur : l’intelligence artificielle !

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