A qui profite le crime de l’attentat de Crocus ?

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Eddy Caekelberghs
Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Devant toute tragédie, il convient de saluer la mémoire des victimes et la douleur des familles endeuillées ou blessées par une violence terroriste. L’horreur n’a qu’un seul visage : celui des victimes de la barbarie. Où que ce soit – à Bruxelles, à Paris, en Ukraine, en Israël, à Gaza, au Congo ou ailleurs : aucune victime ne devrait être passée sous silence. Elle a droit, d’abord, à être saluée comme telle.


Je précise qu’il me semble que nous avons tendance un peu trop rapidement à passer à l’analyse froide et impersonnelle des causes et commanditaires avant même de nous attacher à souligner le drame humain. Nulle vie n’est inférieure à une autre. Nous devrions le reconnaître. Agir autrement, mépriser les victimes parce que russes – par ces temps de guerre à présent avérée et reconnue par le Kremlin en Ukraine – revient à accepter d’essentialiser les gens, à leur attribuer une pensée unique et, partant, une responsabilité commune.


N’oublions jamais que les premiers déportés par les nazis étaient les opposants allemands tout comme ces opposants russes qui n’ont pas toutes et tous la notoriété d’un Navalny ou Nadejdine mais n’en demeurent pas moins actifs par signaux faibles. Comme ceux et celles qui se sont rendus au bureau de vote à l’heure de midi, massivement, comme demandé par l’opposition. Ou comme ces membres de l’ONG des droits de l’homme Memorial qui, bien que dissoute comme organisation “à la solde de l’étranger”, continue d’organiser des filières d’aide aux Ukrainiens déplacés en Russie et l’on songe en particulier aux enfants.


Alors à qui profite le crime de l’attentat de Crocus ? Certainement à son commanditaire. Isis ou Daech qui – dans sa branche du Korazan liée à l’Afghanistan, au Tadjikistan et au Kazakhstan – revendique l’attaque. Mais est-ce certain ? Ce n’est pas la première fois que Daech revendique des attentats – chez nous ou ailleurs – qui ne lui sont pas finalement imputés.


“Mais si Poutine entraîne la Russie toujours plus avant dans un monde qui n’existe pas, nous ferons tous un pas de plus vers une conflagration générale, avec un adversaire qui n’entend plus raison”, conclut Le Figaro à Paris. Alors, à qui profite le crime ?


Mais alors qui ? Les services secrets russes eux-mêmes comme en 1999 pour faire élire Poutine ? Des attentats meurtriers sur deux immeubles moscovites soufflés pendant la nuit avaient alors permis la seconde guerre tchétchène et l’installation de Poutine au pouvoir. Ce pouvoir renforcé par les “élections” et qui pourrait avec insistance trouver des culpabilités en Ukraine et s’en servir pour qu’une opinion publique russe endeuillée accepte mieux une grosse levée de troupes et d’enrôlement de jeunes recrues en avril.

Ce n’est pas la première fois que Daech revendique des attentats – chez nous ou ailleurs – qui ne lui sont pas finalement imputés.


Il faut 170.000 têtes de plus. Et à présent que le Kremlin est passé du discours sur une “opération militaire spéciale” à la notion officielle de “guerre”, ce serait de nature à favoriser une mobilisation générale. Alors est-ce, comme le pense Jutarnji list, le titre phare du premier groupe médiatique croate, “un timing désastreux pour Poutine qui se pensait tranquille” ou, au contraire, “le tournant d’une guerre à mort à l’Ukraine” comme le titre Novaïa Gazeta Evropa (journal électronique russe d’opposition en exil) en écrivant : “Impossible de mener une guerre contre l’Ukraine […] pour ensuite reconnaître officiellement que c’est ailleurs que l’on aurait dû chercher l’ennemi. On devrait donc bientôt assister à une tentative de réquisitoire contre les ‘fondamentalistes islamistes opérant à la solde de Kiev, qui tire les ficelles en coulisses’.”

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