Eric Dor
Les risques liés à la problématique de la nomination du gouverneur de la BNB et à la solution temporaire retenue
La décision incompréhensible du gouvernement de suspendre la nomination du gouverneur de la BNB pour un nouveau mandat, pour des raisons mesquines de mésentente sur la répartition de postes entre partis de la majorité, expose la population du pays à des risques inconsidérés en cas de crise financière.
1. Les risques induits par la suspension de la nomination du gouverneur de la BNB pour un nouveau mandat
La décision incompréhensible du gouvernement de suspendre la nomination du gouverneur de la BNB pour un nouveau mandat, pour des raisons mesquines de mésentente sur la répartition de postes entre partis de la majorité, expose la population du pays à des risques inconsidérés en cas de crise financière. Et la pseudo solution trouvée hier, d’une prolongation temporaire du mandat précédent à l’initiative du conseil de régence, est bancale juridiquement.
En l’absence de nomination formelle du gouverneur par le gouvernement conformément aux statuts de la BNB, la loi belge est sans indication sur la manière de pourvoir à la fonction. C’est logique, car il était difficile pour le législateur de supposer que les partis d’une majorité gouvernementale pourraient un jour manifester l’irresponsabilité de laisser la BNB sans gouverneur nommé, et risquer ainsi, potentiellement, la stabilité financière du pays et les intérêts des citoyens. Partout dans le monde, les autorités veillent au bon fonctionnement de la banque centrale nationale, vu le rôle crucial qu’elle est amenée à jouer en toutes circonstances, et évidemment en cas de crise financière, qui peut arriver à n’importe quel moment.
Si une ou plusieurs banques belges étaient en difficulté et avaient à être sauvées par les autorités publiques, comme l’ont été Fortis et Dexia en 2008 lors de la grande crise financière, la BNB jouerait un rôle déterminant. C’est la banque centrale nationale qui, par exemple, peut décider d’octroyer, à ses propres risques, des prêts de liquidités d’urgence ELA aux banques en détresse, moyennant accord de la BCE, comme cela avait été le cas à l’époque. Il est légitime de se demander comment la BNB pourrait agir ainsi, et assumer de telles responsabilités, sans gouverneur, ou avec un gouverneur intérimaire ou prolongé, installé temporairement d’une manière juridiquement incertaine.
L’article 23 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique indique que « Le gouverneur est nommé par le Roi pour un terme de cinq ans, renouvelable. » Par le Roi, il faut comprendre le gouvernement fédéral. L’article 18 de cette loi indique aussi que le gouverneur « est remplacé, en cas d’empêchement, par le vice-gouverneur, sans préjudice de l’application de l’article 10.2 des statuts du SEBC ».
Évidemment, il serait abusif de considérer que cet article est d’application ici. Pour être empêché, il faut être gouverneur en fonction. Or être arrivé au terme de son mandat sans être reconduit est totalement différent d’être empêché. L’absence de reconduction formelle par le gouvernement a impliqué que la BNB est sans gouverneur qui puisse être empêché. Cela rend impossible d’utiliser la loi pour confier temporairement la direction de la BNB au vice-gouverneur. Un problème juridique similaire se pose pour la participation de la BNB au conseil des gouverneurs de la BCE. L’article 10.2 des statuts du SEBC indique que « le droit de vote est exercé en personne » et que le règlement intérieur de la BCE « prévoit également qu’un membre du conseil des gouverneurs empêché d’assister aux réunions du conseil des gouverneurs pendant une période prolongée peut désigner un suppléant pour le remplacer en tant que membre du conseil des gouverneurs ». Pour pouvoir désigner un suppléant, il faut encore être gouverneur nommé, en cours de mandat.
2. La pertinence juridique très incertaine de la solution temporaire
Le gouvernement a alors demandé au Conseil de régence de la BNB de trouver une solution pour que le gouverneur puisse rester exceptionnellement en fonction avant d’être officiellement reconduit, en application du principe de continuité du service public. L’argument utilisé est que ce principe a déjà été reconnu par le Conseil d’État, en ce qui concerne des problèmes liés à d’autres organismes publics.
Le conseil de régence, avec un souci de protéger l’intérêt général, a méritoirement accédé à la demande du gouvernement, et a demandé au gouverneur, dont le mandat était arrivé à terme, « de poursuivre sa mission de gouverneur à titre temporaire, jusqu’à ce que le gouvernement ait pris une décision formelle quant à ce mandat ». Le conseil de régence est toutefois conscient de la fragilité légale de cette mesure. Le conseil de régence, en effet, « souligne que la situation actuelle est tout à fait exceptionnelle et que cette solution temporaire est sous-optimale, eu égard au principe d’indépendance des banques centrales inscrit dans le droit européen. Par conséquent, il appelle le gouvernement fédéral à remplir ses obligations juridiques européennes et internationales dans les plus brefs délais, en prenant une décision quant au mandat de gouverneur ».
En réalité, la validité juridique de la prolongation du mandat du gouverneur par le conseil de gérance est très incertaine. En effet, la nomination du gouverneur, même à titre temporaire, est totalement étrangère aux missions confiées par la loi au conseil de régence. L’article 20 de la loi sur le statut organique de la Banque Nationale de Belgique précise en effet que « Le Conseil procède à des échanges de vues sur les questions générales relatives à la Banque, à la politique monétaire et à la situation économique du pays et de l’Union européenne, à la politique de contrôle à l’égard de chacun des secteurs soumis au contrôle de la Banque, à l’évolution dans le domaine du contrôle sur les plans belge, européen et international, ainsi que, en général, à toute évolution concernant le système financier soumis au contrôle de la Banque, sans être compétent pour intervenir au niveau opérationnel ou connaître des dossiers individuels. Il prend tous les mois connaissance de la situation de l’institution. Il arrête, sur la proposition du Comité de direction, le règlement d’ordre intérieur qui comporte les règles de base relatives au fonctionnement des organes de la Banque ainsi qu’à l’organisation des départements, services et sièges d’activité. », que « Le Conseil fixe individuellement le traitement et la pension des membres du Comité de direction. Ces traitements et pensions ne peuvent comporter de participation dans les bénéfices et aucune rémunération quelconque ne peut y être ajoutée par la Banque, ni directement ni indirectement » et que « Le Conseil approuve le budget des dépenses ainsi que les comptes annuels présentés par le Comité de direction. Il règle définitivement la répartition des bénéfices proposée par le Comité ». Même les autres membres du comité de direction (que le gouverneur), s’ils sont proposés par le conseil de régence, doivent être nommés par le Roi. Les pouvoirs de nomination échappent donc totalement au conseil de régence.
L’exigence de continuité des services publics est légitime. Mais légalement, c’est le gouvernement, plutôt que le conseil de régence, qui doit veiller à cette continuité.
Avant la nomination du gouverneur par le gouvernement conformément à la loi, ses actions en Belgique, et les décisions de la BCE, auxquelles il participerait, pourraient être contestées devant les tribunaux et la CJUE. La crédibilité de la Belgique est ternie par cette déstabilisation potentielle inutile qui peut être considérée comme un manque de loyauté envers les partenaires européens.
3. Les causes consternantes de l’absence de nomination
Juridiquement, les dirigeants des administrations publiques et autres organismes publics doivent agir de manière neutre politiquement, avec pour unique objectif la poursuite de l’intérêt général sans que leur action soit subordonnée aux préoccupations d’un parti ou d’intérêts catégoriels quelconques. La gestion de ces dirigeants devrait donc être la même, quels que soient les partis qui les ont proposés. Logiquement les partis devraient donc être indifférents à la couleur politique de ces personnes, et le gouvernement aurait à simplement nommer les gens qui ont les compétences techniques et un dévouement sincère à l’intérêt général. En attachant tellement d’importance à la possibilité de nommer leurs affidés, au prix du risque de déstabiliser la BNB et la BCE, et de nuire à l’image du pays, les partis concernés montrent logiquement que pour eux la couleur politique des dirigeants compte, et donc que l’on s’écarte de la neutralité. C’est un autre motif de consternation.
Eric Dor est Directeur des Etudes économiques à l’IESEG (Lille et Paris)
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