Jean-Pierre Schaeken Willemaers

La particratie belge est-elle une menace pour la démocratie ?

Jean-Pierre Schaeken Willemaers Institut Thomas More - Président du pôle Énergie, Climat, Environnement

Les partis belges sont des structures solidement organisées, intermédiaires entre les électeurs et leurs représentants : les parlementaires. Leur poids politique est considérable.

Ce sont, en effet, leurs présidents qui choisissent les ministres et secrétaires d’État qui leur sont dévolus au sein de la coalition gouvernementale et nomment, entre autres,  les dirigeants et administrateurs des entreprises et médias publics ainsi que les juges de la Cour constitutionnelle. Même si  les juristes et les ex-parlementaires qui  composent cette dernière sont désignés par les députés et les sénateurs et même si les ex-parlementaires appelés à siéger doivent faire consensus parmi leurs pairs, la particratie n’est jamais loin.

Une telle influence des partis politiques est-elle conforme à l’image que l’on se fait d’une démocratie parlementaire ? Dans le cadre de cette dernière, le gouvernement  est  responsable devant le parlement qui lui accorde sa confiance ou peut la lui retirer et n’est pas censé céder à la pression « partisane ».

Dans les faits,  les citoyens n’élisent pas les parlementaires, mais se contentent de fixer les rapports de force entre les partis. Ce sont ceux-ci qui décident qui gouvernera et qui procédera aux arbitrages nécessaires pour la déclaration gouvernementale fixant les priorités. Ceci réduit considérablement la marge de manœuvre des parlementaires. Une des échappatoires est la rébellion de certains d’entre eux, à leurs risques et périls.

Au niveau du gouvernement fédéral, c’est principalement au sein du kern que les partis politiques marquent leur territoire.

Le kern est le nom donné à un organe sans existence légale, mais bien intégré dans le système politique belge, rassemblant le Premier ministre et les Vice-premiers, ces derniers étant tous choisis par les Présidents de parti. Or, c’est lors des réunions  de cet organe que sont discutées, entre autres, les décisions relatives aux dossiers les plus importants avant la réunion du conseil des ministres (le gouvernement au complet) qui généralement ne fait que les entériner.

Une telle concentration de pouvoir dans les mains d’un groupe réduit de personnes au sein d’un organe constitutionnellement inexistant pose question !

La constitution de cabinets ministériels pléthoriques, visant à moins dépendre de l’administration, vient renforcer la domination des partis.

L’administration elle-même n’échappe pas, dans une certaine mesure,  à cette particratisation alors que  leur objectif premier devrait être la recherche du bien commun. Il en va d’ailleurs de même pour les entreprises publiques.

Le rapport au politique devrait s’entendre comme celui de la confiance et non du clientélisme.

La particratie belge et le régime présidentiel français partagent quelques similitudes.

Dans les deux systèmes, le rôle du parlement est trop souvent formel. En Belgique, les partis de gouvernement se concertent  pour fixer une position commune sur tous les dossiers importants avant qu’ils soient à l’ordre du jour du gouvernement ou du parlement. Les ministres de la République sont responsables devant le Président qui n’a lui-même de compte à rendre à personne. En cas d’opposition éventuelle du parlement, il lui reste toujours le 49.3.

L’opinion populaire se façonne de manière non négligeable par les réseaux sociaux, dont ne se privent ni le Président français ni les partis belges. Ce sont donc l’un et les autres qui  sont en permanence face à la population.

La prépondérance  des partis et de la Présidence est tout bénéfice pour les plus extrêmes et toxiques d’entre eux qui ne se privent pas de fomenter des manifestations contre les politiques  gouvernementales, dont certaines frisent l’insurrection.

À ce propos se pose la question de la répression de la violence. À  quel prix faut-il assurer la sécurité des personnes et lutter concrètement contre les émeutes ?

En outre, les partis politiques belges sont largement financés par des dotations de l’État fédéral. Sous certaines conditions, ces financements sont constitués d’un montant forfaitaire auquel s’ajoutent quelques euros par suffrage (différent pour la Chambre et le Sénat), dont la somme est d’autant importante que le nombre de sièges obtenu dans les deux assemblées est plus élevé.

Si le financement public est important en démocratie, des contributions fédérales aussi généreuses entraînent une perte de contact des partis avec la société, ces derniers étant nettement moins dépendants de sources de financement privé. À cet égard, l’Allemagne a une approche plus pragmatique : une partie du financement public est lié aux dons du privé.  Pour chaque euro versé par les citoyens, l’État octroie un pourcentage supplémentaire. Les partis n’ont dès lors d’autres choix pour augmenter leur budget que de s’adresser à la population.

 On peut conclure de ce qui précède que le régime politique belge est démocratique, mais que le système  l’est moins.

Malgré tout, force est de constater que le système tel que nous le connaissons contribue également au bon fonctionnement de la société. Les partis ont leur utilité dans la société puisqu’ils permettent de structurer l’offre électorale auprès des citoyens, de porter les débats  et de traduire plus aisément l’expression citoyenne à travers le vote au sein d’un certain nombre d’institutions.[1]

Réformer le système s’avère extrêmement difficile, la domination des partis ne contrevenant à aucune loi. Saisir la Cour constitutionnelle est inutile, celle-ci ne pouvant statuer que sur une action enfreignant la constitution.

Si la prépondérance des partis s’avérait intolérable, il faudrait au préalable adapter la constitution en introduisant des dispositions empêchant les partis de court-circuiter les instances politiques établies dans les processus de nomination des ministres et secrétaires d’État, etc.

Dans le contexte actuel, la tâche semble particulièrement délicate.

Il s’avère donc essentiel de maintenir des contre-pouvoirs et des voies de recours afin de servir la demande légitime  d’une vie pacifiée où la place de chacun est reconnue.


[1] La particratie domine-t-elle en Belgique ? Maud Wilquin, 29 janvier 2023.

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