Pierre-Henri Thomas
Avec l’IA, l’Europe a une carte à jouer
Qu’on légifère sur l’intelligence artificielle, c’est tout naturel, mais on est frappé par la différence d’approche entre l’Europe, pour qui la priorité semble être de dresser des barrières, et un pays comme Singapour,
C’est le sujet qui transcende toutes les conversations depuis le lancement de ChatGPT à la fin de l’an dernier: comment faire face à la révolution de l’intelligence artificielle (IA) générative, celle qui rédige notre dissertation (en inventant parfois des références), nous fait parler comme Donald Trump, réalise une vidéo de Charles Michel en train de déclarer qu’il rejoint les troupes du PTB, ou invente de nouvelles molécules qui seront demain des médicaments révolutionnaires.
Voici quelques jours, le Parlement européen a adopté à une très large majorité sa “position de négociation” sur le sujet. En gros, les députés de l’Union veulent interdire le recours à l’IA pour la surveillance biométrique, la reconnaissance des émotions et la police prédictive, mais aussi obliger ChatGPT et consorts à mentionner que tel contenu a été généré par une IA et mettre en garde contre son utilisation pour influencer les électeurs. Quelques “bacs à sable”, des espaces permettant de tester l’une ou l’autre invention, sont également prévus. Et pour la fin de l’année, si un accord est atteint entre le Parlement, le Conseil et la Commission, l’Union devrait avoir son “AI Act”.
Qu’on légifère sur ces matières sensibles, c’est tout naturel, mais on est frappé par la différence d’approche entre l’Europe, pour qui la priorité semble être de dresser des barrières, et un pays comme Singapour, qui a déjà conçu son plan de bataille pour devenir un des leaders dans le domaine d’ici 2030.
Oui, l’IA est pleine de dangers pour les emplois, l’équilibre social, la bonne marche de la démocratie, les libertés individuelles. Mais Singapour estime aussi que pour ses concitoyens, l’IA devrait apporter plus de commodité, de sûreté et de sécurité et, surtout, améliorer leur vie: “L’IA devrait transformer la planification au niveau national et améliorer considérablement la qualité des biens publics tels que les transports, l’éducation et les soins de santé. Pour l’économie, l’IA devrait augmenter notre main-d’œuvre pour accroître la productivité et nous permettre de créer des produits et des solutions de valeur pour le marché de Singapour et au-delà”.
La manière la plus sûre de maîtriser une technologie dangereuse, c’est finalement de s’en servir.
La manière la plus sûre de maîtriser une technologie dangereuse qui, de toute façon, ne disparaîtra pas de la surface de la Terre, c’est finalement de s’en servir. Pour éviter de nouvelles fractures sociales, Singapour va d’ailleurs mettre le paquet sur la formation et la sensibilisation de sa population à cette révolution.
Neuf secteurs prioritaires, dans lesquelles l’IA pourrait être d’un apport considérable, ont déjà été définis: la logistique, l’industrie, la finance, la sécurité, la cybersécurité, les smart cities, les soins de santé, l’éducation et les services publics. Et l’Etat singapourien, qui n’est pas un pouvoir bisounours, ajoute qu’il gérera les risques et les questions de gouvernance liés à l’utilisation croissante de l’IA de manière proactive. Pour faire court, une carte sera dressée et mise continuellement à jour pour définir la responsabilité de chaque acteur du secteur.
Dans la bataille de l’IA, l’Europe ne manque pas d’atouts, notamment dans la qualité des données de ses entreprises et de ses organisations. Les datas sont en effet le sang qui bat dans les veines de l’IA. Mais il manque à l’Europe ce type d’approche volontariste, mêlant responsabilité et dynamisme. Il est vital que l’Union prenne l’IA à bras-le-corps pour en faire un atout décisif pour son économie et sa société.
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