Un Belge sur cinq ne survivrait pas sans cash
Les paiements sans contact et mobiles se multiplient, mais en même temps l’argent liquide connaît un regain d’intérêt. Un Belge sur cinq déclare même qu’il ne survivrait pas sans cash et en fait son moyen de paiement préféré.
“On peut parler d’une fracture du paiement dans notre société”, explique Leo Van Hove, professeur d’économie à la VUB. “D’un côté, il y a une majorité qui paie de plus en plus sans contact et via leur téléphone portable. D’autre part, il y a une minorité d’utilisateurs inconditionnels de l’argent liquide, des personnes qui ne peuvent pas se passer de cash. Il est important qu’en tant que société, nous n’abandonnions pas ce groupe-là”.
M. Van Hove et sa collègue Ellen Van Droogenbroeck réalisent chaque année le Baromètre des Paiements numériques ; une étude qui repose sur un échantillon représentatif de 1.187 Belges, interrogés en ligne et par téléphone, sur leurs habitudes et préférences en matière de paiement. Les résultats permettent de mettre en lumière les comportements des Belges en matière de paiement et de retracer l’évolution des paiements numériques. Le Baromètre s’inscrit dans le cadre d’initiatives visant à promouvoir ces derniers.
La première enquête a été réalisée en mars 2020, juste avant la pandémie. Cette année, les chercheurs en sont à la quatrième édition et peuvent pour la première fois comparer deux années “normales”.
Percée du paiement sans contact
Un premier constat est que les paiements par carte sans contact ont fait un bond énorme en avant par rapport au début de la crise sanitaire. Alors qu’en 2020, moins de la moitié des Belges payaient de cette manière, aujourd’hui, quatre Belges sur cinq déclarent avoir déjà présenté leur carte devant un terminal sans encoder leur code PIN. Le nombre de ceux qui le font régulièrement est passé de 25% à 55 %.
La carte bancaire est le moyen de paiement le plus utilisé dans notre pays. En effet, plus de la moitié des Belges déclarent payer régulièrement à la fois par carte et sans contact. Selon une étude de la Banque centrale européenne (BCE) publiée à la fin de l’année dernière, chez nous, les paiements par carte représentent 48 % de l’ensemble des transactions. La Belgique est donc l’un des quatre pays de la zone euro où les paiements par carte sont devenus plus importants que les paiements en espèces.
Deuxième constat : les paiements mobiles sont en hausse lorsqu’il s’agit de transferts à partir d’un appareil mobile (smartphone ou tablette), selon les statistiques de la Banque Nationale. Mais lorsqu’il s’agit de paiements mobiles via le scan d’un code QR, le phénomène reste somme toute plus limité. Environ un tiers des Belges déclarent avoir déjà utilisé cette technique pour payer dans un magasin, selon le baromètre de la VUB. Chez les jeunes, ce chiffre monte à 50 %.
Attachement au cash
Mais pour un grand nombre de Belges, l’argent liquide reste cependant un moyen de paiement essentiel. L’étude de la BCE a révélé que 45 % des paiements en Belgique sont encore effectués en espèces. Il y a six ans, ce chiffre était de 63 % et il y a trois ans de 57 %. L’utilisation des pièces et billets est donc en baisse. Avec 45 % des transactions en espèces, la Belgique obtient le quatrième score le plus bas de la zone euro, même si cela reste un chiffre élevé.
L’étude de la VUB confirme cet attachement à l’argent liquide. Près de six Belges sur dix (57 %) déclarent payer en espèces au moins une fois par semaine dans les magasins ou dans l’horeca. Avant le covid, ce chiffre était légèrement supérieur à sept sur dix (72 %). “L’utilisation de l’argent liquide a connu un regain d’intérêt après la pandémie”, explique M. Van Hove. “Cet effet s’affaiblit à nouveau, mais pas fondamentalement. Le nombre de paiements en espèces continue d’augmenter pour atteindre une moyenne de 1,4 fois par semaine, et 17 % des Belges citent l’argent liquide comme leur moyen de paiement préféré. Cela nous ramène au niveau d’avant la crise, lorsque 16 % des Belges préféraient l’argent liquide.
Autre chiffre interpellant sur le besoin de cash : 20 % des Belges déclarent qu’ils ne pourraient pas survivre sans argent liquide. Et, fait remarquable, ce chiffre augmente d’année en année. “En 2022, 17 % des personnes interrogées ont répondu par l’affirmative. En 2020, avant la crise, ils n’étaient que 13 %. Il y a clairement un groupe de personnes qui ne peuvent pas se passer d’argent liquide”, note M. Van Hove.
L’âge joue un rôle au sein de ce groupe, mais n’est pas une explication concluante, selon M. Van Hove : “Il n’est certainement pas vrai de dire que ce problème ne concerne que les catégories de population les plus âgées. Plus de 20 % des plus de 45 ans déclarent ne pas pouvoir survivre sans argent liquide. Cela va donc bien au-delà des seules personnes âgées de plus de 65 ans ou de plus de 75 ans.
M. Van Hove constate également d’importantes différences régionales : “En Flandre, la population est nettement plus familiarisée avec les nouvelles technologies, ce qui signifie qu’elle les utilise davantage. En Wallonie, cette facilité d’utilisation est bien moindre. C’est la raison pour laquelle de nombreux utilisateurs du sud du pays préfèrent l’argent liquide.
La disponibilité
De nombreux Belges ne sont pas satisfaits de l’accessibilité et de la disponibilité de l’argent liquide. Selon l’enquête de la BCE, 27 % des Belges déclarent avoir des difficultés à se procurer du cash. Dans le reste de la zone euro, la moyenne n’est que de 9 %. Nulle part ailleurs en Europe, on ne se plaint autant que dans notre pays du manque de liquidités. De plus, le nombre de plaignants augmente rapidement.
C’est une des conséquences de la disparition des agences bancaires et, avec elles, celle des distributeurs automatiques de billets, qui étaient bien souvent présents dans ces agences. “Au plus fort de l’année 2015, il y avait 8 754 distributeurs automatiques de billets en Belgique (hors bpost). Ce nombre a diminué ces dernières années, pour atteindre 6 411 en 2020 et 4 705 l’année dernière”, explique Raf Rollier, responsable des statistiques et de l’inclusion numérique à la fédération bancaire Febelfin.
M. Rollier évoque notamment la baisse des retraits d’argent liquide, qui ont presque diminué de moitié depuis 2012, passant de 300 millions à 154 millions par an. “Cela ne signifie pas que le secteur n’est pas à l’écoute des préoccupations de ses clients”, a-t-il souligné. C’est pourquoi les grandes banques ont créé une nouvelle société, Batopin, pour développer un réseau distinct de points d’encaissement neutres pour les banques, sur le modèle, par exemple, de Geldmaat aux Pays-Bas. Cela devrait permettre d’améliorer la distribution et l’accessibilité aux distributeurs de billets. Des initiatives similaires sont également en cours dans des pays tels que l’Italie, la Suède et l’Allemagne.
La distribution est plus importante
“L’accent devrait être mis davantage sur la distribution que sur le nombre de distributeurs automatiques”, déclare M. Rollier. “Il faut oser reconnaître qu’il y a eu par le passé une surconcentration de distributeurs dans certains endroits, alors que dans d’autres il n’y avait que peu ou pas de distributeurs. D’ici à 2025, le nombre de distributeurs continuera à diminuer, mais l’objectif est de parvenir à une répartition plus optimale qu’aujourd’hui.
Selon les plans initiaux de Batopin, 2 240 distributeurs automatiques répartis sur 750 sites pourraient suffire en Belgique. C’est beaucoup moins que ce que les grandes banques possèdent aujourd’hui. Ce projet a donc été largement critiqué. De plus en plus de centres villageois ont vu les banques déménager et se sont retrouvés sans distributeur automatique de billets. Les politiciens locaux se mobilisent et les ministres Dermagne, Van Peteghem et Bertrand finissent par prendre des mesures.
Fin mars, le gouvernement a signé un accord avec le secteur bancaire. Cet accord prévoit 207 sites de distributeurs automatiques supplémentaires d’ici à 2025 par rapport aux projections initiales. Dans les zones urbaines, il y aura 80 machines supplémentaires, afin d’éviter les files d’attente dans les lieux très fréquentés. Le critère d'”accessibilité” a également été défini différemment : il s’agira désormais de la “distance en voiture” (ou à pied dans les villes) et non plus la distance “à vol d’oiseau”. La mise en œuvre de l’accord sera évaluée chaque année par la Banque Nationale.
Le secteur bancaire s’est également engagé à fournir un distributeur automatique de billets dans les principales municipalités où le dernier distributeur a été retiré après le 31 décembre 2021. De cette manière, chaque commune disposera d’au moins un distributeur automatique de billets. Cet engagement reposait auparavant entièrement sur les épaules de bpost. Le fait que chaque client ait droit à 24 retraits d’argent gratuits auprès de sa propre banque a été étendu à 24 retraits gratuits, quel que soit le réseau.
Febelfin avait obtenu le droit de supprimer les distributeurs automatiques de billets qui effectuent moins de 20.000 transactions par an. “Toujours avec cette nuance qu’il doit y avoir au moins un distributeur par commune principale”, précise M. Rollier. Les élus locaux soulignent que 55 transactions par jour ne sont pas réalistes pour les villages ruraux ou les petites (sous-)communes.
Taxes sur les distributeurs automatiques
Même si les municipalités ou les régions prélèvent de nouvelles taxes sur les distributeurs automatiques ou augmentent les taxes existantes, la décision peut être prise de supprimer l’emplacement ou l’appareil. “Car c’est là l’une des principales contradictions”, estime M. Rollier : “Les gouvernements veulent que les distributeurs automatiques soient à la disposition des citoyens, mais en même temps, des taxes sont prélevées sur ces appareils. Ce n’est pas logique.
Les taxes sur les distributeurs automatiques de billets existent principalement en Wallonie et à Bruxelles. “Entre temps, les banques paient déjà un total de plus de 9 millions d’euros par an pour ces taxes sur les distributeurs de billets”, précise M. Rollier.
45% des paiements en Belgique sont encore effectués en espèces.
17% des Belges considèrent l’argent liquide comme leur moyen de paiement préféré.
27% des Belges déclarent avoir des difficultés à se procurer des billets de banque.
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