Quels sont les gagnants de la transition énergétique?
Entre l’arrêt du nucléaire en Belgique, les ambitions élevées du Royaume-Uni dans l’éolien ou la sortie annoncée du charbon par de nombreux pays, la transition énergétique s’accélère. Quels sont les gagnants de ces dizaines de milliards d’euros d’investissements?
“Les émissions (mondiales) de CO2 liées à l’énergie ont visiblement atteint un pic en 2019”, estime l’équipe de Seb Henbest, économiste en chef de Bloomberg New Energy Finance (BNEF). La chute de 2020 est évidemment consécutive à la pandémie et aux mesures sanitaires. Mais selon les dernières perspectives de BNEF, les émissions resteront à jamais sous le niveau de 2019 malgré la reprise de l’économie et de la consommation d’énergie. Cette évolution est évidemment à mettre au crédit de la transition énergétique qui livre ainsi son premier résultat tangible: la fin de la hausse des émissions de CO2. Seb Henbest souligne toutefois que ce n’est pas assez. Selon le scénario de référence de BNEF, les émissions de CO2 baisseront de 0,7% par an en moyenne jusqu’en 2050. Mais “pour maintenir l’augmentation moyenne de température sous les 2°, elles devraient baisser de 6% par an jusqu’en 2050”.
Les analystes de BNEF estiment que pour respecter l’Accord de Paris sur le climat, les investissements totaux devraient atteindre entre 78.000 et 130.000 milliards de dollars d’ici 2050. Même dans le scénario de référence, basé sur des critères économiques et un arrêt progressif des soutiens publics, les sommes investies sont impresionnantes: 15.100 milliards de dollars dans la production et le stockage d’électricité, 14.000 milliards dans le réseau électrique
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Montants colossaux
Les montants en jeu sont donc colossaux et les bénéficiaires pourraient rapidement en profiter avec notamment le plan de relance vert Next Generation de l’Union européenne. Ce sont pas moins de 750 milliards d’euros qui commenceront à irriguer l’économie à partir de l’année prochaine. Au niveau mondial, l’Agence internationale de l’énergie a proposé un plan de 3.000 milliards de dollars pour les trois prochaines années permettant à la fois de stimuler la croissance économique (+ 1,1% par an), de créer des emplois (+ 9 millions par an) et de réduire les émissions de CO2.
Parmi les pistes pour réduire les émissions de CO2, la filière nucléaire est probablement celle qui attise le plus de tensions comme l’illustre la question de la sortie du nucléaire de la Belgique, après le choix opéré par l’Allemagne notamment. Le Royaume-Uni a, par contre, lancé la construction de nouvelles centrales nucléaires. Les Pays-Bas songent à construire de 3 à 10 réacteurs. Sans parler de la Chine et de l’Inde qui multiplient les projets dans le nucléaire.
Selon la World Nuclear Association, la production d’électricité d’origine nucléaire augmente ainsi de nouveau depuis 2012, après la baisse qui a suivi la fermeture de centrales au Japon et en Allemagne dans le sillage de la catastrophe de Fukushima.
Depuis, le Japon a progressivement rouvert ses centrales et le nouveau Premier ministre, Yoshihide Suga, a évoqué un usage accru du nucléaire pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone en 2050.
Doublement du nucléaire
Ce que confirmait Hoesung Lee, président du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dans un discours à la fin de l’année dernière: “Dans la plupart des scénarios permettant de limiter le réchauffement à 1,5°, l’énergie nucléaire contribue à la décarbonisation de l’approvisionnement en électricité au cours des 30 prochaines années”. Au niveau mondial, il évoquait un doublement de la production d’énergie nucléaire de 11 exajoules en 2020 à 23 exajoules en 2050. Les analystes de BNEF épinglent également le rôle potentiel du nucléaire dans un scénario “Climat”, notamment pour la production d’hydrogène.
Peu d’opportunités
Quelles entreprises profiteraient d’une renaissance du nucléaire? En France, EDF joue désormais sur les deux tableaux en tant qu’exploitant et spécialiste des réacteurs depuis le rachat d’Areva. Le groupe français a notamment deux réacteurs en construction et deux en projet au Royaume-Uni. Mais la technologie EPR d’EDF-Areva continue de poser question en raison des délais et surcoûts conséquents.
Si l’on exclut aussi les réacteurs développés par des sociétés publiques russes, indiennes ou chinoises, il demeure peu d’acteurs privés dans le développement de réacteurs nucléaires. L’un des plus actifs est Kepco (Bourse de Séoul ; KR7015760002 ; potentiel de hausse de 64% selon les analystes) avec sept réacteurs APR1400 en construction pour le géant coréen de l’électricité.
+5,7% : les perspectives annuelles de croissance de l’éolien d’ici 2050.
Les japonais Mitsubishi Heavy Industries et Toshiba (via Westinghouse racheté en 2006) demeurent aussi actifs entre autres dans le nucléaire. L’agence Bloomberg épinglait récemment la perspective de contrats dans ce secteur pour les groupes américains General Electric (NYSE ; ticker GE ; consensus des analystes d’accumuler), Westinghouse (Toshiba) et Bechtel (non coté) en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie, des pays qui souhaitent se défaire de leur dépendance aux technologies russes. S’ajoute à cela la perspective d’une renaissance du nucléaire aux Etats-Unis. Ce qui devrait également bénéficier à BWX Technologies (NYSE ; BWXT ; consensus à acheter), l’un des rares acteurs cotés spécialisés dans le nucléaire (composants et carburant pour les centrales nucléaires comme pour les sous-marins, les fusées ou la médecine nucléaire).
Pour les groupes miniers actifs dans l’uranium (Cameco, Denison Mine, Nexgen Energy, etc.), les perspectives de redressement restent assez lointaines (voir le graphique intitulé “Capacité de production d’électricité au niveau mondial“).
Eolien et solaire
Parmi les segments qui profiteront à coup sûr des plantureux investissements prévus dans la transition énergétique, on retrouve avant tout les énergies renouvelables. Dans son scénario de référence, BNEF estime que les renouvelables et le stockage accapareront 12.000 milliards de dollars d’investissements. Selon l’agence, l’éolien et le solaire représenteront 56% de la consommation mondiale d’électricité en 2050 contre 9% aujourd’hui.
“L’éolien et le solaire sont (d’ores et déjà) les nouvelles sources d’électricité les moins chères dans des pays représentant 73% du PIB mondial”, estime-t-on chez BNEF. Ces énergies renouvelables vont ainsi profiter d’importants besoins en électricité, Bloomberg évaluant la hausse de consommation à 60% d’ici 2050.
En Europe, les acteurs de l’éolien devraient notamment trouver un terrain fertile de l’autre côté de la Manche, Boris Johnson ayant annoncé vouloir faire du Royaume-Uni, l’Arabie saoudite de l’éolien. L’éolien jouit d’ailleurs désormais des meilleures perspectives avec une croissance estimée à 5,7% par an d’ici 2050 contre 5,3% pour le solaire, marquant un net ralentissement par rapport à la croissance de 10,8% entre 2015 et 2020.
Comment en profiter?
Les bonnes perspectives des renouvelables n’ont pas échappé aux marchés, les cours s’étant envolés cette année. Tout investissement est donc destiné au long terme. Globalement, vous avez le choix entre deux types de titres. D’une part, les sociétés exploitant des parcs solaires et éoliens. C’est évidemment le cas des grands groupes énergétiques comme Engie, mais aussi plus spécifiquement de sociétés comme l’américain NextEra Energy (NYSE ; ticker NEE), leader mondial des centrales renouvelables avec une valorisation tendue de 38 fois les profits, mais qui reste le chouchou des analystes avec 13 conseils d’acheter/accumuler sur 15 avis ; le danois Orsted (Nasdaq OMX Copenhague ; DK0060094928), ex-Dansk Olie og Naturgas (DONG) reconverti dans le renouvelable, mais dont la valorisation est trop tendue désormais selon la majorité des analystes ; le portugais EDP Renovaveis (Euronext Lisbonne ; ES0127797019), spin-off du groupe énergétique portugais EDP ; ou encore le français Albioma (Euronext Paris ; FR0000060402) qui a les faveurs des analystes (cinq conseils acheter/accumuler sur sept avis) alors que sa valorisation est plus raisonnable (26 fois les bénéfices), mais qui a un profil différent, étant actif dans la biomasse et le solaire en France métropolitaine et outre-Mer.
D’autre part, il peut aussi être intéressant de miser sur les fabricants de panneaux solaires et d’éoliennes. Les cours sont traditionnellement plus volatils, en fonction des aléas de marché et surtout de l’évolution des prix, la tendance à la baisse sur le long terme connaissant d’importants soubresauts.
Depuis quelques années, l’évolution est plutôt favorable aux fabricants d’éoliennes comme Vestas (Nasdaq OMX Copenhague ; DK0010268606 ; consensus des analystes à accumuler ; 64 fois les bénéfices) ou Siemens Gamesa (Bourse de Madrid ; ES0143416115 ; consensus des analystes à conserver ; en perte au dernier exercice, mais prévoit de renouer avec les bénéfices rapidement).
Dans le solaire, les principaux fabricants sont chinois et américains comme First Solar (Nasdaq ; ticker FSLR ; consensus légèrement à l’achat ; 44 fois les bénéfices) ou SunPower (Nasdaq ; SPWR ; consensus à conserver ; 60 fois les bénéfices) contrôlé par Total. L’allemand SMA Solar (Bourse de Francfort ; DE000A0DJ6J9 ; consensus à accumuler ; 150 fois des bénéfices en net redressement) est leader dans les onduleurs pour les panneaux photovoltaïques.
Réseau et stockage
Pour connecter ces nombreuses centrales renouvelables, pallier leur intermittence et assurer l’électrification du parc automobile, les investissements dans le réseau et le stockage seront déterminants.
Dans le stockage, les leaders sont surtout de jeunes entreprises comme Enphase Energy (onduleurs, batteries ; Nasdaq ; ENPH) ou Tesla (batteries ; Nasdaq ; TSLA). Dans les infrastructures, on retrouve davantage de groupes historiques comme Schneider (Euronext Paris ; FR0000121972 ; consensus à acheter ; 30 fois les bénéfices) ou Prysmian (Bourse de Milan ; IT0004176001 ; consensus à accumuler ; 43 fois les bénéfices).
Il est également possible de combiner les différents volets de la transition énergétique via des fonds comme le BNP Paribas Funds Energy Transition lancé en septembre 2019 (LU0823414718) ou des ETF comme iShares Global Clean Energy (Bourse de Francfort ; IE00B1XNHC34 ; indice S&P Global Clean Energy ; frais annuels de 0,65%).
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