Pourquoi les taux d’intérêt sur les comptes épargne restent aussi bas

Patrick Claerhout Patrick Claerhout is redacteur bij Trends.

Depuis la semaine dernière, les banques perçoivent 3,25 % d’intérêts sur l’argent qu’elles placent auprès de la Banque centrale européenne. Cependant, les épargnants peinent à obtenir plus de 1 %. Dans le meilleur des cas, les banques ne répercutent qu’un tiers de la hausse du taux directeur sur leurs économies. Que se passe-t-il ?

Jusqu’en mars 2022, la Banque centrale européenne (BCE) imposait un taux de dépôt de -0,5 %. Ce taux déterminait le taux d’intérêt que les banques accordaient à leurs clients par l’intermédiaire des comptes d’épargne. Le raisonnement était le suivant : si les épargnants reçoivent peu ou pas d’intérêts, ils dépenseront leur argent plus rapidement, ce qui est bon pour l’économie. Les petits épargnants belges n’ont pas ressenti ce taux d’intérêt négatif, car il existe un minimum légal de 0,11 % (0,01 % de taux de base et 0,1 % de prime de fidélité) sur le compte d’épargne réglementé.

La plupart des ménages ont donc continué à percevoir des intérêts sur leur épargne pendant les années de taux d’intérêt négatif. Mais comme les Belges sont de gros épargnants – il y avait un peu plus de 300 milliards d’euros sur les comptes d’épargne à la fin de l’année dernière – les revenus d’intérêts des ménages sont passés de 10,7 milliards d’euros en 2008 à 1,7 milliard d’euros en 2022, a calculé Eric Dor, professeur à l’Ieseg School of Management à Paris et à Lille. Cela représente une différence de 84 %.

Le déclenchement de la guerre en Ukraine, le choc énergétique et la poussée inflationniste ont fait changer la BCE de fusil d’épaule en mars 2022. Elle a progressivement remonté les taux de dépôt, jusqu’à 3,25 % en milieu de semaine dernière. En conséquence, les revenus d’intérêts ont déjà légèrement augmenté pour atteindre 2,1 milliards d’euros en 2022, mais cela ne représente qu’un cinquième de ce que l’épargne rapportait en 2008.

Selon Eric Dor, les banques tardent à répercuter la hausse des taux directeurs sur les épargnants. “La différence entre le taux d’épargne que les banques versent à leurs clients et le taux d’intérêt qu’elles obtiennent de la BCE pour leurs liquidités excédentaires n’a jamais été aussi grande”, explique-t-il. Selon lui, les banques belges ont 262 milliards d’euros de liquidités en circulation auprès de la BCE, et celles-ci rapporteront désormais 3,25 %. Cela signifie que la banque centrale versera au moins 6 à 7 milliards d’euros aux banques commerciales belges cette année.

Pour Dor, il est clair que les banques peuvent encore augmenter les taux d’épargne sans mettre en péril leur rentabilité. La Banque Nationale partage ce point de vue. Alors pourquoi le taux d’épargne ne suit-il toujours pas le taux directeur, ou du moins le suit-il avec beaucoup de retard ?

Le portefeuille de crédits des banques est principalement constitué de crédits accordés à des taux d’intérêt fixes peu élevés

Au cours des sept dernières années, les banques belges ont accordé de nombreux prêts au logement à un taux d’intérêt très bas. En 2021, on pouvait encore contracter un crédit hypothécaire sur 20 ans à 1,25 %, alors qu’aujourd’hui, ce taux est déjà de 3,5 %. De plus, la plupart des emprunteurs paient un taux d’intérêt fixe.

Depuis 2022, les banques ont augmenté les taux d’intérêt des prêts, mais uniquement pour les nouveaux prêts. Les anciens prêts bénéficient toujours du même taux d’intérêt bas. Par conséquent, le taux d’intérêt moyen sur l’ensemble du portefeuille de prêts d’une banque n’augmente que lentement.

En revanche, lorsque les banques augmentent les taux d’épargne, elles le font pour tous les dépôts d’épargne figurant dans leur bilan. Par conséquent, leur marge d’intérêt (la différence entre les revenus des prêts et la rémunération de l’épargne) menace de diminuer, et donc de réduire leur rentabilité. C’est pourquoi certaines banques, comme BNP Paribas Fortis, n’offrent le taux d’épargne supérieur que pour les nouveaux comptes, même s’il s’agit de clients existants.

Il ne faut pas oublier que le taux d’épargne de 0,11 % a été supérieur au taux directeur, qui était négatif de 0,5 %, pendant plusieurs années”, explique Hans Degryse, professeur d’économie à la KU Leuven. “L’épargne a donc longtemps été déficitaire pour les banques. Une hausse des taux d’intérêt leur est désormais favorable, mais à condition qu’elles augmentent progressivement et avec retard la rémunération de l’épargne“.

Les banques ont besoin de temps pour répercuter la hausse des taux directeurs sur leurs clients, car leurs portefeuilles de crédits sont encore fermés à des taux bas“, abonde Tom Dechaene, superviseur bancaire à la Banque Nationale et à la BCE. “Supposons qu’une banque n’ait dans son bilan que des prêts hypothécaires à 10 ans. Si les taux d’intérêt augmentent, il faudra dix ans pour que ce portefeuille soit refinancé à un taux plus élevé. En théorie, il faudrait donc également dix ans pour ajuster le taux d’épargne. Il s’agit là d’une représentation très simple des choses, par laquelle je veux simplement montrer que l’augmentation des taux d’épargne est un processus lent. Il peut facilement s’écouler deux ans avant que le taux d’épargne ne suive complètement le taux directeur“.

Michaël Anseeuw, directeur général de BNP Paribas Fortis, souligne qu’il a également fallu deux ans pour que le taux d’épargne belge tombe au minimum légal, à la suite de la BCE qui a rendu son taux directeur négatif.

Le taux d’intérêt a augmenté de 3,75 % en moins d’un an et demi (de -0,5 à +3,25 %, NDLR). Les actifs à long terme figurant dans leurs bilans, tels que les obligations et les prêts, pourraient déjà avoir perdu 20 à 30 % de leur valeur en conséquence. En retardant la hausse des taux d’intérêt sur l’épargne, elles protègent leur portefeuille de prêts. Si elles parviennent à tenir le coup pendant deux ans, elles pourront absorber un tel choc plus facilement“.

Les banques n’ont pas besoin de liquidités

Comme c’est le cas sur le marché belge, nos banques disposent de suffisamment de dépôts dans leur bilan pour financer leurs prêts. Le ratio moyen entre les prêts et les dépôts (appelé ratio prêts/dépôts) est d’environ 90 %. Cela signifie qu’il y a un excédent de dépôts d’épargne. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. Si les banques ont plus de prêts que de dépôts dans leur bilan, elles doivent recourir à des financements de marché plus coûteux ou essayer d’attirer davantage de dépôts d’épargne. Elles peuvent le faire en offrant des taux d’intérêt plus élevés.

Nous n’avons donc pas à le faire. “En Belgique, les banques ne doivent pas se battre pour attirer les dépôts. Elles nagent dans l’épargne. Elles n’ont donc pas besoin d’augmenter rapidement les taux d’intérêt”, explique le professeur Degryse. En outre, en raison notamment de la hausse des taux d’intérêt débiteurs et du refroidissement du marché de l’immobilier, la contraction de prêts résidentiels est en moyenne inférieure de 36 % cette année par rapport à l’année record 2022. Par conséquent, les besoins en dépôts sont encore plus faibles.

Les analystes bancaires soulignent également que la courbe des taux est actuellement inversée : les taux à court terme sont plus élevés que les taux à long terme. Ceux qui, comme les banques, doivent investir des dépôts à court terme (épargne) dans des dépôts à long terme (prêts, entre autres) sont donc confrontés à un défi.

“Si nous devions simplement appliquer le taux de la BCE à nos formules d’épargne, nous risquerions de mettre la banque en danger“, explique Johan Thijs, directeur de KBC, lors de la présentation des résultats annuels. Une augmentation du taux d’épargne de 25 points de base coûterait déjà 750 millions d’euros au secteur bancaire belge. Payer 1 % d’intérêts en plus coûte 3 milliards d’euros.

Ce n’est donc pas un hasard si seule une petite partie du taux directeur plus élevé est convertie en un taux d’épargne plus élevé (le bêta des dépôts dans le jargon). Si, par commodité, nous avons une augmentation de 3 % du taux directeur, tandis que le taux d’épargne (y compris la prime de fidélité) augmente de 1 %, nous obtenons un bêta des dépôts d’environ 30 %. Les banques répercutent donc au maximum un tiers de l’augmentation du taux directeur sur les épargnants, et dans certains cas beaucoup moins.

De nombreuses années de politique monétaire accommodante et de faibles taux d’intérêt font sentir leurs effets, car les taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe montent en flèche. Lorsque les banques centrales resserrent leur politique, les choses se dégradent toujours.

Ce que le gouvernement ponctionne, les banques ne peuvent pas le distribuer aux épargnants

Comme ses prédécesseurs, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) voit dans le secteur bancaire une vache à lait qui l’aidera à boucher les trous de son budget. Depuis des années, les banques belges paient des taxes bancaires élevées. On estime qu’elles prélèvent environ 0,30 % de leur marge d’intérêt. La marge d’intérêt est la principale source de revenus du secteur.

Les banques auraient payé 3,7 milliards d’euros au gouvernement belge l’année dernière. Il s’agit de taxes traditionnelles, mais aussi de taxes spécifiques au secteur. Ces prélèvements peuvent être divisés en trois catégories : la contribution à la garantie des dépôts, la taxe annuelle sur les établissements de crédit (dite taxe bancaire) ainsi qu’une contribution au fonds de résolution (NDLR un fonds d’urgence utilisable en temps de crise. Il vise à empêcher la faillite des banques une fois les autres solutions épuisées). Au total, ces prélèvements ont représenté 1,6 milliard d’euros l’année dernière.

Le ministre Van Peteghem avait déjà décidé l’année dernière de réduire la déductibilité fiscale de la taxe bancaire. Le mois dernier, il a également supprimé la contribution des banques à la garantie des dépôts. Cette mesure coûtera aux banques environ 200 millions d’euros supplémentaires d’ici 2025. Et pour ne rien arranger, il veut maintenir le système après 2025.

Comme la majeure partie des taxes est prélevée sur les dépôts d’épargne, les petites banques de détail sont proportionnellement plus touchées que les grandes banques diversifiées. “Même si je ne prends en compte que l’impôt sur les sociétés et les prélèvements bancaires, nous sommes confrontés à une charge fiscale de 50 à 60 %“, déclare Leen Van den Neste, directeur général de la banque vdk. « C’est lourd à porter. »

Van Peteghem veut obliger les banques belges à alimenter le fonds de garantie des dépôts à hauteur de 1,8 % des dépôts. C’est beaucoup plus que la norme européenne de 0,8 %. “Le problème est clairement le déficit budgétaire”, note Van den Neste. “En effet, même si nous avons honoré ces 1,8 %, le ministre veut que nous continuions à payer. C’est comme ça, mais ce que le gouvernement facture, nous ne pouvons évidemment pas le payer à nos clients. »

Manque de concurrence

L’étude d’Eric Dor montre que les banques ont augmenté très rapidement les taux d’intérêt des crédits aux entreprises et des crédits à la consommation. Ceux des crédits hypothécaires augmentent un peu moins vite, mais le ralentissement n’est nulle part aussi important que pour les taux d’épargne. “Cela peut indiquer un manque de concurrence”, estime le professeur Degryse, “il n’y a pas vraiment de banque en Belgique qui se présente comme un briseur de prix pour le livret d’épargne, à l’exception peut-être de Santander. Il semble que toutes les banques restent bien dans leurs plates-bandes et ne s’attaquent pas les unes aux autres sur leurs marchés nationaux respectifs. Dans le passé, Rabobank a encore secoué le marché belge de l’épargne, mais les Néerlandais se sont retirés de notre pays.

Jusqu’à récemment, le compte e-DEPO du gouvernement offrait les meilleures conditions du marché. Mais le ministre Van Peteghem a plafonné le taux d’intérêt de ce compte à 2,5 % brut, ce qui est bien inférieur aux 3,2 % prévus pour ce mois-ci. Il se murmure que les banques ont fait pression en ce sens, car le compte est devenu un concurrent sérieux de leurs produits d’épargne.

L’organisation de consommateurs testachats n’a guère apprécié cette décision : “Le compte e-DEPO était un instrument accessible qui permettait aux épargnants d’obtenir de l’argent à des conditions avantageuses”, déclare Laura Clays, porte-parole de l’organisation. “Nous ne comprenons pas pourquoi le ministre met un frein à cette pratique, qui reste un moyen bon marché de financer la dette publique.

Le compte e-DEPO a attiré 16 000 épargnants en peu de temps, qui ont déposé près de 700 millions d’euros. “Cela prouve qu’il existe une demande pour un taux d’épargne plus élevé“, avance Clays. “Il n’était pas non plus nécessaire de changer de banque pour cela. Car c’est encore quelque chose que les Belges font rarement. Les banques encouragent cette fidélité en liant une prime de fidélité élevée à un taux de base bas. Les gens hésitent à changer de banque pour bénéficier de meilleures conditions parce qu’ils craignent que le processus soit complexe et qu’ils risquent de perdre leur prime de fidélité.

Les bons clients peuvent obtenir de meilleures conditions

La concurrence est plus vive aux États-Unis, notamment de la part des fonds du marché monétaire qui investissent dans des obligations d’État à court terme. Ils peuvent offrir aux épargnants américains des taux d’intérêt supérieurs à ceux des banques. Le revers de la médaille est que cette situation a poussé les clients à retirer leur argent des banques au cours des derniers mois. En conséquence, de petites banques régionales se sont retrouvées en difficulté. First Republic en a été le dernier exemple, mais peut-être pas le dernier.

En Belgique, les banques contournent ce problème en s’engageant dans la “segmentation de la clientèle” et la “différenciation des prix”. De grands mots pour dire que les bons clients peuvent, en effet, obtenir de meilleures conditions. Il s’agit souvent de comptes à terme d’un an, qui offrent rapidement des rendements bruts d’au moins 2,5 %. Mais cette offre reste réservée aux meilleurs clients. Le client ordinaire la demandera souvent en vain.

Les banques s’enrichissent-elles en dormant ?

Les banques belges ont réalisé un bénéfice cumulé de plus de 7 milliards d’euros l’année dernière. La hausse des taux d’intérêt a entraîné une augmentation des revenus d’intérêts dans la plupart des cas. En outre, l’absence de récession et de faillites majeures a permis de maintenir les pertes de crédit à un niveau très bas. Selon l’enquête sur la dernière distribution du crédit bancaire publiée par la BCE (Bank Lending Survey), les bénéfices continuent d’abonder cette année encore. La hausse des taux d’intérêt directeur a un impact remarquablement positif sur la marge d’intérêt et la rentabilité globale des banques, note la banque centrale.

Entre autres, les banques gagnent beaucoup d’argent grâce aux réserves qu’elles détiennent auprès de la BCE. Sur cette réserve, qui est exceptionnellement importante en raison de la politique monétaire expansionniste de ces dernières années, les banques perçoivent aujourd’hui un taux d’intérêt de 3,25 %. “Il se peut que certaines banques y voient un modèle de revenus”, explique le professeur Degryse. “La BCE pourrait y remédier en imposant des restrictions ou des conditions sur l’argent que les banques placent auprès d’elle. Je soupçonne qu’elle y réfléchit sérieusement à Francfort“.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content