Pensionné à 67 ans en Belgique: “C’est pour cacher que le gouvernement ne fait rien et que le fond vieillissement est vide”

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Alexandre De Croo a déclaré qu’une retraite à 67 ans était une notion purement théorique. Mais pour Jean Hindriks, président de l’Ecole d’économie de l’UCLouvain et membre de la commission qui a mené une réflexion d’ampleur sur les pensions en 2014, c’est surtout un bel exemple de rhétorique politique. De celle qui masque que le gouvernement ne fait rien pour limiter l’explosion annoncée du budget pension.

Est-ce vrai que la notion d’une pension à 67 ans est vraiment théorique ?

En réalité, que ce soit justement Alexandre De Croo qui dit cela a quelque chose de paradoxal, puisque c’est lui qui a créé la commission de réforme des pensions avec Madame Lalieux en mars 2013. Ils remettront leur rapport en juin 2014. Et dans ce rapport il y avait en annexe une simulation du report de l’âge de la pension à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030. Sur cette base le parti socialiste avait rejeté immédiatement le rapport. Le gouvernement Michel a, par la suite, simplement repris ce rapport. Je veux bien qu’on ait la mémoire courte, mais bon… Alors, c’est vrai, ce n’était pas la mesure principale du rapport. Au contraire le rapport insistait plutôt sur le fait qu’on devait arrêter de se focaliser sur l’âge, mais plutôt de se concentrer sur le kilométrage, soit la durée de carrière. C’est assez ironique que, 10 ans plus tard, on revienne avec cette idée qu’effectivement ceux qui commencent plus tôt devraient pouvoir partir plus tôt. À l’époque, il y avait d’ailleurs un grand consensus autour l’idée que c’était le nombre d’années de carrière qui serait la variable décisive pour le montant de la pension et l’accès à la pension. Et c’est aussi ce qu’ils disent tous aujourd’hui. Même la ministre Lalieux, alors qu’à l’époque le PS avait refusé le rapport.

Pourquoi un tel revirement ?

Comme déjà indiqué, nos politiques semblent avoir la mémoire courte. Ils changent aussi d’avis en fonction de la conjoncture. Aujourd’hui, on se focalise sur l’âge parce que le débat est pollué par ce qui se passe en France. Le plus ironique, c’est qu’au départ le système de pension de Macron était aussi un système universel à point ou 1 euro cotisé était 1 euro de pension. Cela se voulait un système plus équitable. Plus étonnant encore, c’était aussi la proposition de la commission des pensions. Or, chez nos voisins, on revient complètement en arrière en se focalisant ce sur ce qui est le plus clivant : l’âge. En voyant ce qui se passe en France, c’est un peu la panique chez nos politiques. En surfant sur le mouvement contre les 64 ans en France, nos politiques rétropédalent pour déforcer l’argument de certains partis, principalement de gauche, qui dit qu’on veut faire travailler les gens jusqu’à 67 ans. 

C’est-à-dire ?

Ce n’est rien d’autre que de la rhétorique politique qui cache que le gouvernement n’a rien réformé du système des pensions et que le fond vieillissement en Belgique est vide. La sortie de De Croo montre qu’on est déjà en période électorale puisqu’on discrédite une idée qui n’est, rappelons-le, pas pour tout de suite, mais pour l’horizon 2030. On dit aux gens: “ne vous tracassez pas, car personne ou presque ne travaillera jusqu’à 67 ans en 2030”. Mais au final, on s’en fiche de ça. 2030, c’est dans 7 ans, et ces 7 années sont remplies de grosses incertitudes. On ne sait pas ce qui nous attend. Je trouve que ce genre de sortie assez dangereuse, car c’est une diversion du débat. Elle masque le fait que l’urgence, c’est maintenant avec le coût exorbitant des pensions qui est en train d’exploser. Elle masque aussi le fait qu’on ne s’attaque pas véritablement au problème. Qu’on n’a rien mis de côté alors que le nombre de pensionnés va augmenter de centaines de milliers de personnes dans les années à venir. Le gouvernement est dans une crise de l’inaction alors que les pensions sont dans le rouge. Entre 2010 et 2020 on est ainsi passé de 37 milliards à 52 milliards. On estime que rien que pour les pensions on sera à 67 milliards pour 2023. Le budget est immense et il dérape. On peut promettre de revaloriser les pensions, mais où va-t-on chercher l’argent ?  Qu’est-ce que le gouvernement compte faire pour réformer les carrières, le marché du travail ou les fins de carrières ? Le job n’est pas fait. Le gouvernement fait un très mauvais pari à ce sujet. Rappelons qu’en Finlande le gouvernement vient de tomber pour une question de finances publiques.

Vous parlez d’un paradoxe belge…

L’âge n’est pas le cœur du problème des pensions. On le sait, seuls 10% des jeunes iront jusqu’à 67 ans. Et ça, c’est parce qu’il y a toutes sortes de régimes de fin de carrière. Or on n’a rien fait pour réformer ces régimes. Ce qui fait que, très clairement, les gens partent dès qu’ils ont la possibilité de partir. D’autant plus qu’on ne perd quasiment rien en le faisant puisque les sanctions financières sont minimales et que ces années d’attente de la pension légale comptent comme des années prestées. Ces personnes se retrouvent donc avec une pension presque complète. On ne fait donc rien pour empêcher cette hémorragie de travailleurs qui quittent le monde du travail dès qu’ils le peuvent. Au contraire, on continue à subsidier les départs prématurés. Les gens partent d’eux-mêmes et il faut enrailler ça. C’est dramatique, car on va vers des pénuries gravissimes. Et cela l’est d’autant plus que les effets des mesures ne se voient que sur le très long terme.

Doit-on changer l’âge legal ?

Non. Personne ne va toucher à la limite d’âge légal de 67 ans pour 2030. L’âge n’est important que parce qu’on vit plus longtemps. C’est logique que si on gagne dix ans d’années de vie, on travaille plus longtemps. C’est une manière de dire qu’on est vieux plus tard. La pension c’est pour protéger ceux qui sont cassés par le travail. Il faut répondre de façon plus adaptée aux différentes situations. Or ce n’est pas le cas pour tout le monde. 67 c’est une moyenne. Les gens qui n’ont pas fait d’étude n’iront jamais jusqu’à 67 ans. Il faut arrêter de mentir aux gens. Le débat sur l’âge est presque une provocation. Néanmoins tous les travailleurs ne sont pas usés à 65 ans. Cela dépend de la durée de leur carrière et de la pénibilité de leur travail. D’ailleurs ceux qui travaillent après l’âge de la pension sont de plus en plus nombreux. L’avantage de la prolongation de l’âge prétendument théorique n’a donc pas d’impact direct, mais progressivement on établit tout de même une nouvelle norme sociale. Cela devient, globalement, normal de travailler jusqu’à cet âge.

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