Portefeuille d’investissement: le grand retour du 60/40 ?
Le krach à la fois des actions et des obligations en 2022 fut exceptionnel dans son ampleur, mais pas dans son côté conjoint. Il a mis en lumière que la corrélation entre ces deux actifs n’est pas aussi négative qu’on l’affirme. Elle est même souvent positive!
C’est le grand classique de l’investissement supposé raisonnable: 60% d’actions et 40% d’obligations. But de cette combinaison: tandis que les 60% d’actions visent surtout la croissance du capital, les 40% d’obligations procurent du rendement… Bienvenu quand les Bourses flanchent, aussi vrai que ces deux types d’actifs sont supposés évoluer en sens inverse. C’est ce qu’on appelle une corrélation négative.
Des obligations peu efficaces
Cette théorie s’est longtemps vérifiée dans des proportions raisonnables. La situation s’est cependant détériorée dans les années 2000, en particulier en raison de l’inexorable baisse des taux d’intérêt. Dressé par JP Morgan, le graphique intitulé Return d’un portefeuille 60/40 en témoigne: si les obligations ont pu mettre du baume au cœur des investisseurs en 2002, compensant une bonne moitié des pertes subies en Bourse, leur impact avait été insignifiant les deux années précédentes.
Même chose, hélas, lors du super-krach de l’année 2008. Or, c’est précisément pour compenser les pertes boursières, au moins en partie, que l’on glisse des obligations en portefeuille puisque, a contrario, celles-ci freinent la performance globale du portefeuille les bonnes années en Bourse.
Et que dire de l’an dernier? En 2022, la chute des obligations s’est ajoutée à celle des actions, les premières ayant, exprimé en dollar, perdu 16,2% au niveau mondial, la plus mauvaise performance en 70 ans! Soyons juste: cette année n’est guère représentative car les taux d’intérêt n’ont pas seulement rebondi avec violence: ils partaient aussi de zéro. Les obligations étaient dès lors valorisées à un niveau exceptionnel… et présentaient un potentiel de baisse qui l’était tout autant, souligne Jurrien Timmer, économiste du groupe Fidelity.
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Reste que ce vif rebond des taux marque le retour des obligations dans le camp des actifs procurant un rendement. Se situant aujourd’hui aux environs de 3,6%, celui de l’obligation américaine à 10 ans est quasiment au plus haut depuis le printemps 2008, soit depuis 15 ans. Pour le Bund allemand, étalon de la zone euro, il faut remonter 12 ans en arrière. Avec ces rendements à nouveau dignes de ce nom, et bien que très inférieurs à l’inflation du moment, n’est-ce pas le moment de repêcher les obligations et, du même coup, ce fameux portefeuille 60/40? Les avis sont très partagés.
Corrélation: un double malentendu
“Ne perdez pas confiance dans le portefeuille 60/40”, titre d’entrée de jeu Lauren Solberg, de Morningstar, la société qui fait autorité dans l’analyse des fonds. Modeste consolation d’abord: si les obligations furent largement dans le rouge en 2022, elles ont quand même moins baissé que les actions, de sorte qu’elles ont (un peu) freiné la perte totale d’un portefeuille 60/40. Soit pour les actifs américains: -15,3% au lieu de -19,4%.
Ensuite, on observe depuis 150 ans que c’est la baisse de l’inflation qui entraîne une corrélation négative entre actions et obligations, souligne Jurrien Timmer. A l’inverse, la corrélation tend à être plutôt positive en cas de forte hausse de l’inflation. C’est une situation plus rare et le phénomène a revêtu une ampleur exceptionnelle l’an dernier, mais il est conforme aux enseignements de l’histoire. Autre facette de la question: quand cette corrélation est positive mais que les deux actifs s’apprécient de concert, on ne se formalise pas de cette soi-disant anomalie, qui passe inaperçue. A preuve: la corrélation fut positive durant 15 des 20 dernières années, souligne Morningstar!
Il existe en réalité un autre malentendu concernant la corrélation négative entre actions et obligations: cela ne vaut pas pour toutes ces dernières, révèle l’étude sur les 20 dernières années réalisée par Morningstar. Comme le souligne le graphique intitulé Corrélation entre actions et obligations, l’année 2022 fut exceptionnelle, avec une corrélation de deux tiers entre actions et obligations prises globalement. En cause: la corrélation positive de 50 et 53% respectivement avec les obligations d’Etat à court et long termes, alors qu’elle est historiquement négative.
Ce qui saute également aux yeux, c’est la corrélation positive, à hauteur de 42%, entre les actions et les obligations d’entreprises. Ce n’est pas illogique, certes, mais ceci a pour conséquence une corrélation de 14% entre les actions et l’ensemble des obligations. C’est peu, mais c’est positif. Autrement dit, il est faux de croire que les obligations s’apprécient quand les actions baissent. Simplement baissent-elles beaucoup moins. En moyenne, au cours des 20 dernières années et aux Etats-Unis, faut-il préciser.
Un portefeuille 60/40 est mal diversifié
Tout ceci ne remet-il pas en cause le fondement de ce fameux portefeuille 60/40? Pas dans la mesure où le rendement offert par les obligations est aujourd’hui revenu à des niveaux plus “normaux” que ces toutes dernières années, soulignent plusieurs professionnels. “On ne retrouvera peut-être pas une forte corrélation négative entre actions et obligations, mais à présent que ces dernières offrent une rémunération non négligeable, je pense qu’il y a du sens de diversifier les portefeuilles”, affirme John Queen, responsable des actifs à revenu fixe chez Capital Group. Quitte à ce que certains investisseurs choisissent d’autres proportions entre actions et obligations, soit 80/20 ou au contraire 20/80, ajoute-t-il.
Ton plus critique de la part d’Alex Shahidi, partner chez Evoke Advisors, cité par le magazine Forbes. “Notre analyse indique qu’un portefeuille 60/40 montre une forte corrélation historique avec un portefeuille composé à 100% d’actions. Il n’est donc pas bien diversifié. Il exclut d’ailleurs des remparts contre l’inflation tels que des obligations indexées (contre l’inflation), de l’or et des matières premières”. Il rappelle qu’actions et obligations ont bu la tasse dans les années 1970 alors que l’or s’appréciait de 22% par an.
L’avertissement de BlackRock
De son côté, c’est un véritable avertissement que lance BlackRock. Il semble d’autant plus crédible que le premier gestionnaire d’actifs du monde propose précisément un fonds intitulé 60/40 Target Allocation et qu’il ne saurait dès lors le dénigrer sans bonne raison! Le fait que le portefeuille 60/40 ait gagné en popularité cette année ne doit pas induire en erreur: son return sera modeste à long terme, prévient le service d’études de la maison. Les investisseurs devraient viser une diversification beaucoup plus large, en particulier en direction des marchés privés. “Les obligations n’offriront à l’avenir plus la même diversification que durant les dernières décennies. Les portefeuilles nécessiteront des ajustements réguliers, pour répondre aux chocs de marché et au flux d’informations, avertit Wei Li, global chief investment du groupe.
Certains grands investisseurs institutionnels sont très loin du modèle 60/40, relevait à la fin de l’an dernier un banquier américain. Il prenait pour exemple, peut-être extrême, la dotation de l’université de Yale: ce trésor de guerre comprend à peine 5% d’actions et 6% d’obligations!
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