Où s’arrêteront les Bourses ?

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​Alors que les principaux indices boursiers alignent les records, les niveaux de valorisation ont de quoi donner le vertige. Même en tenant compte de la formidable résilience de l’économie américaine et des promesses de l’intelligence artificielle.

Les marchés boursiers se sont récemment envolés. Les actions américaines se sont appréciées de 24 % depuis la fin du mois d’octobre, pour culminer près de 10 % au-dessus du sommet, déjà vertigineux, atteint en janvier 2022. Le 22 février, les actions européennes ont établi leur premier record depuis deux ans. L’Inde, dont l’économie appelle à l’optimisme, progresse depuis plusieurs années. Même les actions japonaises, il y a peu quasiment synonyme de stagnation, ont (enfin) dépassé leur ancien record de 1989, avant l’éclatement de la bulle financière et immobilière nippone. L’évolution est extraordinaire. L’indice S&P 500 enregistre depuis 2010 un rendement réel de 11 % par an.

La progression est d’autant plus impressionnante que les marchés ont été confrontés à de nombreuses difficultés. A l’ère de l’argent gratuit ont succédé deux années de hausses des taux d’intérêt. Une lutte commerciale oppose frontalement les Etats-Unis à la Chine ; des guerres physiques font rage en Ukraine, au Moyen-Orient et dans certaines régions d’Afrique. Partout dans le monde, les gouvernements se détournent des principes du marché libre et de la mondialisation au profit d’une politique industrielle et protectionniste. Si tout cela ne met pas fin au rallye, qu’est-ce qui le fera ?

Il est permis de penser qu’une bulle est sur le point d’éclater, en particulier aux Etats-Unis. A Wall Street, les valorisations – facteurs par lesquels les bénéfices sont multipliés – s’établissent à 80 % en moyenne de ce qu’elles étaient avant l’éclatement de la bulle des dotcoms, à la fin des années 1990, et à 90 % des niveaux atteints en 2021, avant la remontée de taux d’intérêt jusque-là atones. D’autres chiffres extrêmes encore sont observés, au niveau notamment des concentrations (la part du marché boursier constituée des entreprises les plus importantes) ou des écarts de valorisation (entre les entreprises les plus chères et les entreprises les moins chères). N’oublions pas non plus, dans l’angle le plus vaporeux des marchés financiers, le bitcoin, qui s’échange à des niveaux record de plus de 70.000 dollars.

Le Fonds monétaire international a revu à la hausse ses prévisions de croissance mondiale.

Economie résiliente

Enormément d’entreprises, dont les détatillants tels que Walmart et des constructeurs automobiles japonais comme Toyota, publient aujourd’hui des résultats solides.

Il existe pourtant des raisons de considérer l’exubérance des marchés comme rationnelle. Au début de 2023, alors que les banques centrales du monde entier resserraient leur politique monétaire à un rythme que l’on n’avait plus vu depuis une génération, de nombreux analystes mettaient en garde contre les risques de récession et de recul des bénéfices des entreprises. Des experts de Wall Street prédisaient que l’économie américaine ne progresserait que de 0,7 % durant l’année. La réalité fut plus de trois fois plus élevée. Enormément d’entreprises, dont des détaillants comme Walmart et des constructeurs automobiles japonais comme Toyota, publient aujourd’hui des résultats solides.

L’économie continue de défier la gravité. Une prévision régulièrement évoquée, publiée par la Federal Reserve Bank d’Atlanta, fait état d’une croissance américaine annualisée de 3,2 % pour le premier trimestre de 2024. Malgré un ralentissement en Chine – où, à l’encontre de la tendance générale, les marchés fonctionnent au ralenti –, le Fonds monétaire international a revu à la hausse ses prévisions de croissance mondiale.

Intelligence artificielle

L’intelligence artificielle (IA) alimente l’optimisme des investisseurs. Ce n’est pas que ChatGPT les aveugle : non, l’événement qui a propulsé les actions dans la stratosphère fut la publication, le 22 février, des résultats de Nvidia, qui domine largement le marché des semi-conducteurs essentiels à l’entraînement des modèles d’IA. En octobre 2022, juste avant qu’OpenAI ne lance son désormais célèbre chatbot, Nvidia réalisait environ 3 milliards dollars de bénéfice brut par trimestre, principalement grâce à la vente de cartes graphiques aux gameurs. Entre novembre 2023 et janvier 2024, ce chiffre est passé à 17 milliards de dollars, pour une marge bénéficiaire de 76 %. Le cours de l’action a été multiplié par cinq, mais les bénéfices ont progressé plus rapidement encore. En d’autres termes, l’enthousiasme qui a permis à la capitalisation boursière de Nvidia d’approcher les 2.000 milliards de dollars est dû non pas à un engouement de style dotcom, mais à des résultats bénéficiaires bien tangibles.

Aussi justifié qu’il soit, cet essor ne signifie pas qu’il faille se précipiter pour acquérir des actions Nvidia. Notamment parce que l’excitation suscitée par l’intelligence artificielle s’étend, au-delà de Nvidia, à d’autres membres du groupe des “Sept Magnifiques” (Google, ­Amazon, Facebook, Apple, ­Microsoft, Nvidia, Tesla). ­Microsoft, par exemple, dont les stratégies commerciales dans le domaine de l’IA sont pour l’heure loin d’être claires. Convaincues que leurs activités dans l’IA vont d’une manière ou d’une autre s’accélérer, ces entreprises commandent des puces Nvidia à tour de bras. Or, les problèmes fondamentaux liés à leurs grands modèles de langage ne sont pas encore résolus. De nombreuses start-up cherchent à obtenir une part du gâteau des Sept Magnifiques, et la concurrence va brider les bénéfices, y compris, à terme, ceux de Nvidia.

Productivité

La technologie explique également l’optimisme régnant dans certaines sphères au sujet de la croissance de la productivité de toute l’économie. On sait pourtant, pour avoir assisté à d’autres naissances, qu’il faut du temps pour savoir comment exploiter les technologies fondamentales. Les entreprises n’ont beau avoir que l’intelligence artificielle générative à la bouche, celle-ci n’en est toujours qu’au stade expérimental. Par conséquent, même si l’IA est appelée à transformer radicalement la société, il est aujourd’hui difficile, pour l’investisseur, d’identifier les entreprises qui seront rentables demain. Les personnes qui ont cru aux dotcoms ne se sont pas trompées sur le pouvoir de transformation de l’internet, mais elles y ont tout de même laissé leur chemise.

Si les choses ne s’emballent pas cette fois, les valorisations ne grimperont plus beaucoup. Les bénéfices devraient également cesser de progresser plus rapidement que l’économie. La croissance exceptionnelle enregistrée par les bénéfices ces dernières décennies fut un phénomène ponctuel, autorisé par la baisse du coût des crédits et des impôts. Comme l’inflation persiste et que les finances publiques restent tendues, ces assouplissements ne pourront se répéter ; la tendance pourrait même s’inverser.

Traduit de “The Economist”

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