Novo Nordisk, nouveau poids lourd européen
Sous le feu des projecteurs grâce à son médicament contre l’obésité, Novo Nordisk a dépassé LVMH en Bourse. Le groupe danois s’impose ainsi comme la première entreprise européenne et n’a probablement pas encore épuisé tout son potentiel.
Après avoir trôné sur les Bourses européennes durant plus de deux ans et subrepticement intégré le top 10 mondial au printemps, LVMH a été contraint de rendre sa couronne. En perte de vitesse, le géant du luxe s’est fait dépasser par la fusée danoise Novo Nordisk. Peu connu du grand public, le géant pharmaceutique a vu son cours quadrupler en cinq ans.
A l’époque, les perspectives de Novo Nordisk semblaient pourtant mitigées, l’agence Bloomberg ayant même titré Novo Nordisk est sur un terrain élevé, mais instable en 2018. Le groupe danois avait longtemps profité de son quasi-duopole dans l’insuline avec Sanofi pour augmenter les prix, surtout aux Etats-Unis. Face aux critiques et à la concurrence grandissante, les deux géants avaient dû revoir leur copie.
Bloomberg soulignait également que le portefeuille de nouveaux produits était assez léger face à la menace et que Novo Nordisk avait raté une occasion avec Ablynx. Premier enchérisseur, le groupe danois s’était fait doubler par Sanofi qui avait proposé près de 4 milliards d’euros pour mettre la main sur la biotech belge.
Prix de l’insuline
Par rapport à l’insuline, les craintes de Bloomberg s’avéraient fondées. Les baisses de prix se sont même accélérées au début de cette année avec des réductions atteignant jusqu’à 75%. Au premier semestre, les ventes d’insuline de Novo Nordisk ont ainsi plafonné à 3,5 milliards de dollars, 25% de moins qu’au cours des six premiers mois de 2018 et la baisse n’est sans doute pas finie. La prestigieuse agence financière avait toutefois largement sous-estimé le potentiel du pipeline du groupe danois. Ce dernier venait de commercialiser l’Ozempic, un nouveau type de traitement du diabète de type 2. En 2018, les analystes évaluaient le potentiel de ventes annuelles à environ 3 milliards de dollars.
Un objectif très largement dépassé. Sur le seul premier semestre, le compteur atteignait déjà près de 6 milliards de dollars et même près de 8 milliards de dollars en ajoutant le Wegovy, contenant le même principe actif (sémaglutide).
Traitement de l’obésité
Approuvé en 2021 par les agences sanitaires pour le traitement de l’obésité, le Wegovy permet des pertes de poids d’environ 15%. L’engouement est tel que les ventes d’Ozempic sont même stimulées par des achats de personnes qui veulent maigrir. Ce qui est fortement déconseillé, notamment parce que les dosages ne sont pas les mêmes.
La seule limite aux ventes de Novo Nordisk semble en effet être sa capacité de production. Le mois dernier, Lars Fruergaard Jorgensen, CEO du groupe, concédait ainsi dans une interview ne pas avoir correctement anticipé l’engouement pour le Wegovy. “Au début, nous pensions que la demande était soutenue par l’attente… mais ce n’était pas vraiment le cas” et les ventes ont continué à croître.
Selon les analystes de la banque d’investissement Jefferies, les médicaments de la famille des analogues du récepteur GLP1 (inaugurée par le sémaglutide) devraient générer des ventes annuelles de plus de 150 milliards de dollars en 2031, quasi autant que le marché actuel des anticancéreux (185 milliards). Et encore, cela ne tient compte que du traitement du diabète et de l’obésité, des études étant également en cours pour la prévention des crises cardiaques et des AVC.
Evidemment, ces perspectives suscitent les convoitises avec une multiplication des programmes. Novo Nordisk dispose toutefois d’une confortable avance. Le Mounjaro d’Eli Lilly a été approuvé pour le traitement du diabète, mais pas (encore) contre l’obésité. Ce qui laisse du temps au groupe danois d’avancer dans la commercialisation et le développement, notamment celui d’une formule orale, lancée au Royaume-Uni début septembre – le Wegovy est habituellement vendu sous la forme d’injections sous-cutanées.
Remboursement
Novo Nordisk négocie avec les assureurs publics et privés pour le remboursement du Wegovy. Le prix est élevé: de 296 dollars aux Pays-Bas à 1.349 dollars aux Etats-Unis pour un traitement d’un mois, coûtant environ 40 dollars à produire, selon une étude parue dans la revue Obesity. Mais le groupe danois a des arguments à faire valoir. Selon la World Obesity Federation, plus d’un milliard de personnes âgées de plus de cinq ans sont obèses (indice de masse corporelle supérieur à 30) dans le monde. En outre, 1,6 milliard de personnes sont en surpoids (IMC entre 25 et 30). Dans son dernier World Obesity Atlas, l’ONG estime que plus de 4 milliards de personnes de plus de cinq ans seront en surpoids ou obèses d’ici à 2035.
Parallèlement, l’impact sur l’économie mondiale ne fera que croître: de 1.960 milliards de dollars en 2020 à 4.000 milliards en 2035. Soit près de 3% du PIB global, sous la forme de dépenses de santé et de temps de travail perdu pour cause de maladie et de décès prématuré. “Un coût économique annuel qui se compare à l’impact estimé du covid, ayant entraîné une baisse de 3% du PIB de l’économie mondiale en 2020”, pointe le rapport.
Valorisation tendue
Même si la concurrence va se durcir, risquant d’affecter les prix, le marché est donc suffisamment vaste pour de nombreux acteurs et permet à Novo Nordisk de continuer à croître. Selon les prévisions d’analystes, le sémaglutide (Ozempic, Wegovy, formulation orale) devrait générer des ventes combinées de l’ordre de 30 à 40 milliards de dollars en 2030, davantage que le chiffre d’affaires de l’ensemble du groupe l’année dernière (25 milliards).
Toutefois, après une hausse de 74% en un an, la valorisation de l’action Novo Nordisk s’est fortement tendue avec un rapport cours-bénéfice (des 12 derniers mois) de 45, trois à quatre fois plus que la plupart des autres grands groupes pharmaceutiques.
La grande majorité des analystes (15 sur 22) restent à l’achat.
Ce qui se justifie aussi par la R&D du groupe danois. Il planche déjà sur le successeur de l’Ozempic, développe un portefeuille de traitements contre l’obésité et explore de nouvelles indications. Une étude de phase 3, la dernière avant la demande de commercialisation, évalue ainsi le sémaglutide dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Les premiers résultats sont attendus à l’été 2024 et auront un impact certain sur le cours.
Les analystes prévoient en moyenne que son bénéfice par action va plus que doubler entre 2022 (3,52 dollars) et 2025 (7,32 dollars). Sur la base du consensus 2025, la valorisation retombe à 26 fois les bénéfices, laissant un potentiel d’appréciation, surtout en cas de succès de son traitement expérimental de la maladie d’Alzheimer. La grande majorité des analystes (15 sur 22) restent ainsi à l’achat.
Sous stéroïdes
Eli Lilly est vu comme une version de Novo Nordisk sous stéroïdes. Le groupe américain la talonne dans le diabète et l’obésité, et a récemment déposé sa demande de mise sur le marché d’un nouveau traitement de la maladie d’Alzheimer. Il avance aussi dans les maladies auto- immunes ou le cancer. C’est aujourd’hui le premier groupe pharmaceutique mondial avec une capitalisation boursière de 573 milliards de dollars.
Le mois dernier, Daniel Skovronsky, chief scientific and medical officer d’Eli Lilly, donnait même un objectif boursier. “Aucune entreprise de santé n’a jamais atteint une valeur de 1.000 milliards de dollars. C’est un peu surprenant. Il y a peu de domaines où il me semble plus important d’investir. J’espère que nous pourrons atteindre cet objectif.” Les analystes sont aussi enthousiastes (20 achats sur 28 avis), mais la valorisation est encore plus tendue que Novo Nordisk à 80 fois les bénéfices réalisés.
Le titre Pfizer est bon marché, mais ses chiffres sont orientés à la baisse.
Pfizer mise aussi beaucoup sur les traitements de l’obésité, mais l’ex-premier groupe pharmaceutique mondial a connu un important revers en juin avec l’arrêt du développement clinique du lotiglipron. Il a ainsi reporté ses espoirs sur le danuglipron, un autre analogue du récepteur GLP1. En termes de valorisation, le titre est bon marché, mais ses chiffres sont nettement orientés à la baisse avec la chute des ventes de vaccin contre le covid.
LVMH à la peine
Depuis ses plus hauts du mois d’avril, LVMH a perdu près de 20% de sa valeur en raison surtout du ralentissement économique de la Chine. Le géant du luxe y réalise près d’un cinquième de ses ventes, mais les espoirs de rattrapage après la levée des mesures sanitaires fin 2022 ont laissé la place à l’inquiétude.
L’économie chinoise est freinée par une crise immobilière rampante et les tensions géopolitiques. Pékin a ainsi décidé d’interdire l’iPhone dans son administration et les marques locales continuent de gagner des parts de marché dans le luxe. L’impact pourrait être d’autant plus grand pour ce secteur que les consommateurs américains se serrent aussi la ceinture, ayant largement puisé dans leur excédent d’épargne de la pandémie.
Même si les perspectives à long terme restent favorables, une poursuite de la revalorisation de LVMH n’est pas à exclure dans l’immédiat.
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