Grande distribution: des opportunités d’investissement au bout du tunnel?
En pleine recomposition, le secteur de la grande distribution est loin d’avoir répondu aux attentes. Mais certaines enseignes commencent à recueillir les fruits des efforts consentis dans l’amélioration de leur position concurrentielle et de leur rentabilité.
A priori, le secteur de la grande distribution aurait dû s’illustrer en Bourse depuis le début de l’année dernière. Il est naturellement protégé de l’inflation, qui dépend largement des prix de vente dans les supermarchés. Et les achats de produits de consommation de base (alimentation, hygiène…) sont peu influencés par les aléas conjoncturels. Pourtant, les performances sont loin d’être au rendez-vous.
En Belgique, le secteur défraye même régulièrement la chronique depuis l’année dernière: revente de Mestdagh, restructuration chez Delhaize, réorganisation de Dreamland (Colruyt). Même si certaines spécificités belges ont contribué à cette agitation, elle est loin de se limiter aux frontières du royaume.
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Outre-Quiévrain, les heures de Casino Guichard-Perrachon semblent comptées. Depuis le rapport au vitriol du fonds spéculatif Muddy Waters sur les dettes du groupe (et de ses actionnaires) en 2015, le distributeur français connaît une véritable descente aux enfers. Contraint de vendre des parts dans ses enseignes sud-américaines les plus valorisables afin de réduire ses dettes, Casino est aujourd’hui à la recherche d’un partenaire pour assurer son avenir.
Hausse des stocks
Même Walmart, autoritaire leader sur le marché américain, n’échappe pas aux difficultés frappant le secteur. Au cours de son dernier exercice (clos fin janvier), sa marge opérationnelle a reculé de 4,5% à 3,4%. Outre une charge exceptionnelle, cela traduisait surtout une hausse des coûts, tant d’approvisionnement qu’opérationnels (salaires, locaux, etc.), combinée à l’impact de la hausse des stocks.
Suivant les problèmes d’approvisionnement et la forte demande durant la pandémie, les enseignes ont en effet augmenté leurs commandes qui ont été livrées quand les consommateurs réduisaient leurs dépenses. Aux Etats-Unis, les inventaires du secteur de la distribution (hors automobile) atteignaient ainsi 551 milliards de dollars à l’automne dernier, en hausse de 30% par rapport à avant la pandémie. Ce qui engendre des surcoûts de stockage et contraint les distributeurs à octroyer davantage de réductions.
La multiplicité des réseaux de vente constitue un “casse-tête” pour les politiques d’approvisionnement
Pourtant, malgré ces inventaires bien garnis, nombre de supermarchés ont déploré davantage de rayons vides qu’à l’accoutumée ces derniers mois. De la salad crisis au Royaume-Uni à la pénurie d’œufs en Australie en passant par la crise de la moutarde en France, le scénario semble se répéter inlassablement aux quatre coins du monde.
Kevin O’Marah, ancien cadre d’Amazon et fondateur de Zero100, une communauté de dirigeants de chaînes d’approvisionnement et d’opérations, déclarait récemment à l’agence Reuters que la multiplicité des réseaux de vente constituait un “casse-tête” pour les politiques d’approvisionnement des distributeurs. D’autant plus que ceux-ci doivent également intégrer les habitudes changeantes des consommateurs, l’impact de l’inflation et les craintes (fondées ou non) de pénuries. Un calcul trop complexe pour les solutions d’intelligence artificielle utilisées pour prédire la demande…
Magasins de proximité
Toutefois, la question des stocks n’est pas la seule à peser sur la rentabilité de la grande distribution, le recul des marges n’étant pas récent. En 2011, Walmart affichait une marge opérationnelle de 6%. Depuis, son potentiel bénéficiaire a en quelque sorte baissé de 45%. Idem pour Colruyt (recul de la marge opérationnelle de 6,5% à 3,7% en 11 ans) ou Carrefour (de 2,7% à 2,2%).
Les causes sont diverses, comme la concurrence, notamment des discounteurs (Aldi, Lidl et les dollar stores aux Etats-Unis), le développement de l’e-commerce nécessitant des investissements supplémentaires ou l’évolution des habitudes d’achat. Les grands hypermarchés ont notamment de moins en moins la cote.
Selon le panéliste NielsenIQ, la part de marché des hypers a ainsi baissé de 52% à 38% en France en l’espace de 20 ans. Les deux grands gagnants sont l’e-commerce (de 0% à 8%) et les magasins de proximité (de 4% à 9%). Au niveau mondial, des distributeurs comme 7-Eleven (propriété du groupe japonais Seven & I Holdings) et Alimentation Couche-Tard sont devenus des poids lourds du secteur avec respectivement 83.000 et près de 15.000 supérettes (souvent associées à des pompes à essence).
Alimentation Couche-Tard avait même tenté de mettre la main sur Carrefour, autrefois auréolé du titre de deuxième distributeur mondial, mais le groupe canadien s’était ravisé début 2021 face à la levée de boucliers que l’information avait suscitée en France.
Dans cet environnement plutôt morose, certains signes sont toutefois plutôt positifs. Alors qu’Amazon semblait invincible il y a deux ans avec le boom de l’e-commerce durant les confinements, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les ventes en ligne ont ralenti et le groupe peine toujours à développer ses concepts physiques. En début d’année, il a ainsi annoncé l’arrêt des ouvertures d’Amazon Fresh et la fermeture d’une partie de ses magasins sans caisses Amazon Go.
L’horizon s’est récemment dégagé. Colruyt a relevé début mai ses prévisions.
En termes de résultats aussi, l’horizon s’est récemment dégagé. Colruyt a relevé début mai ses prévisions pour la seconde partie de son exercice 2022-2023. “En décembre, nous avions pronostiqué, pour le second semestre, une baisse du résultat d’exploitation se situant entre 40% et 45%. Nous l’abaissons aujourd’hui à une fourchette comprise entre 25% et 30%”, déclarait ainsi le directeur financier, Stefaan Vandamme.
Carrefour a confirmé ses objectifs pour l’année en cours, à savoir une croissance de l’excédent brut d’exploitation, du résultat opérationnel courant et du cash-flow libre net par rapport à 2022.
La clé de cette résilience financière réside avant tout dans les réductions de coûts tous azimuts, allant de négociations serrées avec les fournisseurs au personnel en magasin en passant par la modernisation des entrepôts. Au Royaume-Uni, plusieurs enseignes ont notamment annoncé qu’elles réduiraient le recours au travail de nuit (plus onéreux) pour le réassortiment des rayons.
Walmart mise pour sa part avant tout sur l’autonomisation afin d’améliorer ses marges et de regagner des parts de marché au cours des prochaines années. Le premier distributeur mondial, avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 600 milliards dollars, prévoit que le coût unitaire de transport diminuera de 20% en trois ans grâce aux robots logistiques. Ces derniers permettraient également d’accélérer l’acheminement des marchandises vers les clients. Dans un projet pilote en Floride, le distributeur a notamment recours à des chariots élévateurs autonomes pour décharger les camions et ranger les marchandises plus efficacement que les opérateurs humains.
Le second atout des supermarchés traditionnels, ce sont les marques propres. Elles sont à la fois leur meilleure arme pour rester compétitifs face aux discounteurs et une source de profits puisque les marques de distributeur génèrent en moyenne de meilleures marges.
En Belgique, la part de marché des marques de distributeurs a atteint un sommet de 39,1% l’année dernière selon NielsenIQ. Aux Etats-Unis, elle était de 18,2%, selon un baromètre de la Food Industry Association de l’année dernière et les distributeurs ont un objectif de 22,6% à 24 mois.
Nous avons sélectionné trois profils différents pour miser sur un redressement du secteur de la grande distribution. Les grands absents sont les leaders mondiaux Walmart et Costco, qui présentent une importante prime de valorisation, ainsi que 7-Eleven et Alimentation Couche-Tard bien plus exposés que la moyenne à la vente de carburant.
Les fiancés: le distributeur américain Kroger a proposé près de 25 milliards de dollars (en actions) pour racheter son concurrent Albertsons. Au niveau de la distribution alimentaire, les deux groupes fusionnés (ventes annuelles de 210 milliards de dollars) feraient quasiment jeu égal avec Walmart (220 milliards). Les objectifs du rapprochement sont notamment de générer des économies de l’ordre de 1 milliard de dollars par an et de renforcer leurs marques propres.
Ils pourront notamment négocier de meilleures conditions avec les producteurs alors que Kroger indiquait déjà l’année dernière que ses marques propres généraient une marge brute 6% supérieure aux marques nationales. A respectivement 7 et 10 fois les bénéfices prévus, Abertsons et Kroger sont donc des options intéressantes, surtout si le projet de fusion est autorisé.
Le pari: distributeur de premier plan avec plus de 320.000 collaborateurs et 100 millions de clients dans le monde, Carrefour peine à se redresser depuis de longues années. Sa présence géographique diversifiée (Europe occidentale et orientale, Amérique latine) et l’importance de ses marques propres (33% des ventes en 2022) constituent pourtant de précieux atouts. Alexandre Bompard, qui a au moins réussi à stabiliser la situation depuis qu’il est PDG, compte les mettre en valeur dans sa stratégie 2026 qui s’appuie aussi sur le développement international de son enseigne de discount brésilienne Atacadão ainsi que sur les magasins de proximité (franchisés). Le titre cote 10 fois les bénéfices prévus cette année.
La résurrection: ces 10 dernières années ont ressemblé à un long calvaire pour les distributeurs britanniques. Entre le développement accéléré d’Aldi et de Lidl, l’impact du Brexit sur les chaînes d’approvisionnement ainsi que la pandémie et tous les autres événements internationaux, Tesco et J Sainsbury ont dégringolé en Bourse de Londres. La tendance semble toutefois en train d’évoluer. Les deux distributeurs viennent d’annoncer tabler sur des bénéfices stables pour leur exercice 2023-2024 alors que les marchés prévoyaient une nette baisse. A force de réduction de coûts, ils sont aussi aujourd’hui beaucoup plus concurrentiels face aux discounteurs allemands.
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