Des nuages noirs s’amoncellent autour du vapotage, dont les prix s’envolent

Young woman smokes an electronic cigarette sitting in an armchair with her head in a cloud of vapor smoke © Getty Images

Annoncé en octobre, le plan tabac de Frank Vandenbroucke contient 10 mesures pour une génération sans tabac. Parmi celles-ci, un volet taxation qui va instaurer de fortes accises sur les e-liquides. Le prix du vapotage va exploser. Une décision étrange alors qu’il est un outil reconnu de sevrage tabagique.

En cette fin d’année, c’est le branle-bas de combat dans les magasins belges de cigarettes électroniques. Partout, les tarifs qui rentreront en vigueur au 1er janvier sont affichés. Pour les clients, c’est la stupéfaction ! A titre d’exemple, la petite bouteille d’e-liquide de 50 ml avec un booster de nicotine va passer de 20 euros à 29 euros, soit une augmentation de quasi 50 %. Pour ceux qui achètent la base et les arômes séparément, le litre de base va passer de 15 à 165 euros, soit 1.000 % de surtaxe !

Chez Mons Vape, le message des propriétaires est clair. ” Nous avons fait plus de stock que d’habitude, quitte à maltraiter un peu la trésorerie. Nous conseillons à tous nos clients de faire des provisions de leurs produits préférés. D’une part, pour contrecarrer l’augmentation du 1er janvier. D’autre part, pour prévenir l’éventuelle rupture de stock qui se produira l’an prochain quand nous devrons vendre des produits avec un timbre fiscal. Vu le court délai qui nous a été accordé, il n’est, en effet, pas impossible que la logistique ne suive pas. Enfin, Alfaliquid, le fabricant français dont nous som­mes un revendeur, va, en raison de la nouvelle législation, supprimer en Belgique certains de ses produits.”

Assimilé au tabac

Chez Alter Smoke, l’autre grand fabricant français qui, via la franchise, dispose d’une dizaine de revendeurs en Belgique ou auprès de la chaîne Smoke and Smile présente en Wallonie, le message est globalement le même. D’autres envisagent de fermer boutique et certains, proches de la frontière française, sont déjà passés à l’acte.

Comme dans le cas de la forte hausse des accises sur le vin et l’alcool en 2015, l’imposition, forte, sur les e-liquides va créer un appel d’air transfrontalier, des pertes d’emploi et d’activité en Belgique et, sans doute, rater, toutes choses prises en compte, son objectif budgétaire.

Comment en est-on arrivé là et pourquoi ?

En octobre 2016, lors de la transposition de la directive européenne relative à la mise en commerce de cigarettes électroniques, la Belgique s’est montrée restrictive en les assimilant au tabac. En France, c’est un produit connexe. La différence est de taille : chez nous, la publicité est interdite de même que la vente en ligne, les opérations commerciales (genre 5+1 gratuit) et les cartes de fidélité.

L’absence de commerce en ligne a conduit à une incongruité pendant la pandémie : il était impossible d’acheter des e-liquides puisque les magasins de vapotage n’étaient pas considérés comme essentiels. Pour la cigarette, par contre, aucun souci d’approvisionnement…

Les jeunes inquiètent

Ces trois dernières années, le marché de la cigarette électronique s’est considérablement modifié. Les grands groupes liés au tabac s’y sont engouffrés et de nouveaux produits jetables appelés puffs ont été mis sur le marché. Avec ou sans nicotine, très colorés et fun, ils plaisent clairement aux jeu­nes. Tous les experts s’inquiètent de cette montée en puissance auprès des moins de 20 ans et du risque de les voir commencer, par la suite, le tabac.

Leur succès auprès des jeunes explique notamment l’instauration de ces accises.

Cette montée en puissance, la Fondation contre le Cancer l’a objectivée, pour la première fois, en octobre dernier dans une enquête remarquable. Pour les 15-20 ans, le vapotage est une pratique en soi (35 % des jeu­nes l’ont déjà essayé !) alors que pour les plus de 20 ans, le vapotage a été un moyen d’arrêter de fumer dans 88 % des cas ! Les arômes alléchants et fun participent fortement à cet engouement. Enfin, l’étude démontre que les jeunes de 15 à 20 ans achètent les puffs dans les night shops et stations-services (50%), les magasins de vapotage (19%) et les libraires (15%).

Ce succès chez les jeunes explique le premier tour de vis de juillet dernier avec, entre autres, modification de l’étiquetage des e-liquides (l’arôme doit tenir en un mot, référence au centre anti­poison, etc.). Des modifications qui ont engendré de solides surcoûts (entre 50.000 et 60.000 euros) chez les fabricants. Ce succès explique aussi l’instauration d’accises sur les e-liquides à partir du 1er janvier, soit 15 cents par ml, prévue dans le plan tabac présenté en octobre par Frank Vandenbroucke, le ministre fédéral de la Santé.

Une mesure choc qui va au-delà de l’augmentation de 25 % décidée sur le paquet de cigarettes et dont l’ampleur étonne vu la vocation, reconnue par le Conseil supérieur de la santé (avec, certes, des nuances), d’outil de sevrage tabagique. Cette vocation prend pleinement son sens à l’hôpital de La Citadelle à Liège où une consultation, unique en Belgique, dédiée à la cigarette électronique a été ouverte dans le cadre du Centre d’aide aux fumeurs.

“L’e-cigarette est très efficace et très utile, confie Natacha Gusbin, pneumologue, tabacologue et somnologue à La Citadelle. Mais elle doit être prise comme un outil de sevrage et non comme un objet récréatif. Les accises sont, sans doute, un moyen de rebuter les jeunes. Pour un adulte qui arrête de fumer, passer de 30 cigarettes par jour à l’e-cigarette demeure financièrement intéressant malgré les accises. Quant aux puffs, ce sont clairement des produits à bannir. Le dossier serait en cours.”

Passer de 30 cigarettes par jour à l’e-cigarette demeure financièrement intéressant malgré les accises.” – Natacha Gusbin (hôpital de La Citadelle)

Plan équilibré ?

A La Citadelle, Adrien Meunier, infirmier tabacologue en charge de la consultation e-cigarette, voit de plus en plus de jeunes. “Ils viennent nous voir pour évaluer l’impact des puffs sur la santé mais aussi sur l’environnement. Ils sont surpris qu’ils puissent contenir de la nicotine et ont l’impression d’avoir été manipulés. Pour le reste, nous recevons surtout des patients très nicotino-dépendants qui veulent arrêter de fumer. L’idéal est de combiner des patchs avec l’e-cigarette qui est une façon modulaire de recevoir de la nicotine et permet de gérer des pics. Je ne cesse de répéter que la nicotine n’est pas nocive ! Nous conseillons d’utiliser des appareils récents qui chauffent moins le liquide et de choisir des arômes peu sucrés donc moins néfastes. Les nouveaux liquides avec sels de nicotine sont aussi très efficaces car ils imitent quasiment le pic d’une clope classique.”

Ces deux témoignages confirment donc tout l’intérêt de l’e-cigarette dans le sevrage tabagique. Pourquoi diable la taxer aussi fort ? D’autant que les produits NRT (Nicotine Replacement Therapy) comme les patchs demeurent, eux, très chers.

” Je trouve le plan tabac fort nuancé, explique Suzanne Gabriels, experte en prévention du tabagisme à la Fondation contre le Cancer. Il faut trouver un équilibre qui permette de dissuader les jeunes de vapoter sans diaboliser un produit utile pour les fumeurs. C’est très compliqué. Je comprends le souhait du politique de lever des accises. Le but de l’e-cigarette est d’aider à se sevrer. Son usage doit donc être temporaire. C’est dans ce rôle-là que nous l’acceptons. Du coup, l’impact des accises n’est pas si important. Quant aux produits NRT dont le rôle et la sécurité sont bien documentés, il faut en baisser le prix. Le plan du ministre parle d’un remboursement à l’étude avec décision au printemps prochain. Pour nous, c’est essentiel. J’ajouterais enfin que les magasins d’e-cigarettes ne sont pas obligés de répercuter les nouvelles accises sur leurs clients. Selon moi, leurs marges sont bien plus grandes que pour la cigarette classique.”

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