Après 35 jours de shutdown américain, l’heure de vérité pour les Bourses européennes

En Europe, seul l'éditeur de logiciels allemand SAP atteint le cap des 100 milliards de capitalisation. © BELGA IMAGE

Année après année, Wall Street distance les Bourses européennes. Une tendance lourde qui ne pourra s’inverser que si l’Europe inspire de nouveau confiance aux investisseurs.

“Cinq graphiques montrant pourquoi les actions européennes sont le pire marché développé du monde ” : ce titre de l’agence Bloomberg date de l’été dernier, mais est toujours d’actualité. Alors que Wall Street lorgne toujours de nouveaux records, l’indice paneuropéen Stoxx 600 végète assez loin d’un sommet déjà ancien. Il date en effet d’avril 2015. Le constat est encore plus cruel si l’on se replonge 10 ans en arrière. En une décennie, le Stoxx 600 affiche une progression de 80 % contre plus de 200 % pour son homologue américain S&P 500.

Retard technologique

Il y a quelques années, l’écart entre les actions américaines et européennes pouvait être expliqué par la crise des dettes souveraines de la zone euro ou la politique monétaire moins dynamique de la Banque centrale européenne (BCE). Cela n’est plus le cas. Les spécialistes pointent désormais la composition des deux indices.

” Les actions technologiques ne représentent que 4,6% du Stoxx 600 contre 26% pour le S&P 500 “, selon Max Kettner de Commerzbank. Une différence de taille alors que les actions technologiques sont devenues les principales attractions boursières, trustant sept des huit premières places du classement des capitalisations mondiales.

En Europe, seul l’éditeur de logiciels allemand SAP atteint le cap des 100 milliards de capitalisation. Alors que Microsoft, Apple, Alphabet (Google) ou Amazon tournent autour des 1.000 milliards de dollars. Le Vieux Continent semble toutefois progressivement revenir dans la course à l’image de l’arrivée en Bourse l’année dernière du spécialiste néerlandais des technologies de paiement Adyen et du suédois Spotify – qui a toutefois choisi d’être coté à New York. Selon le London Stock Exchange, 69 sociétés technologiques sont entrées en Bourse en Europe en 2018 dont 62 ” licornes ” présentant une valeur de plus d’un milliard de dollars. Il est toutefois évident que cela prendra du temps avant qu’elles puissent rivaliser avec les géants américains.

A brève échéance, le principal enjeu pour les Bourses européennes est politique.

A brève échéance, le principal enjeu pour les Bourses européennes est politique. ” L’Europe, à ce titre, devient un véritable laboratoire avec des expériences extrêmes et contradictoires en Italie, la situation ubuesque du Brexit et l’agitation sociale en France qualifiée parfois d’insurrectionnelle “, détaille Igor de Maack, gérant chez DNCA. En comparaison, les impôts de Donald Trump ont stimulé l’économie et les entreprises. ” La croissance des bénéfices des entreprises américaines en 2018 est estimée à un bon 24 % “, souligne ainsi Duncan Lamont, responsable de la recherche et de l’analyse chez Schroders.

Même la politique protectionniste initiée par Donald Trump apparaît avoir davantage heurté l’Europe que les Etats-Unis. Le secteur automobile allemand en a tout particulièrement souffert. Globalement, les exportations ne représentent que 12% du PIB des Etats-Unis contre 45% pour l’Union européenne selon les données de la Banque mondiale. L’Europe souffre donc logiquement davantage de la résurgence protectionniste.

Les conditions d’un retour en grâce

Contrairement aux années précédentes, les actions européennes n’ont plus forcément les faveurs des stratégistes en 2019. L’argument phare de la sous-valorisation est pourtant plus présent que jamais. Les actions européennes cotent 15 fois leurs bénéfices et affichent un rendement de dividende de 3,6% contre respectivement 19 fois et 2,1% pour les actions américaines selon Schroders.

En moyenne, la décote des marchés européens ressort à environ 25%, sensiblement supérieur à la moyenne historique de 15%, mais inférieur aux pics de 2009 et de la crise des dettes souveraines. Pour qu’un mouvement de rattrapage se concrétise, il faut avant tout que les investisseurs aient à nouveau confiance dans l’Europe, ce qui passe par quatre facteurs clés.

1. Une solution pour le Brexit. Les négociations interminables et le no des députés britanniques à l’accord sur le Brexit ont encore prolongé un dossier qui envenime l’Europe depuis plus de deux ans et demi.

2. La relance de la politique en Europe. Entre les atermoiements sur le budget italien, le groupe de Visegrád, le mouvement des gilets jaunes en France et la remise en cause d’Angela Merkel, le processus décisionnel en Europe est grippé. Le résultat des élections européennes du 26 mai pourrait être déterminant.

3. Apaisement de la guerre commerciale. L’Europe est une économie très ouverte qui souffre donc tout particulièrement du protectionnisme.

4. Fin du ralentissement économique. La seule période récente au cours de laquelle les actions européennes ont surclassé Wall Street était au 1er semestre 2017. A l’époque, les investisseurs avaient repris confiance grâce à la victoire rafraîchissante d’Emmanuel Macron et à l’accélération de la croissance jusqu’à un pic de 2,8% en glissement annuel. Le rythme de croissance a rechuté à 1,6% à l’automne 2018 et devrait encore ralentir fin 2018-début 2019. Selon les enquêtes mensuelles menées auprès des directeurs d’achat, l’activité économique se contracte même en France et en Italie.

Le “shutdown”, terminus pour Wall Street ?

Infaillible pendant près de 10 ans, Wall Street a connu son premier véritable coup de mou à l’automne 2018. Les indices n’ont pu s’extirper de ce mauvais pas qu’en toute fin d’année. L’espoir d’un accord commercial sino-américain et l’assouplissement de la rhétorique du président de la Fed ont rassuré.

Dans un premier temps, les investisseurs ont à peine prêté attention au shutdown, la fermeture d’une partie des administrations fédérales faute d’accord sur le budget. Les précédents cas de 2013 et 2018 n’avaient pas eu de conséquences retentissantes. L’enjeu – un financement de 5,7 milliards de dollars pour le mur de Donald Trump – apparaissait limité au regard du budget global de 4.407 milliards de dollars. Le shutdown a toutefois joué les prolongations et les économistes ont sorti leur calculette. Du côté de Belfius, on estime qu’un quart des administrations sont concernées, soit pas moins de 800.000 fonctionnaires non payés. Cela n’apparaît guère insurmontable pour une économie créant plus de 200.000 emplois par mois en moyenne. Mais cette dynamique semble s’essouffler. Selon Karen Ward, stratégiste chez JP Morgan, ” le stimulus budgétaire ( réduction des impôts, etc. Ndlr) a apporté un puissant coup de fouet en 2018 qui devrait toutefois s’estomper au cours des prochains trimestres “.A cela s’ajoutent les craintes d’une récession cyclique alors que la Fed a déjà sensiblement relevé ses taux, freinant le marché immobilier, et que l’économie américaine semble mûre pour un retournement conjoncturel. Elle connaît en effet sa seconde période d’expansion la plus longue de son histoire, proche du record de 10 ans de mars 1991 à mars 2001. La solution provisoire trouvée pour rouvrir les administrations fédérales américaines pendant trois semaines ne rassure donc qu’à moitié.

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