Cinq villes imaginées par des milliardaires américains

Telosa La future cité égalitaire de Marc Lore, censée accueillir 5 millions d’habitants, sera construite “quelque part dans l’Ouest américain”. © PG / Telosa

Inventer une solution pour rendre la vie éternelle, coloniser Mars, modifier le climat: les milliardaires américains de la tech ne sont jamais à court d’idées pour dépenser leur colossale fortune. A l’image d’Elon Musk, certains se contentent de vouloir bâtir une ville qui leur ressemble. Avec des succès variables.

Sortir de terre des cités d’un nouveau genre, telle est l’ambition de certains milliardaires. Loin d’être de simples lubies pour ces fortunes à l’ego démesuré, ces projets portent les valeurs du monde de demain, entre écologie et réduction des inégalités. Mais la réussite n’est pas toujours une garantie pour ces utopies d’urbanisation. En voici cinq.

La cité-dortoir à loyer modéré d’Elon Musk

Le Wall Street Journal l’a révélé début mars après avoir consulté des actes fonciers et notariés. Elon Musk, l’un des hommes les plus riches de la planète (190 milliards de dollars), s’est engagé depuis 2020 dans l’un de ces projets fous dont il est coutumier: “Snailbrook”. Ce nom de code dérivé de snail (escargot) fait référence à la mascotte de The Boring Co, sa start-up de construction de tunnels. Lorsqu’il l’a lancée en 2016 à Los Angeles, le fantasque patron avait mis ses employés au défi de construire des machines de forage se déplaçant “plus vite qu’un escargot”.

Vue aérienne de la communauté Snailbrook d'Elon Musk
Vue aérienne de la communauté Snailbrook d’Elon Musk en cours de construction le 13 mars 2023 dans le comté de Bastrop, au Texas. © Getty Images

Snailbrook désigne la ville nouvelle qu’il est en train de construire sur les milliers d’hectares de terres agricoles acquis, depuis trois ans, dans le comté de Bastrop, à une cinquantaine de kilomètres d’Austin. Selon le quotidien économique, il possède déjà 1.400 hectares de terrain, soit “quatre Central Park”. La ville-dortoir n’abritera pas seulement les entrepôts et les sites de fabrication de The Boring Co et de Space X mais également les résidences à loyer modéré des employés – environ 800 dollars par mois pour des unités d’une ou deux chambres. Une piscine, un terrain de sport et un gymnase sont déjà sortis de terre. Revers de la médaille: en cas de licenciement ou de démission, les locataires auraient 30 jours pour plier bagage.

Le Vegas revitalisé de Tony Hsieh

Tony Hsieh est sans doute celui qui a poussé le plus loin son utopie urbaine. Bien qu’originaire de l’Illinois, le PDG de Zappos, le site de vente en ligne de chaussures revendu à Amazon, a porté son dévolu sur Las Vegas, où il a déplacé le siège du site et fondé le VegasTechFund, un fonds spécialisé dans les projets web qui visait à transformer la capitale du jeu en une nouvelle Silicon Valley.

Doté de 350 millions de dollars, son “Downtown Project”, mené par la société DTP, a acquis plus de 100 propriétés dans le centre historique depuis janvier 2012, à quelques kilomètres au nord du célèbre Strip. On y a construit des espaces modernes comme le Container Park, un village fait de containers industriels colorés bordés par un parc pour enfants, transformé l’ancien motel Fergusons désaffecté en une communauté branchée d’artistes, de créateurs et de restaurateurs et lancé le festival de musique Life is Beautiful pour réinsuffler de la vie dans le quartier à l’abandon.

La mort brutale du businessman de 46 ans en novembre 2020 a stoppé net d’autres développements. Fin 2022, sa succession a annoncé la mise en vente des propriétés. Elles ont toutes les chances de trouver preneur au moment où Vegas est un aimant pour les télétravailleurs américains grâce à son cocktail de soleil permanent, de faibles taxes et de loyers relativement modérés.

La ville intelligente de Bill Gates

Malgré la pénurie chronique d’eau, c’est dans le semi-désert de l’Arizona que Bill Gates mène son projet de “ville intelligente” dans lequel il a investi 80 millions de dollars depuis 2017 via Cascade Investment LLC, le holding qui gère sa richesse.

Le cofondateur de Microsoft, quatrième fortune mondiale (plus de 100 milliards de dollars) a entrepris de racheter à la municipalité de Phoenix les parcelles adjacentes au millier d’hectares qu’il avait à l’origine acquis à Buckeye, dans la grande banlieue ouest. Développée par la société Mt Lemmon Holdings, Belmont, sa ville futuriste et ultra-connectée, s’étalera à terme sur 10.000 hectares qui regrouperont 80.000 unités résidentielles capables de loger 200.000 personnes, 1.500 hectares de zones industrielles et de bureaux, 550 hectares de parcs publics, 200 hectares d’écoles et de services publics, etc. Le tout équipé en 5G, desservi par des véhicules autonomes, géré grâce à une plateforme numérique et équipé de data centers. Bill Gates ne semble pas craindre les pannes de courant… 5.600 premiers permis de construire ont été délivrés en 2019 et 2020, mais les travaux n’ont pas encore débuté.

La cité égalitaire de Marc Lore

Marc Lore a choisi “Telosa” (“accomplissement”, en grec) comme nom de sa “cité parfaite”, inspirée par le manifeste Progrès et Pauvreté publié en 1879 par l’économiste américain Henry George dans l’espoir de remédier aux inégalités engendrées par la révolution industrielle.

Marc Lore fut le fondateur des sites de puériculture Diapers.com et d’e-commerce Jet.com racheté par Walmart mais aussi le président des activités de commerce électronique du géant de la distribution. En septembre 2021, il a annoncé son intention de bâtir en plein désert, “quelque part dans l’Ouest américain”, une ville de 5 millions d’habitants gérée par une fondation à but non lucratif. Son plan qu’il détaillait il y a un an aux Echos Week-End: “Trouver une zone inexploitée sans grande valeur, la développer et répartir ensuite la valeur générée sous forme de services sociaux. Le terrain coûtera entre 600 millions et 1 milliard de dollars, qui seront financés par un don.”

Si Telosa devient attractive, les parcelles prendront de la valeur et pourront être revendues pour alimenter une sorte de fonds souverain, dont les dividendes financeront l’éducation, la santé ou le logement, sans impôts sur les revenus ou la fortune. La construction doit prendre 30 ans. En attendant 2050, on pourra suivre ses progrès sur le site dédié www.cityoftelosa.com où ne s’affichent à ce jour que des images virtuelles du projet.

Le rêve polynésien déçu de Peter Thiel

Une cité flottante paradisiaque libérée de toute bureaucratie et des bisbilles politiciennes stériles, allégée de pas mal de taxes et impôts: voilà l’utopie que cherchait à matérialiser sur une île artificielle au milieu du Pacifique Peter Thiel, milliardaire libertarien (4,3 milliards de dollars de fortune). Le cofondateur de PayPal, associé à Pati Friedman, l’ancien ingénieur de Google et petit-fils de l’économiste ultralibéral Milton Friedman, a fondé en 2008 dans ce but le Seasteading Institute dans lequel il a investi 1,7 million de dollars.

Son “nouveau monde de demain” devait mieux guérir les malades en supprimant la paperasserie dans le système de santé, accueillir des centaines de millions de pauvres et d’opprimés sans domicile, nourrir les affamés de la terre avec des algues et des poissons sauvages sourcés localement, privilégier l’énergie solaire et, last but not least, rendre le pouvoir aux citoyens.

Les constructions aux toits végétalisés auraient été écologiques: bois local, fibre de bambou, noix de coco, métal et plastique recyclés. Le premier lot, dont le coût était estimé à 60 millions de dollars, était programmé en 2020. Le gouvernement de Polynésie française, intéressé par l’expérience alors que l’archipel est menacé par la montée des eaux, avait accordé à Thiel une concession initiale de 40 hectares, mais le projet a ensuite capoté en raison de dissensions politiques. La convention bilatérale n’a pas été renouvelée en 2017.

Isabelle Lesniak, “Les Echos” du 14 avril 2023

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