Un plan à 1,7 milliard pour transformer le quartier européen

Parmi les 21 immeubles qui seront acquis par Cityforward, le Loi 130 et ses 37.000 m2 sera le plus gros morceau à rénover. © pg

Un milliard pour acheter 21 immeubles de bureau, 750 millions pour les rénover: le Fédéral veut jouer un coup de billard à trois bandes avec la Commission européenne et des promoteurs immobiliers pour transformer le quartier européen. Des ambitions fortes sur papier. Mais des incertitudes tout aussi nombreuses.

Le dossier fait grand bruit depuis quelques mois dans le petit monde immobilier bruxellois. Rumeurs, spéculations et contre-vérités se mêlent à l’incompréhension. La SFPI, le bras financier du Fédéral, et l’assureur Ethias ont décidé de mettre la main sur 21 immeubles bruxellois appartenant à la Commission européenne. Et ce via leur fonds d’investissement Cityforward. Le deal tournera autour de 950 millions et devrait être signé à l’automne.

L’idée est de rénover et transformer ces bâtiments pour près de 750 millions avant de les remettre en vente auprès d’investisseurs à la recherche de produits financiers premium, tant sur le plan énergétique que des méthodes de travail. La valeur de revente espérée à l’horizon 2030 avoisine les 2,4 milliards.

C’est bien évidement la Commission européenne qui a donné le coup d’envoi de toute l’opération. Elle dispose aujourd’hui de 890.000 m2 à Bruxelles, un parc immobilier de bureaux particulièrement obsolètes (seuls 45.000 m2 sont de grade A) qu’elle doit remettre dans les clous du Green Deal européen d’ici 2030. Une sacrée affaire.

Matthieu de Posch
Matthieu de Posch © pg

Pour y parvenir, sa stratégie est connue: réduire de moitié son nombre de bâtiments (de 50 à 25, soit se séparer de 200.000 m2) éparpillés dans toute la capitale, recentrer ses activités dans le quartier européen (même si une présence dans le quartier nord est tolérée) et sous-traiter la rénovation du solde. Pour accélérer la manœuvre, elle a enclenché la deuxième phase de son plan en décidant de vendre 300.000 m2 à Cityforward.

“Il ne s’agit toutefois pas d’un sale and leaseback à long terme, précise Matthieu de Posch, investment manager à la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI). Il s’agit d’une vente de la Commission à la SFPI, qui va ensuite octroyer des baux de 99 ans aux sociétés détenues par Cityforward pour retravailler les immeubles. Contrairement à ce que certains pourraient penser, la Commission n’aura donc pas de priorité pour relouer ces immeubles une fois remis au goût du jour (reste qu’aucun autre acteur que la Commission ne pourrait, par exemple, prendre en location un immeuble de 100.000 m2…).

435 millions à trouver auprès d’investisseurs

Ce vaste plan semble de prime abord avoir de multiples avantages, d’autant qu’il permet à de nombreux acteurs d’en tirer les ficelles. Pour le Fédéral, il contribue à assurer la présence des institutions européennes à Bruxelles. Pour la Région bruxelloise, il permet de mixer les fonctions dans le quartier européen (sur les 300.000 m2, 25% seront dédiés à du logement et des commerces) et d’avoir la main tant sur le plan technique (pas de démolitions mais des rénovations) qu’urbanistique.

Pour Urban.brussels, le bouwmeester et le bureau d’architecture Plusoffice, c’est une manière d’être associé dans une démarche visant à redessiner le quartier. De quoi, sur papier, aligner les acteurs vers une cause commune. “Il s’agit d’un projet d’envergure, positif pour Bruxelles et pour l’avenir des institutions européennes dans notre pays, se réjouit Isabelle Vanderkelen, à la tête du département immobilier chez Ethias. Nous avons proposé notre aide à la Commission pour leur fournir une solution clé sur porte pour répondre à leurs exigences environnementales en matière d’immeubles de bureau tout en leur permettant d’avoir des surfaces qui correspondent à leurs besoins. C’est une formule win-win.”

“Nous recevons d’importantes marques d’intérêt de la part d’investisseurs.”

Voilà pour la théorie. En pratique, l’opération s’annonce particulièrement complexe à mettre en œuvre. De un, le timing est particulièrement serré. Cityforward espère déposer les premières demandes de permis fin 2024. Elles s’étaleront jusqu’en 2027. Un délai ambitieux quand on connaît les difficultés pour obtenir un permis purgé de tout recours à Bruxelles. Avec des premières livraisons en 2028.

Le financement s’avère également délicat. Ethias et la SFPI ont pour le moment déposé 150 millions dans la corbeille ; 435 millions doivent être trouvés auprès d’investisseurs extérieurs pour boucler l’acquisition des immeubles, de même que 500 millions auprès des banques.

“Nous recevons d’importantes marques d’intérêt de la part d’investisseurs, rassure Frédéric Van der Planken, CEO de Whitewood, société immobilière qui agit comme gestionnaire de Cityforward. De plus, la taille du deal ouvre le marché à des investisseurs étrangers. Je suis assez optimiste sur la possibilité de boucler cela d’ici la fin de l’année. Il n’y a pas eu beaucoup d’importantes transactions ces derniers mois mais il y a néanmoins beaucoup de liquidités disponibles.” La rentabilité promise est de 12,5% net. Selon nos informations, 75% des 435 millions sont déjà couverts.

“Nous allons permettre à différents promoteurs de rentrer dans l’actionnariat des projets.”

Une fois l’acquisition bouclée, il va falloir passer à la seconde phase et rassembler de nouveaux capitaux pour rénover tous ces immeubles. Cityforward entend faire appel à ce moment-là à d’autres développeurs immobiliers. Reste à voir comment ces derniers vont réagir. Les premières réactions étaient plutôt négatives, liées notamment à la frustration de voir leur échapper autant d’immeubles rentables à reconvertir.

En pratique, les 21 immeubles seront divisés en 12 entités juridiques (déterminées sur base de critères géographiques). Les promoteurs intéressés pouvant monter dans une joint-venture à hauteur de maximum 50%, Cityforward gardant le solde. “Nous allons donc permettre à différents promoteurs de rentrer dans l’actionnariat des projets, précise Frédéric Van der Planken qui n’écarte pas que Whitewood monte également dans le train comme développeur. Il s’agit d’une volonté d’ouverture vers le marché immobilier. Nous recevons régulièrement des appels de promoteurs qui nous disent qu’ils veulent absolument participer.” Un appel au marché, qui ne sera pas un marché public, sera lancé pour la reconversion des différents immeubles.

Enfin, une autre volonté, qui végète dans le tombeau des ambitions de la Région depuis plus de 10 ans, est de transformer le quartier européen, aujourd’hui complétement monofonctionnel, en y ajoutant du résidentiel. “Et pas destiné aux eurocrates”, précise Isabelle Vanderkelen.

300.000 m2 + 300.000 m2?

L’idée actuellement sur la table est de changer l’affectation de trois des 21 immeubles de bureaux en logements (24 et 28 rue Demot et 6-14 avenue de Palmerston sont privilégiés par Cityforward). On y retrouvera à terme 650 appartements qui devront être “abordables” financièrement. Logements et bureaux ne seront pas situés dans le même bâtiment, Cityforward ne souhaitant pas de mixité sur ce plan.

“Le nombre d’habitants va donc doubler d’un coup, ajoute Frédéric Van der Planken. Sans Cityfoward, on ne serait jamais parvenu à redévelopper ces immeubles en résidentiel. Car dans le quartier européen, un tel immeuble vaudra beaucoup moins d’argent qu’un immeuble de bureaux. Vendre chaque immeuble à un promoteur différent n’aurait donc pas permis cette mixité.” Commerces de proximité et crèches complèteront la diversification du quartier.

La suite? Quand on regarde le parc immobilier de la Commission européenne, si on voit désormais bien plus clair dans les immeubles où elle est locataire, on observe également qu’elle est encore propriétaire de 300.000 m2 de bureaux qui sont complètement à reconvertir (PEB B à E). Il est probable qu’à moyen terme, ces immeubles tombent également dans l’escarcelle de Cityforward.

“Ancrer l’Europe à Bruxelles, c’est le plus important”

Rikkert Leeman est le CEO du promoteur immobilier Alides. Il est aussi le nouveau président de l’aile bruxelloise de l’UPSI, l’Union professionnelle du secteur immobilier.

TRENDS-TENDANCES. Quelle est votre réaction par rapport à la création de ce fonds ?

RIKKERT LEEMAN. Elle est plutôt positive car elle permet d’ancrer et de sécuriser les institutions européennes à Bruxelles, de même que tout l’écosystème qui tourne autour. C’est primordial. L’Europe est le principal poumon économique de Bruxelles. Il ne faut pas la négliger. Pour le reste, les besoins de la Commission européenne en matière de bureaux durables sont gigantesques. Seule une opération d’envergure pouvait permettre cette reconversion. Quant à savoir si d’autres promoteurs immobiliers soutiendront le projet en s’associant à ces rénovations, c’est encore prématuré de l’affirmer. Toutes les modalités économiques ne sont pas encore connues.

Une partie du parc immobilier sera reconvertie en résidentiel pour assurer une mixité fonctionnelle. Vous y croyez?

– Je suis très sceptique sur la faisabilité économique de ce volet. Dans le quartier européen, il n’est pas rentable de créer du logement à la place d’un immeuble de bureaux. La valeur de ce dernier est bien trop haute. Je suis favorable à la création de quartiers mixtes comprenant du logement abordable, mais pas en donnant de telles impositions. Il faudrait, par exemple, plutôt travailler sur un droit échangeable, soit le fait de lier l’obtention d’un permis de bureau avec l’obligation de construire du résidentiel. Mais dans n’importe quel quartier bruxellois! Ou, autre piste, donner des incitants à un promoteur qui veut se lancer dans du résidentiel. Comme davantage de surfaces à développer.

Quel impact aura cette démarche sur l’immobilier de bureau à Bruxelles?

– Bruxelles est un marché de 13 millions de mètres carrés. Il faut donc relativiser l’impact qu’auront les 300.000 m2 de Cityforward. Cette initiative ne va pas déséquilibrer le marché. D’autres promoteurs pourront continuer à y développer des projets, tout en visant la Commission comme locataire.

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