“Tant que l’immobilier sera rentable, il restera un secteur prisé”

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Les expertes Siham Rahmuni et Sophie Lambrighs s’accordent à dire que le marché du logement belge a encore de belles années devant lui. Elles aperçoivent également des perceptives de croissance pour le marché locatif.

“Investissez dans des biens avec lesquels vous avez une affinité”, conseille Siham Rahmuni. “Ainsi, vous resterez motivé à suivre votre placement et à le conserver.” Sophie Lambrighs acquiesce. “Votre investissement doit vous satisfaire”, explique-t-elle. “Si vous n’avez pas envie d’assister à des réunions de co-propriétaires, n’achetez pas d’appartement. Et si une potentielle chute du cours du marché vous tient éveillé la nuit, investir dans la pierre papier n’est pas une bonne idée.” C’est la première fois que ces deux figures féminines de l’immobilier se rencontrent. Pendant notre entretien, Siham Rahmuni et Sophie Lambrighs sont souvent sur la même longueur d’onde. Elles se complètent parfois, et se contredisent rarement.

Sophie Lambrighs

· Ingénieur civil

· Commence sa carrière chez Ergon, le fabricant de béton préfabriqué

· 2003-2014 : occupe différentes fonctions au sein du département immobilier d’AXA Belgium

· 2014 : intègre la SIR Home Invest Belgium, spécialisée dans l’immobilier résidentiel

· 2019 : COO du promoteur immobilier bruxellois Eaglestone

Siham Rahmuni

· Comptable-fiscaliste et juriste

· 2010 : finance manager pour le groupe immobilier anversois Quares

· 2019 : CEO de Quares

La plupart des économistes prévoient une légère diminution du prix de l’immobilier en 2021.

SIHAM RAHMUNI. “Nous nous attendons à une stabilisation des prix. Les professionnels de l’immobilier ne regardent pas l’évolution des prix de la même façon que les économistes. Pour leurs prédictions, ceux-ci se concentrent sur les variables économiques, comme les revenus et les taux d’intérêt, qu’ils intègrent ensuite à des modèles. La crise sanitaire aura sans aucun doute des conséquences économiques, qui se feront également sentir sur le marché du logement. Mais dans notre analyse, nous tenons également compte de nos observations et ressentis. Nous constatons par exemple que les clients recherchent de l’espace, qu’ils veulent investir dans leur habitation. La pandémie de coronavirus a entraîné une véritable prise de conscience. Les prix vont donc augmenter. De plus, les faibles taux d’intérêt et le climat boursier encore incertain font que l’immobilier reste un secteur intéressant pour les investisseurs.”

SOPHIE LAMBRIGHS. “Selon moi, à court terme, c’est-à-dire pendant 2 ou 3 ans, les prix continueront à grimper, en parallèle avec l’inflation. Et cette inflation ne prendra probablement pas des proportions démesurées. Certaines raisons fondamentales font également que la demande ne bougera pas en matière d’immobilier. N’oublions pas qu’un logement est un bien essentiel et vital. Ces derniers temps, nous entendons beaucoup parler de services et de biens essentiels ou non. Eh bien, je pense que nous sommes tous d’accord sur le fait que les logements font partie de la première catégorie. Des phénomènes démographiques entrent également en jeu. La population ne cesse de croître, la taille des familles diminue. Le nombre de ménages continue donc d’augmenter. Je ne connais que peu, voire pas, de villes où il est facile d’obtenir un permis. Les marchés sont surchargés et les logements vacants se font rares.”

L’immobilier résidentiel belge n’a pas été touché outre mesure par la crise financière de 2008 et semble maintenant sortir indemne de la crise sanitaire. Les nombreux Belges qui pensent que le prix de l’immobilier ne peut pas baisser ont-ils raison ?

SIHAM RAHMUNI. “Comme Sophie le disait : avoir un logement est un besoin essentiel, ce qui rend le marché du logement très solide. S’ajoute à cela le fait que tout le monde recherche le rendement. Tant que l’immobilier sera rentable, il restera prisé. Sinon, les investisseurs chercheront une alternative, ce qui aura sans aucun doute un impact sur la valeur des biens. Il suffit de regarder l’évolution du marché de l’immobilier commercial.”

SOPHIE LAMBRIGHS. “Le passé n’est pas une garantie pour l’avenir. Par rapport à celui des pays voisins, le marché de l’immobilier résidentiel belge est longtemps resté sous-évalué. Je ne veux pas dire qu’il faut mettre Bruxelles sur le même pied que Paris, mais nous pourrions la comparer à des villes comme Lille, Lyon ou Amsterdam, par exemple. C’est un exercice intéressant qui permet de voir que les prix sont longtemps restés très bas ici. Aujourd’hui, nous avons en grande partie rattrapé notre retard.”

“La chute des taux d’intérêt justifie également partiellement l’augmentation du prix de l’immobilier en Belgique. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les taux n’augmenteront pas rapidement. Mais en réalité, ils ne baisseront plus longtemps non plus. Nous avons atteint la limite. Ce facteur disparaît donc. Si une crise venait à toucher le marché du logement, nous ne pourrons plus essayer de l’absorber en jouant sur les taux d’intérêt.”

Selon vous, d’autres segments du marché immobilier offrent-ils des alternatives intéressantes à l’investissement classique dans un appartement ?

SIHAM RAHMUNI. “L’immobilier logistique est le grand gagnant de la crise sanitaire, mais ce secteur avait déjà le vent en poupe depuis quelque temps. Les investisseurs ont accès à ce marché via des SIR (sociétés immobilières réglementées, NDLR) comme WDP et Montea et des fonds immobiliers spécialisés. Il s’agit alors d’investissements indirects dans des biens immobiliers. Les primes par rapport à la valeur intrinsèque à laquelle ces SIR cotent montrent que la confiance est au beau fixe dans ce secteur.”

“Nous constatons également que l’immobilier étudiant n’est pas cyclique. Malgré la crise sanitaire et les confinements, nous n’avons pas remarqué de baisse de l’occupation dans nos logements pour étudiants. L’accessibilité de l’enseignement supérieur joue un rôle majeur. En temps de crise, de nombreux étudiants choisissent de prolonger leurs études d’un an, afin d’augmenter leurs chances sur un marché du travail si capricieux.”

SOPHIE LAMBRIGHS. “Pour moi, les maisons mitoyennes sont une alternative intéressante. Surtout pour les investisseurs particuliers qui ne sont pas attirés par la co-propriété. Je pense que cela peut devenir une catégorie intéressante sur le marché locatif. Avec la crise sanitaire, les maisons mitoyennes avec un petit jardin ou une petite cour ont gagné en popularité. Un appartement est l’option parfaite pour les couples ou les célibataires, mais pour une famille avec de jeunes enfants, ce n’est pas un logement optimal.”

Notre pays est à nouveau jugé pour sa gestion inégale des revenus locatifs belges ou étrangers. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem précise que les biens immobiliers belges ne seront pas affectés. Cependant, l’appel se fait de plus en plus fort pour que l’immobilier belge soit également taxé sur la base des revenus locatifs réels.

SIHAM RAHMUNI. “Je suis curieuse de voir la suite. Nous devons absolument mettre un terme à cette inégalité, mais je me demande si cela sera réalisable sans pousser les investisseurs plus âgés hors du marché. Nous devons trouver une solution sans créer de nouvelles discriminations.”

La crise sanitaire va-t-elle fragiliser le marché locatif ?

SIHAM RAHMUNI. “Un grand nombre d’entreprises, et donc indirectement une partie des revenus familiaux, ont été maintenues artificiellement à flot par des mesures de soutien. Si celles-ci disparaissent en 2021, il y aura inévitablement des faillites, et le taux de chômage augmentera. Cela peut également mener à des problèmes de solvabilité pour les locataires.”

SOPHIE LAMBRIGHS. La question est de savoir dans quelle mesure l’Europe et la Belgique seront prêtes à amortir cette crise, qui est dramatique pour des secteurs tels que le tourisme et la distribution. Aujourd’hui, les mesures de soutien aux entreprises et aux familles sont considérables, contrairement à celles des crises précédentes. Si nous pouvons maintenir ce cap, nous limiterons l’impact sur les revenus et donc sur le marché locatif.”

“Il existe deux sortes de locataires. Il y a les personnes qui louent parce qu’elles ne peuvent acheter. Mais il y a également les locataires dont la situation financière est favorable, et qui choisissent délibérément de louer pour des raisons de flexibilité : les étudiants, les jeunes diplômés et les expats. Ce groupe ne rencontre pas de problèmes. Celui des locataires dont la situation financière est plus fragile accueille généralement ces mesures de soutien avec soulagement. Chez Home Invest Belgium, j’ai constaté que payer le loyer est vraiment une priorité.”

SIHAM RAHMUNI. “Nous remarquons également que, malgré les taux d’intérêt faibles, les jeunes ont moins tendance à vouloir acheter. De plus en plus de personnes optent volontairement pour la location. Il existe aussi un profil de personnes qui ne peuvent pas acheter, mais qui ont en fait un revenu respectable, comme les célibataires et les familles monoparentales. Dans leur cas, la réglementation très stricte de la Banque Nationale concernant l’octroi de prêts hypothécaires complique encore plus l’achat d’un bien,”

Les investisseurs institutionnels s’intéressent également de plus en plus à l’immobilier résidentiel belge. Vont-ils supplanter les investisseurs particuliers sur le marché ?

SIHAM RAHMUNI. “Cela sera en effet le cas pour certains projets. D’une part, vendre à un investisseur institutionnel offre l’avantage de la sécurité aux promoteurs. Ainsi, ils peuvent se lancer plus rapidement dans un autre projet. D’autre part, cela aura aussi des conséquences négatives sur leurs marges. Ils vont donc essayer de trouver un équilibre entre les projets qu’ils vendent séparément à des particuliers, et les projets qu’ils vendent groupés à un investisseur institutionnel.”

SOPHIE LAMBRIGHS. “Les investisseurs institutionnels se concentrent uniquement sur un type de biens : les bâtiments neufs d’assez grande taille. Le marché secondaire reste donc accessible aux investisseurs particuliers. Il en va de même pour le projet de moindre envergure. Les investisseurs institutionnels attachent également de l’importance à la situation d’un bien. Dans notre pays, seulement quelques villes entrent dans leur radar : Bruxelles, Anvers et éventuellement Gand ou Liège.”

Les investisseurs particuliers prêtent-ils plus attention à la durabilité et au climat ?

SIHAM RAHMUNI. “Absolument, ne serait-ce que parce que les normes sont de plus en plus contraignantes. Mais je m’attends également à ce que les banques imposent des exigences en matière de durabilité lors de l’octroi d’un prêt hypothécaire. Elles devront avoir la garantie que le bâtiment est future proof. Cela s’inscrit également dans le cadre du profilage durable des institutions financières. En matière de durabilité, nous ne pouvons plus faire marche arrière.”

SOPHIE LAMBRIGHS. “La position de l’Europe à ce sujet est très claire. Je suis également convaincue qu’à court terme, il sera interdit de louer ou de vendre des biens ayant un mauvais score énergétique. Au Royaume-Uni, c’est déjà le cas.”

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