Pression accrue sur les rendements immobiliers: cinq questions à se poser

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Le covid n’a pas freiné l’appétit des investisseurs immobiliers. Il a néanmoins modifié quelque peu leur comportement. Et cela dans un contexte où les dernières importantes hausses des prix couplées à une stabilisation des loyers mettent les rendements sous pression. Cinq grandes questions sont aujourd’hui sur la table. Tour d’horizon.

L’investissement immobilier est devenu un sport national pour tous les Belges qui disposent d’un peu d’argent sur leur compte d’épargne. La situation n’est pas neuve. Mais elle reste dans des standards élevés depuis quelques années et s’est même encore renforcée ces derniers mois. Les menaces d’intérêts négatifs sur des comptes d’épargne qui débordent (270 milliards), les segments du bureau et du retail qui digèrent difficilement les conséquences du covid et le surplus de liquidités sur les marchés boursiers ont entraîné un nouvel afflux d’investisseurs sur le marché résidentiel. “Et ce alors qu’il n’en manquait pas vraiment”, sourit Adrian Devos, cofondateur de Buyerside, société de conseil en investissement immobilier. Résultat: sur certains segments, il y a bien plus d’acquéreurs que d’offres. Un constat que l’on retrouve tant sur le segment de l’appartement neuf que de l’immeuble de rapport ou des kots. Autant d’investissements plébiscités ces dernières années.

2,7%

Rendement net moyen d’un appartement neuf de deux chambres, contre 3% il y a trois ans.

Cette raréfaction de l’offre a également comme conséquence de faire grimper les prix. Et donc, par corollaire, de diminuer le rendement. “Investir dans l’immobilier est aujourd’hui un peu moins intéressant qu’il y a quelques mois, reconnaît Philippe Mestach, responsable de l’immobilier neuf au sein de l’agence Latour & Petit. La hausse des prix n’a pas été accompagnée d’une aussi importante hausse des prix des locations. Cette réalité ne freine toutefois pas les investisseurs. La majorité des profils, des primo- investisseurs, recherche la sécurité plutôt qu’un rendement élevé.” Et Pascal Lasserre, président de l’Association professionnelle des courtiers de crédits (APCC) et administrateur délégué d’Excel&Co, de compléter: “Les taux d’intérêt qui restent extrêmement bas – autour de 1% sur 20 ans dans certains cas – sont un facteur suffisant pour maintenir l’attractivité du marché immobilier. D’autant qu’il ne faut pas s’inquiéter: la légère remontée des taux apparue ces derniers mois n’a qu’un impact limité sur les crédits hypothécaires. Et la situation ne devrait pas évoluer avant de nombreux mois. L’endettement des pays est très élevé, personne n’a donc intérêt à assister à une remontée des taux.” Cinq grandes questions sont toutefois aujourd’hui sur la table. Tour d’horizon.

En 10 ans, le nombre de propriétaires est passé d’environ 65% à 45% à Bruxelles. Et il va encore diminuer à l’avenir.

Olivier Peters (Trevi)

1. Quel impact le covid a-t-il eu sur l’investissement résidentiel?

Avant le covid, les biens neufs d’entrée de gamme étaient plébiscités par les investisseurs. Soit le studio et l’appartement d’une chambre. Une manière de répondre à une tendance sociétale liée à la diminution de la taille des ménages et surtout d’obtenir le rendement le plus élevé du marché via de petites unités. Ce type de bien reste attractif pour mettre un premier pied dans le marché mais il n’est plus nécessairement encouragé. “La demande a clairement évolué ces derniers mois, estime Frédéric Vandenhende, CEO de la plateforme d’investisseurs Investr. De nouvelles tendances sont apparues. Le besoin d’espace et d’espaces verts modifie quelque peu les besoins des locataires. Il faut que les investisseurs en tiennent compte.” Et Philippe Mestach d’ajouter: “Sur le marché du neuf, on observe surtout une augmentation d’acquéreurs-occupants par rapport aux investisseurs. Il y a un an, la proportion était de presque 100% d’investisseurs pour les studios, de 50/50 pour les appartements une chambre, de 70% d’investisseurs pour les deux chambres et de 70% d’occupants pour les trois chambres. Or, on observe aujourd’hui que les rez avec jardin sont très recherchés, tout comme les appartements avec terrasse, et que la répartition des deux chambres est désormais de 50/50 entre investisseurs et occupants. Les deux chambres, avec parfois deux salles de bain, sont davantage recherchés que les une chambre. Notamment pour avoir un espace de bureau.” Un constat partagé par Olivier Peters, responsable de l’immobilier neuf chez Trevi: “La demande locative a clairement évolué. Les gens veulent des grandes terrasses, être à proximité d’espaces verts et disposer d’une pièce supplémentaire. Nous leur conseillons de s’orienter davantage vers un appartement de 100 m2 de trois chambres plutôt qu’un 100 m2 avec deux chambres. C’est clairement lié au télétravail.” Quoi qu’il arrive, le bien doit être le plus standard possible, histoire de ne pas avoir de difficultés à trouver de nouveaux locataires.

En Flandre, il n’est plus possible de louer un appartement dans un immeuble dont le toit n’est pas isolé. C’est un élément à prendre en compte lors de l’achat.

Philippe Mestach (Latour & Petit)

Enfin, un type de bien a refait son apparition dans le petit carnet des investisseurs: la maison avec jardin. Elle séduit les locataires qui ont besoin d’espace. Résultat, tant en Flandre qu’en Wallonie, la demande est importante, que ce soit pour le neuf ou l’ancien.

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2. Les loyers arriveront-ils à suivre la hausse de prix des habitations?

Les récentes hausses de prix ont bien évidemment eu un impact sur le rendement des biens. Le rendement habituel net d’un appartement neuf de deux chambres était de 3% il y a trois ans. Il a baissé à 2,7% aujourd’hui. Même situation pour les immeubles de rapport où le rendement, qui était encore de 3,75% à 4,75% brut il y a quelques mois pour un immeuble ancien, a baissé de près de 1% aujourd’hui. “Mais si le rendement a légèrement baissé, la plus-value immobilière lors de la vente a connu une hausse importante vu la flambée des prix, fait remarquer Frédéric Vandenhende. Il faut analyser un rendement sous ces deux aspects. Ils sont indissociables.”

Dans le même ordre d’idées, le studio reste le bien le plus rentable par excellence. Une étude interne de Latour & Petit montre toutefois qu’en 15 ans (durée habituelle d’un amortissement), le rendement d’un studio et d’un appartement trois chambres a été pratiquement similaire, autour de 3% net. “Cela s’explique notamment par la stabilité des locataires pour les appartements plus spacieux par rapport à la rotation et les éventuels vides locatifs d’un studio, précise Philippe Mestach. Le deux chambres reste l’appartement standard, celui où les risques sont les moins élevés. Mais attention: il est parfois plus intéressant de se positionner plus clairement sur le marché.”

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3. Quelle est l’impact de la baisse de l’offre?

L’offre d’appartements neufs mis en vente actuellement à Bruxelles a sérieusement dégringolé pour atteindre des niveaux rarement atteints. Cette pénurie de projets est liée à d’importants retards dans l’octroi des permis. Une situation que l’on retrouve dans d’autres grandes villes belges. Elle tend à augmenter le prix du neuf et à accentuer la concurrence sur le marché existant. De quoi également faire augmenter les prix sur ce segment. Les perspectives devraient être plus positives d’ici l’automne. “D’une manière générale, il ne faut pas non plus oublier que les contraintes liées aux performances énergétiques vont aussi contribuer à une hausse des prix et rendre le marché encore moins accessible, ajoute Philippe Mestach. En Flandre, par exemple, il n’est plus possible de louer un appartement dans un immeuble dont le toit n’est pas isolé. Ces éléments sont à prendre en compte, notamment quand on doit choisir entre un appartement neuf et un existant.”

Ceux qui possèdent un immeuble de rapport ne veulent pas facilement s’en défaire.

Adrian Devos (Buyerside)

4. La demande locative sera-t-elle suffisante?

“Dans les communes du sud de Bruxelles, il y a eu un ralentissement sur le marché de la location ces derniers mois, note Philippe Mestach. L’absence des eurocrates a eu un impact important, tout comme l’absence du personnel des ambassades. De décembre à février, il n’y avait que 30% de la demande habituelle. Heureusement, cela commence à reprendre. Tout profit pour les investisseurs.”

Un constat que tempère quelque peu Olivier Peters, qui estime que la hausse du nombre de locataires est un phénomène qui va prendre encore davantage d’ampleur à l’avenir. Et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter: “En 10 ans, le nombre de propriétaires est passé d’environ 65% à 45% à Bruxelles. Et il va encore diminuer à l’avenir à cause du coût du logement et de la volonté des jeunes de ne plus s’endetter sur 20 ans comme leurs parents. Sans oublier les ménages monoparentaux qui ne font qu’augmenter. Je n’ai donc pas d’inquiétude sur la capacité du marché à absorber cette hausse du nombre d’investisseurs.”

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5. Coup de mou ou coup d’arrêt pour l’immeuble de rapport?

Plébiscité jusqu’il y a peu, l’immeuble de rapport tire quelque peu la langue. Il faut dire que si les investisseurs font toujours la file, il devient de plus en plus difficile de mettre la main sur un tel bien. “Le contexte actuel est aujourd’hui plus compliqué, lance Adrian Devos. L’immeuble de rapport a été en quelque sorte victime de son succès. Ceux qui en possèdent ne veulent pas facilement s’en défaire, et ceux qui le souhaitent vont privilégier la vente des différents appartements à la découpe pour en obtenir ainsi le meilleur prix. Grâce à nos contacts, nous arrivons encore à dénicher des immeubles, mais il faut être très actif. Les acquéreurs sont aussi plus sélectifs: ils ne souhaitent plus de rez commercial. Or, certaines communes n’octroient plus de permis pour l’horeca, disposer d’un tel sésame peut donc être un atout supplémentaire.” Le prix d’un immeuble de rapport de trois ou cinq appartements à Bruxelles oscille entre 800.000 euros et 2 millions d’euros. Il s’agit essentiellement de biens anciens. “Il y a en effet une pénurie pour trouver des bons produits, reconnaît James Goffin, cofondateur de Own, société de conseil en investissement immobilier. De plus en plus de vendeurs potentiels préfèrent garder leur bien en portefeuille. Mais ce marché n’est pas à l’arrêt pour autant: il reste des successions, des ventes, etc.”

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