Philippe Close: “Les recours freinent le développement de Bruxelles”
Si les projets immobiliers se multiplient dans le centre-ville, la transformation de Bruxelles est de plus en plus ralentie par les multiples recours déposés devant le Conseil d’Etat. Des visions de la ville qui se confrontent. Philippe Close appelle à une grande réforme en la matière, afin de ne pas faire fuir les investisseurs.
S’il jongle avec les attributions, l’urbanisme – et par corollaire l’immobilier – reste l’un des sujets de conversation préféré de Philippe Close. Comme l’illustre la négociation que vient de boucler le bourgmestre de Bruxelles dans le cadre de la reprise de l’hôtel Métropole.
TRENDS-TENDANCES. Quel regard portez-vous sur la dynamique immobilière autour du piétonnier? Les projets résidentiels semblent avoir du mal à avancer…
PHILIPPE CLOSE. Pourtant, les premiers acteurs qui ont cru dans le piétonnier, ce sont les développeurs immobiliers. Ils ont directement pris des positions sur certains immeubles, avec énormément d’investissements privés. Et j’estime que les choses avancent plutôt bien. La tour Multi (Whitewood et Immobel) est une belle transformation qui héberge la Bank of New York, Total et bpost. La demande de permis de Brouck’r (Immobel et BPI) a été interrompue mais une nouvelle a été introduite récemment. Le projet va donc se concrétiser avec du logement et de l’hôtellerie. L’ancien Centre Monnaie, baptisé OXY (Whitewood et Immobel), a reçu son permis ; les travaux débuteront en 2023 (logement, hôtel et bureau). Les services de la Ville et du CPAS déménagent le mois prochain dans Brucity, leur nouveau centre administratif situé au Parking 58. La Bourse, complètement rénovée, sera inaugurée à l’été 2023. Et si tout va bien, les travaux du projet The Dome (VDD Project Development et Vervoordt r.e), en face de la Bourse, débuteront en 2023, avec du bureau et des appartements et l’arrivée de la chaîne de produits alimentaires italiens Eataly. Bref, ce n’est pas rien. On parle quand même de près d’un milliard investi par de grands acteurs privés sur ce tronçon.
Les premiers acteurs qui ont cru dans le piétonnier, ce sont les développeurs immobiliers.
Quels bâtiments emblématiques reste-t-il à transformer?
Il n’y en a plus beaucoup. Il reste l’ancien hôtel Continental (place De Brouckère), qui est un immeuble iconique. C’est un vrai défi pour la Ville de trouver un acteur qui pourra y développer un projet commercial. La rénovation du boulevard Adolphe Max entraînera également une multiplication de nouveaux projets. On sent donc une vraie dynamique de rénovation qui s’installe dans tout le Pentagone. De même qu’une nouvelle population qui s’installe.
Avec l’idée de ramener des habitants financièrement aisés dans le centre-ville…
Le projet Chambon d’Immobel a été un élément déclencheur. Il a connu un vrai succès commercial. Le projet de Besix Red, Cosmopolitan, situé en face du Théâtre royal flamand, également. Sans parler de Canal Wharf, Urban Court, Canal District, Up-Site… Mon angoisse est plutôt de trouver un équilibre avec le développement de logement public. Car l’enjeu est surtout de parvenir à développer une ville qui présente une mixité urbaine et sociale. L’accessibilité au logement devient aujourd’hui très problématique, même pour des jeunes couples qui travaillent. Je n’ai aucun souci à ce que le monde immobilier gagne bien sa vie mais, en tant que bourgmestre, je dois veiller à assurer un certain équilibre.
Un équilibre qui doit se traduire par une augmentation des charges d’urbanisme pour le privé?
Non, pas spécialement. Mais une des causes de la hausse des prix dans le centre-ville, ce sont notamment les logements Airbnb. Ils font exploser les prix. Avec les règles prises en la matière par Rudi Vervoort, je pense que nous sommes sur le bon chemin. Tous les logements ne peuvent être transformés en Airbnb, comme on l’a vu à Barcelone ou Dublin. C’est néfaste pour la ville. Même chose avec le coliving. S’il s’agit juste d’une titrisation de l’immobilier, cela ne va pas. J’entends que des sociétés belges font de grandes levées de fonds, c’est très bien. Mais alors en suivant ensuite nos règles, pas les leurs.
On l’a vu récemment avec l’hôtel Métropole, Bruxelles attire de plus en plus de grands fonds d’investissement en immobilier. La perception est en train de changer…
En effet. Bruxelles joue de plus en plus en première division. Nous ne concurrencerons jamais Paris ou Londres en termes de revenus. Mais on sent que les investisseurs sont présents et qu’ils créent une vraie dynamique. Regardez par exemple le fonds texan Lone Star qui vient d’acheter l’hôtel Métropole et certains immeubles de la rue Neuve. Sans parler des fonds d’investissement allemands ou asiatiques. Cela démontre que Bruxelles est attractive. Les grandes sociétés immobilières belges ne sont pas en reste. En fait, notre principal problème pour accélérer le développement de la ville est d’accélérer le rythme d’obtention des permis.
Justement, comment procéder alors? Urban.brussels semble dire que tout va bien…
Quand vous discutez avec des promoteurs, on remarque que le problème n’est pas lié à la durée de délivrance des permis mais bien à l’incertitude économique créée par les recours déposés auprès du Conseil d’Etat.
Quelles pistes imaginez-vous alors mettre en place pour diminuer ces recours?
Je suis juriste, je défends l’Etat de droit mais la situation actuelle ressemble à de l’abus de pouvoir. Les décideurs politiques prennent leurs responsabilités mais voient leurs décisions systématiquement attaquées. Cela pose problème. Les millions d’euros qui sont dépensés en frais d’avocat sont un scandale. Je suis frustré de voir autant d’argent dépensé dans les recours. Et la co-construction des projets ne résoudra pas le problème, comme certains l’affirment. Il y aura toujours l’un ou l’autre opposant qui déposera un recours, même d’une manière arbitraire. Pour certains, déposer un recours est même devenu un sport national… Je suis favorable à l’idée d’une grande réforme en la matière et de s’inspirer des méthodes françaises, à savoir de sanctionner financièrement les recours abusifs. Il faut rééquilibrer le balancier. Ce sera au fédéral de trancher.
Bruxelles joue de plus en plus en première division. On sent que les investisseurs sont présents et qu’ils créent une vraie dynamique.
Avec des différences d’approches entre privé et public?
Pour les projets d’utilité publique, comme le logement social ou les écoles, il est nécessaire d’inventer d’autres procédures qui permettent d’aller plus vite. Ce n’est pas admissible de devoir suivre la même procédure que pour un immeuble de bureaux purement spéculatif.
La fronde des riverains ou d’associations contre les projets immobiliers est encore plus forte qu’auparavant. Cela signifie-t-il que déterminer une vision de ville commune est vouée à l’échec à Bruxelles?
Je ne pense pas. L’objectif à atteindre semble le même – soit une ville où il fait bon vivre -, c’est le chemin pour y parvenir qui oppose les points de vue. Un constat: nous avons de plus en plus d’habitants et attirons davantage d’entreprises qu’avant. Les chiffres de l’IBSA (Institut bruxellois de statistique et d’analyse) le démontrent. Cela signifie que notre projet de ville fonctionne et que nous sommes dans un trends favorable. Nous avons enregistré 55.000 habitants en plus en 20 ans par exemple. Avec des habitants qui ont davantage de revenus. Par contre, ce ne sont plus les mêmes habitants. Et il faut accepter que la ville évolue. Certains bâtiments seront démolis, d’autres rénovés. Qu’importe, du moment que cela améliore la qualité de vie.
Reconvertir le stock de bureaux vides ne permettra pas de résoudre la crise du logement. Construire du neuf est la seule solution pour diminuer la pression sur les prix et atteindre les objectifs de durabilité?
Evidemment. Il faut augmenter l’offre. Cela permettra clairement de diminuer les prix. Mais l’autre injustice bruxelloise est surtout l’injustice spatiale. Il faut dédensifier certains quartiers et en densifier d’autres. Réhabiliter les friches ne doit plus faire peur. Tivoli, Tour & Taxis et tous les projets immobiliers le long du canal sont de bons exemples. Tour & Taxis est la preuve que nous pouvons créer de l’intensité urbaine, accueillir de nouveaux habitants, créer un parc de 11 hectares et avoir une dynamique économique. Et tout cela alors que le tram n’est pas encore arrivé. Ce qui est possible pour des logements haut de gamme doit l’être également pour les logements sociaux. Et ce n’est pas incompatible avec la création d’espaces verts. La Région bruxelloise est plus verte qu’il y a 30 ans.
L’enjeu de la rénovation du bâti ancien est gigantesque. Quel levier actionner alors qu’un ménage sur deux n’a pas les moyens de procéder à la rénovation énergétique de son logement?
Il faut mettre en place un grand emprunt public pour isoler les bâtiments, rue par rue. Un projet de tiers investisseur fonctionnerait sans problème. Il est possible de lever des fonds sur ce volet car c’est bankable. Il faut en tout cas aller plus loin que le plan Renolution mis en place par la Région. La non-indexation des loyers pour des logements ayant un PEB au-delà de D est une très bonne chose. Cela va pousser les propriétaires de passoires énergétiques à investir. Et s’ils n’ont pas les moyens, il faut les aider via des prêts. Dans tous les cas, il est nécessaire de réfléchir à massifier la rénovation via les contrats de quartier.
Il faut dédensifier certains quartiers et en densifier d’autres. Réhabiliter les friches ne doit plus faire peur.
On sait que la clé pour ramener des habitants dans le centre-ville est l’aménagement d’une ville apaisée, durable et attractive. On en est loin quand on entend certains commentaires…
Gérer une ville est toujours compliqué. Depuis 20 ans, on me dit que les gens fuient le centre-ville. Or, comme je l’ai dit, il y a plus d’habitants et d’entreprises. C’est un de mes baromètres. L’autre baromètre, c’est le monde immobilier. Réagit-il à mes projets? Oui. Je le contrôle et le cadre, mais ils sont présents.
Quel regard portez-vous sur Good Move?
Je ne comprends pas comment les projets de mobilité excitent autant de monde. Ce n’est qu’un moyen, pas une fin. Nous écoutons bien évidemment les doléances et les critiques pour adapter au mieux les projets. Mais il faut bien partir d’une base et l’amender. Avant le piétonnier, il n’y avait pas d’investissements immobiliers dans le centre-ville. Ce changement de stratégie a entraîné une réponse assez forte de leur part. Pour Good Move, je n’ai pas ressenti d’inquiétudes des investisseurs. Il faut relativiser la crispation de certains.
Dans le dossier Neo, on a l’impression que tant du côté d’Unibail-Rodamco que de la Région ou de la Ville, personne ne veut débrancher la prise le premier pour ne pas payer d’importantes indemnités alors que ce dossier est dans une impasse. Vous semblez être l’un des derniers à y croire…
Mais, non, personne ne veut débrancher la prise. Unibail est le premier groupe mondial sur le plan retail. Il pèse plus de 70 milliards d’actifs. Nous sommes allés le chercher: pourquoi partirait-il donc aujourd’hui? Il a entre les mains un contrat pour développer un projet mixte, une option sur le terrain et un bail emphytéotique. Il ne doit, de plus, rien payer pour le moment. Ils sont donc dans une position ultra-confortable. Vous savez bien qu’aucun acteur immobilier ne lâche un terrain sur lequel il peut s’asseoir. De plus, les 165 millions qu’Unibail devra nous payer quand la construction débutera sont dévalués chaque année qui passe par l’inflation… A contrario, si la Région débranche la prise, il recevra 9,5 millions d’euros d’indemnités. Bref, il est sur du velours. De toute façon, i l faudra bien avancer dans ce dossier. Le plateau du Heysel est aujourd’hui une hérésie urbanistique et ne ressemble pas à grand-chose. Il doit être entièrement repensé.
Avec quel timing dorénavant?
Le certificat d’urbanisme et le certificat d’environnement sont délivrés. Il manque juste le PRAS, la norme planologique qui permet de réaliser le projet et que la Région recommence pour la troisième fois suite à différents recours. On l’attend pour 2024. Pour l’anecdote, si cela peut rassurer certains, la signature de l’option d’achat de Tours & Taxis date de 1996…
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