Et si on faisait baisser de 75% les besoins en énergie de nos villes?

Le canal Mindemyren, à Bergen, en Norvège. Projet de Bybanen Utbygging AS. © Sweco

Avec la flambée des prix de l’énergie, l’heure est aux restrictions et aux économies énergétiques partout dans le monde. Et si le salut venait de la transition de nos systèmes actuellement linéaires vers des systèmes circulaires?

En ces temps de crise énergétique, de factures mirobolantes et de sommets européens afin de décider d’un éventuel plafonnement des prix, il est possible de réduire drastiquement les besoins énergétiques et les émissions de CO2 d’une ville. C’est en tout cas l’idée qu’avance Sweco, un bureau d’études, dont les experts se sont penchés sur la question. Selon leurs calculs, effectués sur la valeur de l’urbanisme circulaire en termes d’efficacité énergétique et de mobilité durable, les besoins énergétiques totaux de la ville circulaire par mètre carré en 2040 ne représentent qu’un quart de ce qu’ils sont avec les processus de conception et de planification actuels.

Ils affirment donc qu’en devenant circulaire, une ville peut économiser jusqu’à 75 % de ses besoins énergétiques et réduire ses émissions de CO2 de 97 % par rapport au niveau actuel.

Sewco entend démontrer comment, en appliquant cinq principes et quinze actions circulaires concrètes, les villes peuvent devenir des moteurs dans cette transition d’un système linéaire vers un système circulaire. Ces principes et actions sont détaillés dans un nouveau rapport, intitulé “Circular City Transformation“.

Utopique ? Trop beau pour être vrai ? Commençons par définir le concept de “ville circulaire” avec Kathleen Van de Werf, Operational Manager Division BUUR, Sweco Belgium.

On entend beaucoup parler d’économie circulaire, et ce concept est bien ancré, mais qu’entend-on exactement par “ville circulaire” ou “urbanisme circulaire” ?Kathleen Van de Werf. Une ville circulaire est un environnement vivable, prospère et résilient. C’est une ville qui considère les déchets comme une ressource, qui fait de la place à la biodiversité et qui est intégrée aux systèmes naturels (en repensant, réutilisant et réaffectant, nous créons plus d’emplois qu’en jetant simplement les choses) et qui facilite le partage des services, des infrastructures et des espaces. Une ville circulaire comprend les interdépendances entre les différents systèmes (eau, biodiversité, énergie, mobilité, matériaux, …) et elle est capable de coordonner et d’optimiser leurs potentiels pour réduire, ralentir, régénérer et recycler les flux de ressources.

Le citoyen a un rôle fondamental dans ce processus et ses changements de style de vie et son engagement dans le processus sont la clé d’une transition réussie. Cependant, pour parvenir à cette ville circulaire, nous devons cesser de penser en silos, isolés dans nos disciplines et expertises distinctes. Nous devons encourager la collaboration intersectorielle, le travail transdisciplinaire et les modèles commerciaux innovants pour soutenir des ambitions plus élevées. Il est important de noter qu’une ville circulaire ne peut pas fonctionner seule, mais qu’elle doit examiner les réseaux régionaux et internationaux plus larges qui lui sont liés, et comprendre comment réduire son impact et localiser ses ressources et sa production.

Dans le cas de l’urbanisme, je pense que c’est l’une des disciplines holistiques qui peut soutenir la construction de ces ponts entre les secteurs et les espaces, en clarifiant la complexité de l’environnement construit et en facilitant la coordination circulaire entre les espaces, les flux de ressources et les parties prenantes. Outre notre rôle de “planificateur”, nous évoluons de plus en plus vers celui de “partenaire de transition”.

Les chiffres avancés ne sont-ils pas trop “optimistes” ?

Les calculs de scénarios pour 2040 sont correctement projetés et réalisés en collaboration avec un partenaire scientifique. Bien entendu, ils doivent être considérés dans le contexte suédois, c’est-à-dire la législation, le contexte urbain et social et les développements historiques, les modes de vie et les systèmes de transport. Ce type d’aspects contextuels est très différent en Belgique, nos structures urbaines existantes, notre tissu urbain, nos services publics et nos infrastructures sont construits en fonction de décisions historiques et législatives prises dans le passé, ce qui rend plus complexe le partage de l’espace, l’échange d’énergie et de chaleur, la mise en place de transports publics performants, etc. et la garantie d’une continuité politique dans les plans et les objectifs climatiques. Malgré ces circonstances, il existe d’autres facteurs dans notre société et les bons acteurs sont en place, ce qui devrait permettre d’obtenir des avantages sur le modèle scandinave.

Pour en revenir aux chiffres, ils sont issus d’un projet de recherche AIFOOD : “AI for a sustainable food chain from farm to fork”, basé sur le cas de Näringen Circular City District, une proposition de rénovation circulaire et de développement urbain à Gävle, en Suède, avec 6 000 logements. Le projet et les calculs qui ont abouti aux chiffres ont été réalisés par une équipe d’experts interdisciplinaires issus des domaines de la mobilité, de l’énergie, de l’architecture, de l’urbanisme et de la production alimentaire.

Est-ce que ce concept de ville circulaire pourrait s’appliquer à Bruxelles aujourd’hui ?Bruxelles est en fait l’un des précurseurs en Europe en termes de mise en oeuvre de mesures circulaires au niveau politique et de définition de plans stratégiques pour la région, avec des projets pilotes bien établis, par exemple le GreenBizz. Depuis 2016, la ville a mis en place le Programme régional bruxellois pour l’économie circulaire, avec des objectifs, des instruments et des institutions clairs pour faciliter la mise en oeuvre et la gestion du plan. On peut trouver beaucoup d’informations sur le portail Be Circular, où plusieurs études de cas montrent comment Bruxelles est pionnière et comment cela met en valeur les singularités de la ville.

Que faudrait-il changer pour pouvoir appliquer ce concept à Bruxelles ou à d’autres grandes villes ? Chaque ville sera différente et les aspects sont trop nombreux pour être énumérés ici, mais je peux donner quelques exemples. Les processus de planification et la façon dont les villes se développent seront différents d’un endroit à l’autre, car il y aura des cultures, des législations et des modus operandi différents. Les conditions écologiques sont différentes d’un endroit à l’autre et peuvent donc nécessiter des approches distinctes. Les sources locales d’énergie, de matériaux, d’eau, seront également un aspect à évaluer au cas par cas.

Une ville circulaire est une ville qui fonctionne avec ses conditions locales et son contexte plus large, d’où l’importance de comprendre les principes qui la sous-tendent afin d’être en mesure de la reproduire et de l’adapter dans différents endroits. Je pense que dans ce cas, les experts locaux ayant des connaissances contextuelles sont extrêmement précieux dans le processus de traduction de ces stratégies dans leurs propres pays ou villes – sur la base des leçons tirées des cas réussis mais aussi des stratégies qui ont échoué.

Ce concept est-il plus facile à appliquer dans certains pays ou certaines régions ?

Certaines conditions peuvent aider, par exemple les pays ou les régions qui ont déjà un “état d’esprit ou un style de vie circulaire” dans leur culture s’adapteront facilement au nouveau modèle économique. Un autre aspect est l’ambition d’atteindre l’objectif du secteur public au secteur privé.

Aux Pays-Bas, par exemple, la culture de planification, bien établie, a institutionnalisé des stratégies collectives de gestion de l’eau datant de plusieurs siècles, ce qui facilite la collaboration et la mise à l’échelle des actions. Cela a généré un environnement de parties prenantes qui, aujourd’hui, ont également de grandes ambitions pour atteindre les objectifs climatiques, et peuvent donc faciliter le processus.

Cependant, il existe de nombreux cas à travers le monde dont nous pouvons tirer des enseignements, les pays abordant le problème de différentes manières car ils ont des exigences, des conditions et des contextes différents.

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