Nouvelle tuile pour l’immobilier neuf à Bruxelles

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Le nombre d’appartements neufs actuellement mis en vente à Bruxelles redevient correct même si trois communes concentrent 70% de l’offre. La hausse de la TVA de 6 à 21% pour les opérations de démolition/reconstruction pourrait toutefois assommer à nouveau la plupart des promoteurs. L’avenir s’écrit toujours plus en pointillés pour le secteur.

“Un promoteur vient de m’annoncer qu’il renonçait à un projet de 45 millions d’euros. Deux autres qu’ils mettaient en suspens des projets de 100 et 200 appartements. Nous sommes en train de rassembler des informations pour mesurer l’ampleur des conséquences des mesures liées à la hausse de la TVA par le fédéral. Cela va créer une onde de choc quand elles seront révélées fin novembre.” Olivier Carrette traverse une période agitée. Le patron de l’Upsi, l’Union professionnelle du secteur immobilier, doit gérer la colère de ses 175 membres (des promoteurs et des investisseurs) face à la décision du gouvernement fédéral de ne pas prolonger dès la fin 2023 la mesure temporaire de réduction de la TVA de 21 à 6% pour les opérations de démolition/reconstruction décidées il y a deux ans et de mettre fin à l’exception mise en place en 2007 dans 32 centres urbains d’une TVA à 6% pour les démolitions /reconstructions.

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La première mesure impacte particulièrement les promoteurs immobiliers. Ceux qui construisent des immeubles à appartements et revendent par la suite ces logements à des particuliers. La seconde concerne les investisseurs immobiliers, des acteurs qui développent des projets mais restent propriétaires des appartements pour les mettre en location. Si l’une des mesures était temporaire, même si certains espéraient qu’elle perdure dans le temps, l’autre a démontré ses bienfaits depuis 20 ans. “Nous avons clairement été abasourdis quand le conclave budgétaire a décidé, mi-octobre, au milieu de la nuit de prendre ces mesures, reconnaît Jean-Baptiste Van Ex, CEO de Vicinity, à la tête d’une fronde de 15 investisseurs (*) qui veulent faire plier le gouvernement sur le sujet. Nous multiplions actuellement les discussions pour tenter d’améliorer cette décision. Car cette hausse du taux de TVA signe pratiquement la mort des logements locatifs abordables et durables pour des milliers de ménages. L’impact sera colossal. C’est comme si après avoir rempli minutieusement votre chariot de courses en tenant compte des prix, vos produits vous coûtaient soudainement 15% plus cher au moment de passer à la caisse. Plus aucun projet que nous développons ne tient la route financièrement.”

Des centaines de logements à la trappe?

L’impact pour le secteur immobilier semble en tout cas particulièrement important, même si la proportion d’opérations de démolition/reconstruction dans l’ensemble des développements neufs n’est pas connue et ne semble pas majoritaire. Il y en aurait en tout cas bien davantage en Flandre qu’en Wallonie. “Ce sont des milliers d’unités de logements qui ne verront pas le jour, estime Olivier Carrette. Et des centaines de millions qui ne seront pas investis. Imaginer que la hausse de la TVA ramènera davantage d’argent dans les caisses de l’Etat est un mauvais calcul car nous nous dirigeons plutôt vers une diminution du nombre de projets, ce qui diminuera les recettes au final. Tout le monde sera perdant avec cette décision.” L’Upsi attend pour l’heure les conclusions du Conseil d’Etat sur le contenu de cette loi-programme. S’il confirme les intentions, un recours devant le Cour constitutionnelle pourrait être déposé. Le bureau d’avocat Allen & Overy étudie actuellement l’opportunité de se lancer dans une bataille juridique.

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Une décision qui s’inscrit dans un contexte particulièrement morose pour l’immobilier neuf à Bruxelles. La production de logements patine toujours autant suite aux multiples recours qui allongent les procédures d’obtention de permis. A cela s’ajoute la hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt qui obligent les promoteurs à sortir le boulier compteur pour revoir leurs marges bénéficiaires à la baisse. Sans parler du fait que la demande est en berne suite à la hausse des taux. “Cette baisse de la TVA signifie que la marge bénéficiaire des promoteurs se contracte sérieusement, relève Jacques Lefèvre, CEO du promoteur BPI. Pour certains, elle est parfois égale à zéro, d’où l’abandon de certains projets (alors qu’elle avoisine les 15 à 20% habituellement, Ndlr). De plus, cette mesure va totalement à l’encontre des besoins de renouvellement du parc immobilier belge, dont 80% a été construit il y a plus de 50 ans. Elle s’oppose également à d’autres politiques régionales qui encouragent à construire dans les centres pour limiter l’étalement urbain.”

Allonger la période transitoire

“Ce qui nous surprend le plus est la soudaineté de cette mesure, confie Jean-Baptiste Van Ex. Les mesures transitoires ne prennent pas en compte la durée de développement d’un projet. Au cours de ces dernières années, cette mesure a permis de remplacer les vieux immeubles défraîchis ou abandonnés dans les 32 villes concernées par des immeubles neufs offrant des appartements locatifs abordables et durables. Cette soudaine suppression va provoquer un effet boule de neige: l’offre déjà vacillante de biens locatifs va encore diminuer et les loyers vont augmenter alors que les biens mis en location ne seront pas plus durables. Cette mesure a été très utilisée à Bruxelles par certains acteurs (Home Invest notamment, Ndlr). Cet effet domino n’est pas de nature à favoriser une politique sociale durable.”

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Vicinity prend l’exemple des trois projets bruxellois qu’il a dans ses cartons, à Schaerbeek, Molenbeek et Forest. Le permis est obtenu pour les deux premiers et tous les feux sont au vert. Sauf que les pelleteuses n’entrent pas en action, vu le brouillard actuel. La faisabilité financière des projets n’étant plus garantie du fait que les terrains ont été achetés en fonction d’une fiscalité bien moindre. “Supprimer cette règle après 17 ans sans aucune période transitoire digne de ce nom va entraîner une augmentation soudaine de 15% du budget de construction dans le chef des investisseurs alors que les revenus (les loyers) vont demeurer inchangés, regrette Jean-Baptiste Van Ex. Cette décision va signer l’arrêt de nombreux projets. Les finances publiques semblent aussi sous-estimer l’impact de cette mesure. Elles pensent s’enrichir en rehaussant le taux de la TVA à 21%. Or, si ces logements ne sont pas construits, il n’y aura pas de recettes. Et si l’on ne construit plus de logements locatifs abordables, il n’y aura plus besoin non plus de main-d’œuvre pour les comprenons pas cette mesure, surtout dans le contexte énergétique et environnemental actuel. Il y a un besoin important de logements de qualité. Cette décision entrave les possibilités d’accélérer la reconversion du bâti. Elle va contribuer en tout cas à ralentir le rythme de vente des acquéreurs occupants, qui n’était déjà pas très dynamique.”

(*) Vicinity Affordable Housing Fund, Home Invest Belgium, Inclusio, Quares Residential Investment, ION, Upkot, Patrizia, Catella IM Benelux, Yally, Buysse & Partners, Gilen Real Estate, Candor, Dethier, Fund For Tomorrow, LIFE

L’offre se réduit à quelques communes

A Bruxelles, le marché de l’immobilier neuf ne concerne pour le moment pratiquement plus que trois communes: Bruxelles-Ville (599 unités), Uccle (259) et Woluwe-Saint-Lambert (189). Il n’y a que dans ces entités qu’il existe encore une offre d’appartements en cours de commercialisation digne de ce nom. Les prix y évoluent peu en un an, de 1 à 4%. Nous sommes donc bien loin des hausses importantes connues ces derniers mois. Au total, on dénombre 1.555 appartements actuellement mis en vente. Notons également que seules sept communes (toutes au nord de Bruxelles) permettent d’encore trouver un appartement à un prix médian de moins de 4.000 euros/m2 (Molenbeek, Ganshoren, Jette, Forest, Anderlecht, Koekelberg, Berchem- Sainte-Agathe).

Quand on jette un œil à la localisation des demandes de permis octroyées ces trois dernières années, selon des chiffres de Smartblock, on observe qu’elles se concentrent essentiellement à Woluwe-Saint-Lambert, Molenbeek et Evere. Pour les demandes de permis actuellement en cours, elles se retrouvent surtout à Evere, Uccle, Woluwe-Saint-Lambert et Anderlecht. Il est donc clair que, pour les grands projets, le marché du neuf ne se concentre plus pour le moment que dans quatre ou cinq communes. Reste à voir si cette nouvelle donne géographique est appelée à s’inscrire dans la durée.

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