Vers une augmentation inévitable des prix des loyers ?


Les loyers sont sous haute tension à Bruxelles et dans la plupart des grandes villes du pays. Ces dernières années, les freins se sont multipliés à l’encontre des propriétaires, explique le secteur. Le récent encadrement des loyers dans la capitale n’en serait que la dernière illustration. Ce qui mettrait une nouvelle pression sur l’offre.
Une accalmie. Au premier trimestre 2025, l’augmentation des loyers tournait autour de 0,7% dans la capitale, a montré, en exclusivité pour Trends-Tendances, Realo, spécialiste de l’analyse de données immobilières, dans notre Guide Immo joint en supplément de votre magazine cette semaine (lire aussi ci-dessous). Mais il pourrait ne s’agir que d’un répit pour les locataires bruxellois, qui sont confrontés à une augmentation des loyers de 16% en moyenne, sur les trois dernières années, et de plus de 23% depuis la crise sanitaire.
Un marché locatif sous tension
En 2024, Federia, la Fédération des agents immobiliers francophones, a constaté la tendance haussière dans son Baromètre de la location. Une augmentation du loyer de 5% dans la capitale, pour atteindre en moyenne 1.300 euros par mois, tous types de biens confondus. En Wallonie, la hausse se situait à 4,12%, avec un prix moyen qui a dépassé pour la première fois les 800 euros, à 827 euros, tous types de biens confondus. Dans les deux cas, c’était au-dessus de l’inflation.
Bruxelles est évidemment la ville la plus touchée, en particulier les maisons deux façades dont le loyer a décollé de 20% entre 2023 et 2024. Dans les grandes villes wallonnes, les locations d’appartements ne sont pas épargnées. À Mons, le loyer pour un appartement est passé en moyenne de 682 euros à 768 euros entre 2021 et 2024, en augmentation de près de 13%. À Liège, de 644 euros à 751 euros, soit une hausse de 16,62%.
“Ce qui est encore plus révélateur, c’est la chute du nombre de contrats locatifs”, analyse Charlotte De Thaye, directrice générale de Federia. À Bruxelles, le nombre de nouveaux contrats de location a chuté de 10% en 2024, malgré une demande en hausse. “On nous rétorque parfois que ce sont des chiffres issus des agents immobiliers, mais Immoweb constate une dégradation encore plus importante : – 15% à Bruxelles entre janvier 2024 et janvier 2025 et – 13% sur toute la Belgique”, ajoute la directrice.
Des bâtons dans les roues
La thèse du secteur, c’est qu’un ensemble de changements et de nouvelles règles a mis des bâtons dans les roues des propriétaires ces dernières années. De quoi les décourager et brider l’offre, alors que le marché locatif était déjà bouché : les locataires hésitent à passer à l’achat, parce que l’inflation a érodé leur pouvoir d’achat et que les taux d’intérêt restent élevés. On peut difficilement nier une accumulation de nouvelles mesures à Bruxelles. Coup sur coup, le précédent gouvernement de Rudi Vervoort (PS) a imposé un moratoire hivernal
sur les expulsions, un droit de préférence du locataire en place, une interdiction de révision du loyer pour les contrats à courte durée ou encore une obligation d’enregistrer les baux à deux reprises, fruit d’un blocage entre les autorités régionale et fédérale.
Patrick Willems, secrétaire général du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (SNPC), y ajoute “une procédure en justice allongée quand un locataire ne paye pas”, “un saut d’indexation des loyers”, “des normes importantes pour atteindre les ambitions énergétiques de l’Europe” ou encore “une explosion du précompte immobilier dans une dizaine de communes bruxelloises”. À Forest, par exemple, le précompte a augmenté de 26% en deux ans.
Bien sûr, ces nouvelles règles n’expliquent pas à elles seules la pénurie de logements dans la capitale. Mais elles participent à un climat de méfiance à l’encontre des bailleurs. “Aujourd’hui, les propriétaires deviennent frileux, estime la directrice de Federia. On les décourage d’investir dans la brique. Et si on les décourage, ils se retireront, et ce sont les locataires qui en paieront le prix.” Sans oublier que “cette multiplication de mesures augmente le nombre de recours contre les autorités”, ajoute Patrick Willems.
La régulation des loyers
Mais même quand il n’y a pas de gouvernement, les autorités parviennent à prendre des décisions qui accentuent la pression sur le marché locatif, estiment les acteurs du secteur. Selon eux, c’est le cas avec la fameuse ordonnance qui vise à lutter contre les loyers abusifs. Le texte a été porté au Parlement par le PS, Ecolo, le PTB et la Team Fouad Ahidar. À partir de ce 1er mai, il oblige le bailleur à proposer un bien qui ne dépasse pas de 20% un loyer de référence, issu de la grille des loyers. Selon les chercheurs de l’ULB qui ont participé à la mise en place de cet outil, 20% des baux bruxellois pourraient être concernés.
“Avec cette loi, on vise surtout à protéger les locataires les plus précaires, face à des marchands de sommeil qui pratiquent des loyers largement exagérés pour des biens qui sont en mauvais état. On veut vraiment la fin des loyers abusifs à Bruxelles”, expliquait le député bruxellois Martin Casier (PS).
Selon Patrick Willems, l’ordonnance va bien plus loin. Après une enquête interne auprès de 450 membres du SNPC, il ressort que plus de la moitié des loyers pratiqués seraient considérés comme abusifs, selon la grille actuelle. “Qualifier 54% de bailleurs d’abuseurs, ça me paraît un peu exagéré et tout à fait à côté de la plaque”, tacle le représentant. Le syndicat n’est pas contre un encadrement des loyers en tant que tel, mais il déplore la vétusté de la grille des loyers, basée sur des calculs et des coefficients “arbitraires” qui ne “reflètent pas du tout la réalité du marché”.
Et pour cause, cette grille des loyers date de 2017, avec une seule révision en 2021, nous indique-t-on, soit avant la crise inflationniste. “Cette grille n’est pas représentative de la réalité du terrain ni des efforts fournis par les propriétaires”, abonde Charlotte De Thaye.
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Expériences mitigées à l’étranger
Des expériences similaires ont été pratiquées à l’étranger, sans résultat très probant. “Sur le court terme, cela a un effet de diminution sur le loyer. Mais sur le long terme, ça crée une pression supplémentaire”, tranche Katrien Kempe, administratrice en charge de Bruxelles et de la Wallonie au sein de l’Upsi, l’Union professionnelle du secteur immobilier.
À Berlin, l’instauration d’un gel pour cinq ans des loyers avait d’abord freiné les prix, mais elle a aussi provoqué une baisse de l’offre locative avant d’être invalidée par la Cour constitutionnelle. À Buenos Aires, dans un contexte d’hyperinflation, l’encadrement s’est heurté à un retrait massif des logements du marché officiel, alimentant un secteur informel incontrôlé. Enfin, à Paris, l’encadrement des loyers a permis de fixer des plafonds en fonction des quartiers et des types de logement, mais son impact reste limité en raison du manque de contrôles et de sanctions : près d’un bail sur deux dépasse encore les seuils autorisés.
Selon Patrick Willems, qui s’est penché sur les différents cas internationaux, un encadrement des loyers peut fonctionner dans des contextes très précis. “Par exemple dans des villes en déclin démographique. La régulation est efficace parce que la demande diminue.” Ou alors dans des villes dans lesquelles il y a une présence massive de logements sociaux. “Comme à Vienne, où une majorité de logements est publique avec une rotation organisée.”
Bruxelles, elle, ne correspond pas à ces critères. C’est une ville en croissance démographique où le marché du logement est sous tension. Imposer un encadrement des loyers qui ne correspond en plus à aucune réalité du marché va simplement décourager les propriétaires à se maintenir dans la brique, déplorent de concert nos trois interlocuteurs.
Même quand il n’y a pas de gouvernement, les autorités parviennent à prendre des décisions qui accentuent la pression sur le marché locatif.
Il faut un équilibre entre propriétaires et locataires, mais aussi entre initiative privée et intervention publique”, souligne Charlotte de Thaye, de Federia. Le secteur privé, lui, se dit prêt à collaborer avec les pouvoirs publics pour construire davantage de logements sociaux. “Bien évidemment, le secteur privé est partie prenante pour entrer dans des partenariats public-privé, confirme Katrien Kempe. Il faut vraiment continuer à offrir du logement dans toutes les catégories, et c’est là qu’on va rééquilibrer le marché.”
Simplification administrative
L’encadrement des loyers reste sujet à interprétation. Mais ce qui ne souffre d’aucune contestation, ce sont les changements des règles du jeu en cours de partie. C’est le cas, par exemple, avec les primes à la rénovation. Suite à un dérapage budgétaire, elles ont purement et simplement été supprimées dans la capitale, et largement diminuées au sud du pays. Pour tous les propriétaires qui désiraient rénover leur bien en vue de le mettre en location, c’est un sérieux coup de frein et une contrainte de plus sur l’offre.
“Nos membres ne sont pas des professionnels de l’immobilier, souligne Patrick Willems. Dans la plupart des cas, ils mettent un bien en location dont ils ont hérité pour compléter leur pension. À un moment donné, si on leur met contrainte sur contrainte, ce sera plus simple pour eux de se retirer et de mettre leur argent ailleurs.”
Sans oublier évidemment toutes les contraintes administratives qui existent déjà. On pense évidemment aux délais, très longs, pour l’obtention d’un permis de bâtir, qui brident également l’offre. À cet égard, Katrien Kempe plaide pour suivre l’exemple wallon dans la capitale : “Les mesures prises en Région wallonne sur le principe Only Once et la simplification des formulaires de demande de permis sont exactement ce dont nous avons besoin à Bruxelles.” Mais pour cela, il faut un gouvernement de plein exercice.
Une bonne et une mauvaise nouvelle au fédéral
À l’échelon fédéral, l’accord de Pâques de l’Arizona enterre l’un des derniers avantages fiscaux pour les multipropriétaires. Il s’agit de la déduction fiscale des intérêts pour les contribuables qui contractent un emprunt pour un logement qui n’est pas leur habitation principale. Cette déduction, qui permettait de réduire la base imposable et donc la taxation de l’IPP, n’existera plus dans la déclaration d’impôts 2026. Ce qui affectera donc des crédits en cours. Pour le SNPC, cette mesure va aggraver la pénurie actuelle de logements locatifs.
“On décourage les propriétaires d’investir dans la brique. Et ce sont les locataires qui en paieront le prix.” Charlotte De Thaye (Federia)
Katrien Kempe voit toutefois une très bonne nouvelle issue de l’accord du gouvernement fédéral. Désormais, les logements neufs issus d’une démolition-reconstruction pourront bénéficier d’un taux de TVA réduit à 6%, à condition qu’ils soient loués pendant 15 ans à des locataires y établissant leur domicile principal. “C’est une mesure super importante qui va vraiment donner une bulle d’air à notre marché. Cela va aider à rentabiliser les logements neufs sur le marché locatif.”

Notre Guide immobilier (en supplément du Trends Tendances de ce jeudi 24 avril) vous propose des clés de lecture pour vous aider à poser vos choix. Outre nos analyses, enquêtes et témoignages de terrain, vous y retrouverez les derniers prix de vente des maisons et appartements de toutes les communes du pays.
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