Les nouvelles stratégies des promoteurs pour vendre leurs appartements
Alors que les ventes d’appartements neufs tournent au ralenti, les acteurs pour les vendre se multiplient toujours plus. Après la vente en interne et par agence immobilière, une troisième voie mixant les deux s’offre désormais aux promoteurs. Elle est emmenée par un ex-trio à succès d’Immobel. Reste à voir qui va perdre le plus de plumes vu l’étroitesse du gâteau.
L’immobilier neuf garde la tête sous l’eau. Et le rebond n’est pas attendu avant 2024. A une pénurie d’offre s’est ajoutée la désertion des acquéreurs ces derniers mois. La remontée des taux hypothécaires (de 1 à 3,5%) et l’envolée des prix de vente liées à la hausse des coûts de construction (de 15 à 20%) freinent acquéreurs et investisseurs.
Un sursaut est espéré à l’automne, le temps que les candidats à l’achat comprennent qu’il s’agit des nouvelles conditions de marché et que les prix ne redescendront pas. Une offre d’appartements plus consistante est également attendue d’ici la fin de l’année avec une série de permis qui devraient être octroyés. Un contexte volatile qui pousse en tout cas les promoteurs à revoir leur stratégie de vente. Et éventuellement à s’ouvrir à de nouveaux concepts.
Pour l’heure, les modèles en vigueur sont assez classiques. Un promoteur dispose de trois options pour vendre ses appartements neufs. Soit il les vend via ses équipes internes, soit il fait appel à une ou plusieurs agences immobilières, soit il opte pour une version hybride.
En Flandre, la plupart des promoteurs internalisent la vente (Matexi, Triple Living, Ion, Ghelamco, Impact, Koramic et autres). Le procédé y est plus en vogue qu’en Wallonie et à Bruxelles, où seuls quelques grands acteurs s’y aventurent (Immobel, AG Real Estate, Skyline ou encore Thomas & Piron). A contrario, Besix Red, Atenor, Eiffage, Nextensa, Artone, Bouygues, Aboreal ou e-maprod s’en passent. Eaglestone, Lixon ou BPI empruntent quant à eux la voie médiane. La raison est simple: il faut alimenter régulièrement ses équipes de vente, ce que peu d’acteurs sont capables de faire, vu notamment les difficultés pour obtenir un permis d’urbanisme.
“Il y a trois autres raisons pour disposer d’une équipe de vente en interne: bénéficier de l’expertise de vendeurs qui connaissent parfaitement le projet immobilier et les valeurs de l’entreprise, réaliser des économies et garder le client tout au long du processus, explique Vanessa Issi, directrice commerciale d’AG Residential. Travailler avec une agence nous coûte une commission de 3%, à laquelle il faut ajouter la TVA. Ce taux peut être réduit à 2,5% lors d’une promotion importante. Par contre, avec notre propre équipe de vente, les rémunérations atteignent 2% pour nos vendeurs indépendants. Ce qui est nettement inférieur. Si on y ajoute le marketing, notre coût grimpera à 2,2%. Outre l’objectif économique, il y a également l’idée de garder les clients chez nous tout au long du processus d’acquisition, de manière à pouvoir leur proposer différents services annexes. Nous internalisons les ventes quand nos projets se situent à Bruxelles ou Louvain. Pour les autres secteurs géographiques, nous faisons appel à des agences qui connaissent mieux le territoire.”
Avec des projets en bout de commercialisation (Urban Court, Canal Wharf, Cavell Court), les quatre vendeurs indépendants qui travaillent en exclusivité pour AG Real Estate sont actuellement confrontés au danger de travailler pour un seul promoteur puisque leur activité et leur rémunération ont chuté.
“S’ils le souhaitent, ils peuvent remplir d’autres missions dans la société le temps de se voir confier un nouveau projet, poursuit Vanessa Issi. Mais il faut préciser qu’ils sont bien mieux payés que s’ils travaillaient dans une agence immobilière. S’ils vendent 50 unités tous les deux ans, leur rémunération peut être considérée comme confortable. Nous avons commercialisé deux projets en 2019, un en 2020 et un 2021. Le prochain devrait arriver en septembre si nous obtenons le permis dans les délais prévus. Il faut donc voir à long terme. Et quand sortira le projet CCN (Nor Bruxsel), à la gare du Nord, 550 appartements seront mis sur le marché. Et là, il faudra même du renfort. Cette situation ne nous empêche toutefois pas de remettre en question chaque année le modèle de l’internalisation. Une agence est plus chère mais s’occupe du marketing et de la communication et dispose d’un important carnet d’adresses de clients. Pour l’heure, on estime que le principe du one-stop-shop est le plus approprié pour offrir le meilleur service.”
“Internaliser la vente permet également de mieux transmettre les valeurs.”
Chez Thomas & Piron Bâtiment, 80% du volume de vente est réalisé en interne. Le leader du marché wallon délègue la commercialisation à des agences uniquement en cas de co-promotion ou si le projet est situé dans des zones géographiques spécifiques, à Bruxelles ou Eupen par exemple, où l’usage de l’allemand et du néerlandais est souhaité. “Notre connaissance du marché et notre capacité à assurer un suivi client sont des éléments essentiels, explique David Beghin, sales manager pour Thomas & Piron Bâtiment, qui gère une équipe de 12 commerciaux actifs pour le moment sur 35 projets. Internaliser la vente permet également de mieux transmettre les valeurs de Thomas &Piron. Nous ne sommes pas prêts à changer d’option.”
Les atouts des agences
A l’autre bout de la chaîne, les agences immobilières défendent également leur modèle. Les principaux acteurs (Trevi, Latour & Petit, Victoire, We Invest, Dewaele, ERA) disposent d’un portefeuille de clients bien plus important que les promoteurs. Et d’une offre bien plus diversifiée. “Avec une agence, nous pouvons répondre plus précisément aux désidératas des clients, vu la multitude des projets que nous proposons à la vente – 40 pour le moment”, estime Philippe Mestach, directeur du neuf chez Latour & Petit, qui commercialise actuellement 350 unités et devrait passer à 1.000 en septembre.
“C’est plus simple également pour un promoteur qui ne dispose pas d’autant de ressources que nous en interne, poursuit notre interlocuteur. BPI et Immobel, qui ont leur propre équipe de vente, ont d’ailleurs repris contact avec nous récemment vu le contexte actuel. Le marché reprend. En septembre, nous passerons de 350 appartements actuellement en vente à plus de 1.000 unités.” Et Thierry Kemp, directeur du neuf chez Victoire, d’ajouter: “Fonctionner avec des équipes internes était possible dans un marché dynamique. Aujourd’hui, vu la faiblesse du nombre de projets, cela a peu de sens pour un promoteur. Et puis, travailler sur un seul projet ne permet pas de bien connaître le marché et de voir ses évolutions. Cette piste est donc de moins en moins pratiquée.”
Un constat partagé par Thierry Collard, CEO d’Eiffage Development: “Nous n’avons ni les ressources ni le volume suffisant pour avoir une équipe interne. De plus, on estime que quand un agent met nos projets en concurrence avec d’autres projets, nous avons bien plus à gagner. Etre comparé fait ressortir la qualité de nos projets.”
Package complet
Un nouvel acteur pourrait toutefois bouleverser cet ordre établi. Avec un concept pour le moins innovant: une solution d’externalisation des ventes et du marketing à destination des promoteurs immobiliers. L’idée étant d’agir comme une boîte de consultance qui placerait ses vendeurs chez un promoteur (un, deux, trois ou plus en fonction des besoins) le temps de la vente d’un projet. A la barre, trois anciens d’Immobel: Nicolas Laporta, Michael Kauffmann et Roeland Vandenbrande. Les deux premiers y ont été directeur des ventes, le troisième directeur du marketing et de la communication. Un trio à succès bien connu dans le milieu immobilier.
“Notre société, baptisée Y, est une solution qui rassemble le meilleur des deux mondes, la vente en interne et la vente via agence, sourit Nicolas Laporta, le nouveau CEO d’Y, qui a quitté fin mai son poste de CEO chez Sotheby’s pour retrouver le chemin de la vente. Les premiers retours de la part des promoteurs sont très positifs. On sent que ce concept plaît. Nous avons déjà signé nos premiers contrats, de manière à déjà débuter des ventes en juillet.”
“Avoir des vendeurs experts et qui se concentrent sur un seul projet est bien plus intéressant pour un promoteur.”
L’idée est donc de mettre à disposition des promoteurs une équipe interne qui se chargera de la vente de A à Z. Et ce jusqu’au dernier bien. “Les marges des promoteurs se réalisent souvent sur les derniers appartements, qui sont les plus compliqués à vendre, de même que sur les caves et les garages. Tout le monde peut vendre la première moitié d’un projet. Par contre, là où nous faisons la différence, c’est que nous nous engageons à réaliser l’entièreté de la vente, et ce dans un temps record. Une fois le projet clôturé, nos vendeurs repartent sur un autre projet. Avoir des vendeurs experts et qui se concentrent uniquement sur un seul projet est bien plus intéressant pour un promoteur. Car il bénéficie des résultats de ventes équivalent à ceux d’une équipe en interne sans devoir s’occuper du recrutement, de la formation et de la gestion au quotidien.”
Grande envergure
Y compte travailler sur toute la Belgique, avec une présence renforcée à Bruxelles. La société commercialisera uniquement des projets de grande envergure. Sa rémunération sera basée sur un fixe et sur un (gros) bonus si la vente est complète. “La vente, c’est un état d’esprit, poursuit Nicolas Laporta. Les vendeurs doivent être des indépendants et des entrepreneurs dans l’âme. Nous recruterons des passionnés de la vente et de l’humain avec une expertise dans l’immobilier. Nous leur offrons un cadre, les formons pendant trois mois avant de les envoyer sur le terrain. Avec nos 20 ans cumulés dans la vente de produits neufs, nous avons développé une grande expertise en la matière.”
L’objectif étant de rassembler d’ici la fin de l’année une douzaine de vendeurs déjà établis et de fonctionner à moyen terme avec une vaste équipe formée en interne. “Le momentum pour se lancer peut être considéré comme étonnant, reconnaît le nouveau CEO d’Y. Mais ce n’est pas un problème pour nous car notre devise a toujours été de nous concentrer sur les besoins du client, et celui-ci, au contraire, n’a pas changé. La brique a toujours pris de la valeur et cela va continuer.”
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