Les jeunes agriculteurs jouent leur survie: où s’arrêteront les prix des terres agricoles ?

L’augmentation des prix de l’hectare s’observe partout en Wallonie. © BELGAIMAGE
Baptiste Lambert

Le foncier agricole wallon est devenu un produit d’investissement. Son prix n’a plus rien à voir avec sa valeur de production et c’est un gros problème pour les jeunes agriculteurs. La toute nouvelle ministre de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq (MR), en fait sa priorité. Elle veut corriger le tir en favorisant notamment la location.

L’agriculture wallonne se compose essentiellement d’exploitations familiales, à taille humaine, d’une soixantaine d’hectares en moyenne. Depuis les années 1980, la situation a beaucoup évolué. À l’époque, on comptait près de 40.000 exploitations, pour une superficie moyenne par exploitation d’une douzaine d’hectares. Aujourd’hui, il n’en reste que 12.500 pour une population agricole de 22.000 actifs. Une population active vieillissante qui se prépare à la pension. L’un des principaux défis de l’agriculture wallonne est d’ordre démographique. Elle est également confrontée à des marges de plus en plus restreintes qui nécessitent énormément de diversification ou beaucoup de terrain. Or, ce terrain coûte de plus en plus cher. Ce qui engendre des problèmes d’accès à la profession ou de transmission des exploitations pour la jeune génération.

Inflation

Bien sûr, il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Mais l’Observatoire du foncier agricole wallon a récemment rendu un rapport qui n’a jamais été aussi précis pour se rendre compte de cette inflation incontrôlée.

Depuis 2017, le prix de l’hectare agricole est passé de 27.205 à 39.216 euros en 2023. C’est une hausse de 44% ou de 6,3% par an. La faute à l’inflation ? Pas exclusivement puisque sans elle, l’augmentation reste de 20% sur la même période.

L’augmentation des prix de l’hectare s’observe partout en Wallonie, mais la différence de prix reste importante d’une région agricole à l’autre. Par exemple, on ne sera pas étonné de voir que c’est dans le Brabant wallon que le prix moyen à l’hectare des biens non bâtis est le plus élevé des provinces wallonnes : 53.129 euros. Mais il y a plus cher puisque les terres limoneuses du Namurois se négocient actuellement en moyenne à 64.543 euros l’hectare. À l’autre extrême, un hectare d’herbagère de la province de Luxembourg ne vous coûtera que 19.402 euros.

Un produit d’investissement

Avec ces prix prohibitifs, les mouvements de ventes et d’acquisitions restent relativement faibles : moins de 10.000 hectares en 2023, soit 1,1% de la surface agricole. Trois quarts des mouvements concernaient des ventes, un quart des donations.

La plupart des acquéreurs étaient encore des agriculteurs (53%). La question est de savoir pourquoi sont-ils prêts à mettre des prix pareils ? “Très clairement, même en 2017, on pouvait s’étonner des prix que certains agriculteurs étaient prêts à offrir pour un hectare de terre agricole”, explique Marc Thirion, directeur de la DAFoR (direction de l’Aménagement foncier rural). C’est tout simplement parce que la rentabilité est au rendez-vous : “La rentabilité ne se trouve plus dans la terre, en lien avec la production de céréales, mais dans la valeur du capital. Aujourd’hui, aux prix actuels, on voit qu’aucun agriculteur ne s’est trompé. La terre agricole est devenue un très bon investissement.”

Autrement dit, les prix sont le résultat du marché. Et ils n’ont effectivement plus rien à voir avec la rentabilité d’une production agricole. “On s’écarte du modèle du capital investi dans la production. Les agriculteurs investissent maintenant dans un facteur de production”, ajoute le spécialiste.

“Les agriculteurs qui sont capables d’investir dans du terrain, ce sont principalement des personnes qui sont déjà en place et dont l’exploitation a déjà une forme de pérennité, précise Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération des notaires. On sait effectivement que ce n’est pas l’exploitation du froment qui permet de payer des prix pareils. D’où la problématique des jeunes qui doivent s’installer. C’est extrêmement compliqué pour eux de lancer une activité.” La terre agricole est en train de devenir un produit spéculatif comme un autre.

La compétition est renforcée par des sociétés non liées à l’agriculture qui payent cher.
Anne-Catherine Dalcq

Anne-Catherine Dalcq

ministre de l’Agriculture (MR)

Pression sur le prix du foncier

Ce qui lance une autre question : qui exactement exerce une pression à la hausse sur le prix ? Là encore, les informations de l’Observatoire sont précieuses. Ainsi, on remarque que le prix payé n’est pas le même en fonction des acteurs. Une société privée non liée à l’agriculture est par exemple prête à débourser 48.590 euros par hectare, alors que la moyenne, rappelons-le, est de 39.216 euros.

Ces sociétés exercent donc clairement une pression sur les prix. À cet égard, l’entreprise Colruyt est sans doute l’exemple le plus emblématique. Le premier distributeur en Belgique rachète des terres pour ensuite les relouer à des agriculteurs, non sans susciter certaines crispations dans le milieu. “Mais Colruyt reste un épiphénomène d’un problème plus grand”, tempère Renaud Grégoire. D’autres sociétés sont à l’œuvre. Mais il ne faudrait pas leur imputer l’entière responsabilité.

D’abord, le SPW Agriculture estimait qu’en 2020, seulement une exploitation sur huit était détenue par une société. C’est une tendance clairement à la hausse, mais en 2023, par exemple, les personnes morales (sociétés) non liées à l’agriculture ne représentaient que 11% des acquisitions.

Ensuite, il y a les sociétés directement liées à l’agriculture, qui représentent quand même 5% des achats. Elles sont disposées à mettre en moyenne 43.143 euros. Il faut y ajouter les acquéreurs mixtes (personne physique et morale) liés à l’agriculture qui déposent même 51.957 euros sur la table et qui représentent 2,5% des acquisitions.

Aujourd’hui, il ne reste que 12.500 exploitations agricoles en Wallonie pour une population agricole de 22.000 actifs. © BELGAIMAGE


Ce qui veut dire que les agriculteurs participent eux-mêmes à la spéculation des prix. “C’est en effet le cas, mais ils vous expliqueront être obligés de mettre ces prix-là pour suivre et acheter. C’est un peu le serpent qui se mord la queue”, nuance Renaud Grégoire.

“Il serait trop simple de leur imputer la faute, répond Anne-Catherine Dalcq (MR), ministre de l’Agriculture et issue du sérail. L’augmentation des prix s’explique par une multitude de facteurs. D’abord, parce que c’est une ressource finie et qu’il y a donc une sorte de compétition. Ensuite, avec l’inflation, les marges diminuent dans le secteur et il faut acquérir plus d’hectares pour augmenter sa rentabilité. Enfin, on le voit, cette compétition est encore renforcée par des sociétés non liées à l’agriculture qui payent encore plus cher.”

Favoriser le bail à ferme

Si le monde agricole exploite de plus en plus en propriété (+3.263 hectares en 2023), c’est sans doute dans la location et le bail à ferme que la solution se trouve pour aider les jeunes agriculteurs. “Il y a un réel challenge à cet égard”, confirme la ministre, qui compte prendre le taureau par les cornes. “Le bail à l’avantage de permettre aux agriculteurs de conserver une capacité d’investissement, dans du matériel, par exemple. Ensuite, le loyer est encadré par la loi, ce qui permet de mettre tout le monde sur un pied d’égalité.”
La volonté de la ministre est de rendre le bail à ferme plus attractif, via des mesures incitatives. “Il y a parfois une peur des propriétaires à mettre leurs terres agricoles en bail”, reconnaît la ministre. En premier lieu, cela passe par le lancement officiel de l’Agence du foncier agricole wallon en matière de location et de son site web dédié. Il doit rendre la réalisation d’un bail à ferme compréhensible et applicable par tous. “Contracter un bail à ferme doit devenir aussi simple qu’un bail pour un appartement locatif.”


Un autre volet porte sur les propriétaires publics. L’agence pourra les mettre en relation avec les agriculteurs, gratuitement. Il s’agit par exemple des CPAS qui disposent de terres agricoles. On parle tout de même d’un potentiel de 60.000 hectares qui peuvent être restitués sous forme de locations. Les jeunes sont particulièrement ciblés puisque l’âge sera le plus important critère de sélection (avec la distance, la superficie et la quantité).

Aussi, en cas de vente de terres agricoles publiques, la Région wallonne dispose d’un droit de préférence depuis juin 2024. Celui-ci n’a pas encore été activé, mais sur papier, il permet donc à la Région d’acquérir des terrains en priorité, juste après les agriculteurs. Actuellement, la Région wallonne dispose de 950 hectares, mais le but est d’avoir un impact sur les 60.000 hectares.

Enfin, la ministre ajoute “une aide à l’installation, hors cadre familial”. Cette aide doit permettre à des indépendants qui ont une passion pour l’agriculture de se lancer. Toutes ces politiques doivent concourir à conserver une agriculture à taille humaine en Wallonie, dans un contexte de départs à la pension important des agriculteurs. “C’est mon mandat pour les cinq prochaines années”, conclut la libérale.

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