“La situation dans la construction pourrait être bien pire”

© FRANÇOIS HUBERT

Niko Demeester, directeur d’Embuild, et David Clarinval, vice-Premier ministre MR, constatent que le ralentissement de l’activité du secteur s’accélère. Et ce alors que les défis environnementaux et sociétaux sont nombreux.

Les téléphones chauffent ces dernières semaines. Avec notamment d’un côté le vice-Premier ministre David Clarinval (MR) qui semble vouloir s’ériger en défenseur du secteur de la construction au fédéral et, de l’autre, Niko Demeester, directeur d’Embuild, l’association de la construction qui représente les 130.000 entreprises du secteur en Belgique. Crise du logement, hausse de la TVA, pénurie de main-d’œuvre, robotisation de la production: les interrogations restent nombreuses.

TRENDS-TENDANCES. La fin de la TVA à 6% pour les promoteurs et investisseurs immobiliers décidée par le fédéral est un coup dur pour le secteur. Quelles en seront les conséquences?

NIKO DEMEESTER. Elles sont multiples. Cela va notamment ralentir le réaménagement des zones urbaines, favoriser l’habitat individuel sur les terrains à bâtir, freiner la création de bâtiments économes en énergie ou encore réduire l’accessibilité au logement. On le sait, le secteur du logement traverse clairement une crise. Le volet résidentiel dans la construction sera en recul de 8% cette année. Et les perspectives pour 2024 sont encore plus pessimistes. Cette décision ne va rien arranger.

– Elle a en tout cas suscité de nombreuses réactions. Ne va- t-elle pas à contre-courant des défis énergétiques et des ambitions de renouvellement du parc immobilier?

DAVID CLARINVAL. J’ai été entrepreneur dans la construction pendant 15 ans avant d’être ministre. Je connais donc cette problématique et je partage les inquiétudes actuelles. Si les travaux publics dans les communes sont en hausse de 4,7%, cela ne compense pas la baisse observée dans le résidentiel. Les taux d’intérêt sont évidemment la cause principale de la situation actuelle. J’espère que les décisions de la Banque centrale européenne permettront d’avoir une courbe descendante des taux d’ici la mi-2024. Car si les carnets de commandes des entreprises sont encore remplis d’ici là, les craintes sont plus élevées pour le second semestre.

“30.000 logements devront être construits chaque année d’ici 2030. Ce ne sont pas les particuliers qui pourront y parvenir.”

Et sur la décision de ne plus encourager les opérations de démolition/reconstruction?

D.C. Il faut se rendre compte que la situation aurait pu être bien pire qu’aujourd’hui. Je me suis battu pour que l’on épargne le secteur de la construction dans le cadre de la réforme fiscale. Le ministre Van Peteghem voulait, par exemple, augmenter la TVA sur la rénovation de 6 à 9% ou porter à 15 ans la période durant laquelle il était possible de bénéficier du taux de 6%. Or, la TVA pour rénovation est pérennisée, rien ne change. Les menaces ont été nombreuses, surtout venant des autres partis. Pour la démolition/reconstruction, il s’agissait d’une mesure temporaire.

Les investisseurs immobilier qui mettent des logements en location s’estiment lésés…

D.C. Nos partenaires du gouvernement voulaient la fin de cette mesure. Si nous la prolongions, cela coûtait 293 millions à l’Etat chaque année. Or, nous étions censés trouver plus de 2 milliards pour 2024. Il a donc fallu faire des choix, même si je comprends la déception des acteurs du secteur. Les compromis ont été nombreux. Nous avons néanmoins pu négocier une période transitoire d’un an.

N.D. Pour la TVA à 6% destinée aux promoteurs, il ne s’agissait en effet que d’une mesure temporaire décidée en 2021 de manière à soutenir le secteur de la promotion neuve. Elle a déjà été prolongée d’une année pour tous les promoteurs et est même pérennisée pour les particuliers. Le gouvernement a donc entendu le signal. J’estime que le marché se stabilisera dès que les prix des terrains et des logements seront ajustés à l’évolution des taux d’intérêt. Et nous attendons cela pour 2024. Entre temps, il est vrai qu’une partie de la stabilisation du marché aurait pu provenir de la prolongation de la TVA à 6%…

Mais les promoteurs évoquent le fait que cela va entraîner l’arrêt de nombreux projets, avec des milliers de logements en moins et des pertes financières qui se compteraient en centaines de millions…

N.D. Pour solutionner la crise du logement, il est vrai que pérenniser cette mesure pour les particuliers ne sera pas suffisant. Quand ces derniers effectuent une opération de démolition/reconstruction, cela n’entraîne pas la création de nouveaux logements. Or, pour répondre aux prévisions démographiques, 30.000 logements devront être construits chaque année d’ici 2030. Soit 220.000 unités au total. Et ce ne sont pas les particuliers qui pourront y parvenir mais uniquement les professionnels. Cela passera par la reconversion de quartiers ou d’anciens sites abandonnés. Sauf que dorénavant, dans leur business model, les promoteurs vont devoir augmenter les tarifs de 15%.

D.C. L’impact sur le parc immobilier global est en effet nul. Mais avec les menaces qui planaient sur la construction, je vois plutôt le verre à moitié plein qu’à moitié vide.

Le fait que votre président de parti remette en cause cet accord si la loi dite anti-casseurs n’est pas adoptée, ce n’est pas nécessairement une bonne affaire…

D.C. Les propos de mon président démontrent surtout la frustration du MR. Si j’étais seul au gouvernement, cette mesure aurait été pérennisée. Mais les visions étaient différentes autour de la table. Il s’agit toutefois d’un dossier budgétaire qui n’est pas lié à l’adoption éventuelle d’une nouvelle loi. Ne mélangeons donc pas tout.

“En fonction de l’évolution des taux d’intérêt, le marché peut se remettre à l’endroit rapidement.”

Les promoteurs annoncent remettre en question de nombreux projets. Ce recul de l’activité ne risque-t-il pas in fine de diminuer les recettes pour l’Etat?

N.D. Sans période transitoire, il y aurait vraiment eu d’importants accidents puisque de nombreux projets ont été signés, entraînant une demande de permis et un business plan avec une TVA à 6%. L’inconnue est plus grande pour les projets lancés à partir de 2025. Là, effectivement, le secteur est en train de revoir ses plans et faisabilités financières. Certains projets vont se poursuivre, d’autres seront mis à l’arrêt. En fonction de l’évolution des taux d’intérêt, le marché peut se remettre à l’endroit rapidement. Il faudra probablement patienter jusqu’à la mi-2024 pour y voir plus clair. Dans le cas contraire, la situation pourrait être encore plus dramatique.

D.C. Je ne suis pas Madame Irma mais on peut en effet espérer qu’il y ait une stabilisation des taux vu l’inflation qui commence à baisser, sauf si la situation géopolitique actuelle venait à s’enflammer à nouveau, avec un impact sur les coûts énergétiques qui referait augmenter l’inflation. Relevons que la situation est problématique en Belgique mais qu’elle est bien pire aux Pays-Bas, au Luxembourg et en France.

Les prévisions annoncent une année stable pour la construction. Comment l’expliquer?

N.D. Aujourd’hui, il y a une crise de logement mais il n’y a pas de crise de la construction puisque les travaux publics se portent encore très bien. Les plans d’investissement au niveau européen, fédéral, régional et communal sont importants.

D.C. Dans le rail, 3 milliards d’euros sur 10 ans ont, par exemple, été débloqués pour permettre une vision à long terme de l’implémentation des travaux au sein d’Infrabel. La Régie des Bâtiments investit également beaucoup. Sans parler des prisons ou des bâtiments publics. Il faudra poursuivre dans cette voie lors de la prochaine législature.

Quelles mesures de relance voyez-vous pour répondre à cette crise du logement?

D.C. Au niveau fédéral, les deux outils sont la TVA et les investissements dans des éléments structurants. D’autres leviers existent, mais au niveau régional.

“Il faudrait réduire les droits d’enregistrement. Il y a une concurrence fiscale trop importante à ce niveau-là.”

N.D. Je pense qu’il serait intéressant d’agir au niveau des banques. Un ménage est aujourd’hui pénalisé s’il achète une maison ancienne pour la rénover car son bien possède une faible valeur marchande. Dans le même temps, les taux d’intérêt ont triplé, ce qui diminue la capacité de remboursement. Nous devrions stimuler la rénovation en tenant compte de l’impact positif des rénovations énergétiques sur la capacité de remboursement (200 à 300 euros par mois sont possibles comme économie sur la facture énergétique). Nous sommes en discussion depuis un an avec les banques pour introduire cette mesure. C’est un modèle intelligent pour le futur. Par ailleurs, pour stimuler le logement en Wallonie et à Bruxelles, il faudrait réduire les droits d’enregistrement. Il y a une concurrence fiscale trop importante à ce niveau-là. Nous allons proposer cela en vue des prochaines élections.

Pourra-t-on relever le défi de la rénovation énergique sans résoudre la pénurie de main-d’œuvre en Wallonie et à Bruxelles?

D.C. La pénurie de main-d’œuvre est un constat que nous faisons depuis de nombreuses années. Pour le résoudre, il est nécessaire de mieux récompenser ceux qui travaillent. Cela passe notamment par une réduction de l’impôt et des cotisations sociales. Il est également nécessaire d’avoir des mesures plus incitatives vis-à-vis des chômeurs de longue durée. L’enseignement et la formation doivent être renforcés. Car les métiers manuels sont aujourd’hui parmi les plus rentables.

N.D. La construction paye très bien. Un ouvrier débutant gagne un salaire brut qui va de 3.000 à 3.500 euros auquel il faut ajouter d’importants avantages sociaux. Ce n’est donc pas la carotte qui manque mais le bâton. La pénurie de main-d’œuvre oscille de 14.000 à 20.000 personnes, selon la conjoncture. Mais ce déficit n’a jamais augmenté, preuve que le secteur reste stable. L’attractivité ne s’améliore par contre pas. Il faut donc renforcer la politique d’activation des chômeurs. Le secteur doit également devenir plus productif. La robotisation et l’automatisation vont être plus importantes, ce qui va permettre d’ici 5 à 10 ans de combler la pénurie de main-d’œuvre via un gain de productivité. La préfabrication va aussi modifier complètement le secteur. La productivité d’un ouvrier sur chantier est aujourd’hui de 20%. Dans un atelier de pré-assemblage, elle est de 80%! Le problème, c’est que si sur le plan technique tout est au point, le marché n’est pas encore prêt.

“Le préfabriqué du 21e siècle, c’est la voie à suivre pour le logement.”

D.C. Je confirme: il y a de plus en plus de maisons préassemblées. Le préfabriqué du 21e siècle, c’est la voie à suivre pour le logement.

N.D. Quand nous allons massifier la rénovation, cela permettra de rénover 300 logements en une fois et de rattraper le retard que nous accumulons actuellement. Le marché va fortement se modifier dans les années à venir. Toutes les maisons d’un quartier seront isolées en une fois. Cela va accélérer le processus et diminuer les coûts. L’innovation et la digitalisation seront des éléments majeurs pour répondre aux crises de la construction.

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